« Regardez Mossoul maintenant » : les Irakiens veulent refaire de la ville une destination touristique nationale
Tous les soirs, au coucher du soleil, la rue de la Jungle s’anime. Parsemée d’éclairages électriques colorés, cette bande de verdure de la banlieue de Mossoul en Irak qui longe les rives du Tigre est bordée de cafés, de bars à chicha et de restaurants aux lumières vives. Deux photographes attendent à côté d’une fontaine illuminée, un endroit prisé des jeunes mariés qui viennent poser pour des photos, tandis que des familles emmènent des enfants enthousiastes vers un champ de foire rempli de manèges colorés.
Derrière les arbres, un vaste restaurant qui s’étale le long de la rive donne sur le Tigre et sur une jetée où des familles vêtues de tenues chic et de hijabs colorés font la queue pour partir en promenade sur des bateaux immaculés et joyeusement illuminés. La musique pop crachée depuis un petit hors-bord est étouffée par les cris d’excitation qui retentissent au gré de ses virages serrés sur le fleuve.
Nous sommes dans le quartier d’al-Ghabaat (« la jungle ») de Mossoul. Il y a près de cinq ans, ce secteur était le théâtre d’une opération contre le groupe État islamique (EI) menée par les forces spéciales irakiennes, qui se faufilaient entre les arbres et traversaient un champ de foire dans lequel les militants de l’EI avaient fracassé ou recouvert de peinture les visages des personnages sur les manèges. Aujourd’hui, il est le cœur du redressement touristique de Mossoul.
« Les gens montrent une mauvaise image de Mossoul à la télévision, mais que pensez-vous de Mossoul ? », demande à Middle East Eye Mohammed, un étudiant de 24 ans. Comme beaucoup d’autres habitants de la ville, il évite de faire directement référence à l’EI et à la guerre, qu’ils désignent aujourd’hui sous le nom de « chaos ».
Lorsqu’on lui rappelle pourquoi Mossoul est davantage connue pour de mauvaises raisons, il reconnaît que « tout cela est vrai », avant de montrer la rue illuminée par un large faisceau. « Mais regardez Mossoul maintenant », répond-il.
Après le « chaos »
Mossoul n’est guère synonyme de tourisme. La ville du nord de l’Irak a attiré l’attention des médias mondiaux à la mi-2014, lorsqu’Abou Bakr al-Baghdadi s’est proclamé à la tête d’un « califat » recouvrant des pans de territoire syriens et irakiens capturés par l’EI.
En octobre 2016, une guerre brutale de neuf mois a éclaté et ravagé 60 % de la ville, selon les estimations.
De part et d’autre de Mossoul, la reconstruction se poursuit et le quartier d’al-Ghabaat est à l’avant-garde des efforts déployés pour redonner à cette ville défigurée par la guerre une image de destination touristique pour les visiteurs irakiens et même pour les touristes occidentaux occasionnels.
« J’ai observé la reprise du tourisme ici », se souvient Mohammed. « Les visiteurs, qui viennent principalement du centre et du sud de l’Irak, ont vraiment commencé à revenir fin 2018. Nous les reconnaissons à leur accent. »
Il explique qu’al-Ghabaat est le principal secteur touristique en raison de sa libération rapide et moins tardive, qui a permis de limiter les destructions et de faciliter la reconstruction.
« Avant le chaos, cet endroit et la vieille ville étaient les principaux secteurs touristiques ; il y avait beaucoup d’hôtels dans la vieille ville, mais aujourd’hui, il n’y en a plus. Les gens ne sont pas vraiment retournés dans la vieille ville – ni les Mossouliotes, ni les touristes », indique Mohammed.
La vieille ville historique de Mossoul, située sur la rive opposée du Tigre, a été le secteur le plus durement touché par la guerre contre l’EI : de vastes zones sont encore en ruines. Seuls quelques sites historiques sont encore debout, comme les vestiges de la forteresse Bash Tapia, datant du XIIe siècle, qui surplombe le fleuve.
D’autres se reconstruisent lentement. Un projet de l’UNESCO financé par les Émirats arabes unis vise à reconstruire la Grande Mosquée al-Nouri de Mossoul et le minaret penché al-Hadba (« le bossu »), ainsi que les bâtiments historiques en ruine et les ruelles sinueuses qui se trouvent dans les environs.
Plus près de la rivière, où les destructions sont profondes, une poignée de magasins et de cafés ont rouvert de manière indépendante, certains sous des structures endommagées d’apparence précaire.
« C’est le centre de la vieille ville et c’était le plus bel endroit de Mossoul avant le chaos », affirme Abou Omar, un menuisier de 60 ans qui a reconstruit son atelier détruit avec ses propres deniers. « J’ai rouvert fin 2018, mais le travail avance lentement car les maisons sont toutes détruites et les rues ne sont pas accueillantes ici, donc les gens sont réticents à revenir. Nous avons besoin d’investissements sérieux de la part du gouvernement et d’une aide à la reconstruction conséquente pour inciter les gens à revenir. »
Le retour des touristes
Avec ses températures plus fraîches et son relief varié, le nord de l’Irak a toujours attiré les touristes du centre et du sud du pays, en particulier pendant les chauds mois d’été. Depuis 2014, le Kurdistan irakien profite de la majeure partie du tourisme intérieur, mais les investissements considérables dans le quartier d’al-Ghabaat de Mossoul visent à replacer fermement la ville sur la carte.
« Ils viennent de Bassorah, de Bagdad, de Ramadi, de Tikrit, et même d’Erbil et de Souleimaniye »
– Hisham Younis al-Gailani, réceptionniste au Village des touristes de Mossoul
« Mossoul est désormais très sûre et les touristes commencent à revenir », affirme à MEE Hisham Younis al-Gailani, réceptionniste au Village des touristes, devant un mur de clés de chambres. « Ils viennent de Bassorah, de Bagdad, de Ramadi, de Tikrit, et même d’Erbil et de Souleimaniye. »
En tête de liste des attraits de Mossoul, il cite le climat et l’hospitalité de la population locale.
« La cuisine mossouliote est également célèbre dans tout l’Irak, notamment les plats tels que le kebbé [boulettes au bœuf accompagnées de riz], la bacha [ragoût de tête de mouton] et la dolma. Les Irakiens du sud ne trouvent pas ces plats chez eux, alors ils aiment venir ici pour se faire plaisir », poursuit Hisham Younis al-Gailani, non sans préciser fièrement que les restaurants de Mossoul sont également réputés pour leurs normes d’hygiène élevées et leur service d’excellente qualité.
Les possibilités d’hébergement sont encore relativement rares à Mossoul. Le Village des touristes en fait partie. La réouverture de l’établissement, initialement en 1990, a été un défi – les propriétaires sont revenus quelques mois après le départ de l’EI et ont retrouvé un endroit saccagé et vandalisé.
« Les maisons ont été détruites, les bâtiments incendiés, tout a été volé, même les matelas ; l’infrastructure électrique a été détruite et les arbres ont été brûlés », se souvient le réceptionniste.
La restauration – y compris la reconstruction de logements, l’installation d’un petit champ de foire et la reconstitution des jardins – a été entreprise par un groupe de quatorze hommes d’affaires locaux, qui ont déjà déboursé environ 570 millions de dinars irakiens (345 000 euros). « Nous avons envoyé les dossiers d’indemnisation au gouvernement, mais nous n’avons rien reçu jusqu’à présent », indique Hisham Younis al-Gailani. Faute de fonds, les travaux d’embellissement des terrains, déjà très jolis, restent un projet en cours.
S’il est peu probable que Mossoul attire un grand nombre de touristes internationaux dans un avenir proche, son potentiel a été stimulé par la levée par l’Irak des procédures de visa préalables à l’arrivée pour les résidents de 36 pays, dont la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.
« J’ai commencé à emmener des visiteurs à Mossoul, dont quelques-uns d’Italie et de Russie, pour voir “l’esprit de Mossoul”, c’est-à-dire la vieille ville », indique Ali al-Makzoumy, cofondateur et directeur du voyagiste Bil Weekend, établi à Bagdad. « Nous visitons les édifices importants qui ont été détruits, notamment les fondations du minaret al-Hadba pour voir ce que l’UNESCO y fait, et je leur présente des jeunes très dynamiques et pleins d’espoir. »
« Pas d’infrastructures adaptées au tourisme »
Tout le monde ne considère pas le tourisme comme une priorité pour le moment. Interrogé par MEE, Mohammed al-Rawe, l’un des cinq vice-gouverneurs de Mossoul, estime que tant que les infrastructures et les installations de base pour les habitants – y compris les hôpitaux et les écoles – resteront inadéquates, le moment ne sera pas venu pour Mossoul de développer le tourisme.
« Nous n’avons pas assez d’hôtels pour les touristes et nous n’avons pas d’infrastructures adaptées au tourisme », affirme-t-il. « Al-Ghabaat est un bel endroit au bord du fleuve, mais nous n’avons pas l’expertise nécessaire pour développer parfaitement cet endroit ou pour attirer le tourisme. »
L’idée de proposer aux touristes nationaux des restaurants chic, des hébergements et des promenades en bateau alors qu’une grande partie de la population mossouliote est toujours déplacée, vit dans la pauvreté ou n’a pas accès à des soins de santé décents voire à des emplois peut être sujet à controverse. Les entrepreneurs de la ville affirment pour leur part qu’eux aussi essaient de gagner leur vie et que le tourisme pourrait apporter à l’économie locale l’argent dont elle a tant besoin.
Les efforts de revitalisation d’al-Ghabaat se reflètent également dans toute la ville, ce qui témoigne de la résilience de Mossoul. Là où c’est possible, la reconstruction suit son cours. Là où la reconstruction n’a pas encore été possible, on tente de masquer les pires dégâts : les impacts de balles sont bouchés avec du ciment, des arbres sont plantés le long des terre-pleins centraux et, jusqu’à récemment, des affiches de campagne électorale colorées étaient placardées sur des bâtiments effondrés.
En parallèle, les habitants s’efforcent de redorer le blason de Mossoul avec les moyens dont ils disposent. Et s’il y a une chose que de nombreux Mossouliotes possèdent, c’est un amour profond pour cette ville à laquelle ils sont dévoués, autrefois agréable mais aujourd’hui meurtrie et défigurée.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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