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Alors que l’aide internationale commence à arriver, deuil et colère à Beyrouth

Les autorités ont lancé une enquête sur la cargaison de nitrate d’ammonium présumée à l’origine des explosions pendant que les Libanais crient leur colère contre les politiques sur les réseaux sociaux
Un hélicoptère tente d’éteindre les multiples incendies provoqués par les explosions (AFP)
Un hélicoptère tente d’éteindre les multiples incendies provoqués par les explosions (AFP)

Attention : certaines images peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties.

L’aide internationale commence à arriver mercredi au Liban, au lendemain de deux gigantesques explosions ayant fait plus de 100 morts et des milliers de blessés.

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Mardi soir, quelques heures après le drame, le Premier ministre libanais Hassan Diab avait lancé un « appel urgent à tous les pays amis et aux pays frères ».

Le Koweït a fait état mercredi de l’arrivée au Liban d’un avion contenant de « l’aide médicale », alors que les hôpitaux, déjà éreintés par la crise économique et la pandémie de nouveau coronavirus, ont été submergés par les victimes.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a lui annoncé ouvrir un hôpital de campagne dans la capitale libanaise.

Le président français Emmanuel Macron avait dit la veille sur Twitter qu’un détachement de la sécurité civile et « plusieurs tonnes de matériel sanitaire » serait envoyés au Liban.

La France, ancienne puissance mandataire, a ainsi acheminé mercredi de l’aide par trois avions.

Un responsable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Michael Ryan a affirmé que l’institution onusienne avait « commencé à expédier des kits de traumatologie et de chirurgie depuis l’entrepôt régional de Dubaï ».

« Nous avons également des équipes médicales d’urgence prêtes à se déployer », a-t-il ajouté.

Des pays du Golfe, dont certains ont des relations diplomatiques et économiques étroites avec le Liban, ont aussi offert leur aide.

L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a lui fait état de l’envoi de plusieurs hôpitaux de campagne.

Traduction : « Le premier Air Force C-17 du Qatar a décollé pour le Liban dans le cadre d’un pont aérien transportant deux hôpitaux de campagne d’une capacité de 500 lits chacun avec tous les équipements connexes. »

Aux Émirats arabes unis, la célèbre tour Burj Khalifa de Dubaï, la plus haute du monde, s’est illuminée aux couleurs du drapeau libanais, en signe de solidarité, tout comme les célèbres pyramides de Guizeh, en égypte.   

Traduction : « Burj Khalifa à Dubaï, aux Émirats arabes unis, s’illumine du drapeau libanais en guise de condoléances pour la tragique explosion qui a secoué Beyrouth. Que Dieu ait pitié. »

L’Iran, très influent au Liban, a offert une « aide médicale » par la voix de son président Hassan Rohani, selon un communiqué.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a promis « une aide humanitaire dans tous les domaines, en particulier dans le domaine de la santé ».

Les recherches toujours en cours pour retrouver des victimes

Toute la journée, dans les ruines fumantes du port de Beyrouth, au milieu des immeubles éventrés, les secouristes ont tenté de retrouver des victimes des explosions qui ont fait plus de 100 morts et 4 000 blessés ainsi que des dizaines de disparus, selon le dernier bilan fourni mercredi par le ministre de la Santé, Hamad Hassan.

Selon le gouverneur de Beyrouth, jusqu’à 300 000 personnes sont sans domicile en raison des énormes dégâts. Il a estimé les dommages, qui ont touché selon lui plus de la moitié de la capitale, à plus de trois milliards de dollars.

La capitale libanaise, déclarée ville « sinistrée », s’est réveillée sous le choc, après ces explosions d’une telle puissance qu’elles ont été enregistrées par les capteurs de l’institut américain de géophysique (USGS) comme un séisme de magnitude 3,3.

Dans l’épicentre de l’explosion, dont le souffle a été ressenti jusque sur l’île de Chypre, à plus de 200 kilomètres de là, le paysage reste apocalyptique : les conteneurs ressemblent à des boîtes de conserve tordues, les voitures sont calcinées, le sol jonché de valises et de papiers provenant des bureaux avoisinants, soufflés par l’explosion.

Traduction : « Importants dégâts dans le port de Beyrouth. »

La chaîne de télévision al-Hadath diffuse des images à l’entrée d’un des hôpitaux de Beyrouth. 

L’histoire sulfureuse du Rhosus

Rien n’indique que les explosions aient été provoquées délibérément, selon les autorités libanaises. Hassan Diab a déclaré qu’il était « inadmissible qu’une cargaison de nitrate d’ammonium, estimée à 2 750 tonnes, soit présente depuis six ans dans un entrepôt, sans mesures de précaution ».

« C’est inacceptable et nous ne pouvons pas nous taire sur cette question », a-t-il ajouté selon des propos rapportés par un porte-parole en conférence de presse.

Mercredi, le gouvernement a réclamé l’assignation à résidence des personnes responsables de ce stockage.

Les autorités du port, les services des douanes et des services de sécurité étaient tous au courant que des matières chimiques dangereuses étaient entreposées au port mais se sont rejeté la responsabilité du dossier, ont indiqué des sources de sécurité à l’AFP.

En 2013, le Rhosus, battant pavillon moldave et venant de Géorgie, a fait escale à Beyrouth, en route pour le Mozambique, selon une source de sécurité. Avec à son bord 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, qui peut entrer dans la composition de certains explosifs à usage civil, mais également être utilisé comme engrais.

Selon le site Marine Traffic, le bateau est arrivé le 20 novembre 2013 à Beyrouth et est resté là.

Pourquoi la cargaison a-t-elle été déchargée dans ce port de Beyrouth ? D’après des sources sécuritaires libanaises, alors que le Rhosus était en transit à Beyrouth, une firme libanaise aurait porté plainte contre la compagnie à laquelle le bateau appartenait, poussant la justice locale à saisir l’embarcation.

La cargaison a été placée dans le hangar numéro 12, consacré aux marchandises saisies.

Quant au bateau, endommagé, il a fini par couler.

En juin 2019, la sûreté de l’État, un des plus hauts organismes de sécurité au Liban, a lancé une enquête sur cette cargaison, après des plaintes répétées sur des odeurs nauséabondes qui émanaient du hangar.

Dans son rapport, elle a signalé que l’entrepôt contenait « des matières dangereuses qu’il est nécessaire de déplacer ». Elle a aussi indiqué que les parois de l’entrepôt étaient lézardées, ce qui rendait un vol possible, et recommandé qu’il soit réparé.

La direction du port, qui était au courant du caractère dangereux des produits, a finalement envoyé des ouvriers colmater les fissures de l’entrepôt. Ces travaux, selon les sources de sécurité, auraient été à l’origine du drame, selon les autorités.

Après les explosions, le directeur des douanes, Badri Daher, s’est empressé de rendre publique une lettre qu’il avait adressée en décembre 2017 au procureur, dans laquelle il demandait comme dans des missives précédentes soit de transférer la cargaison à l’étranger, soit de la vendre à une compagnie locale, l’armée ayant affirmé n’en avoir pas besoin.

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Selon Riad Kobaissi, un journaliste d’investigation libanais spécialisé dans les affaires de corruption et qui a beaucoup enquêté sur le port de Beyrouth, les services des douanes cherchent à se décharger de toute responsabilité.

Soulignant qu’à la base il est interdit d’introduire de tels produits chimiques au Liban sans autorisation, il estime que cette affaire « met en lumière l’état de délabrement et la corruption au sein des douanes, qui assument en premier lieu, mais pas exclusivement, la responsabilité » du drame.

Amnesty international a appelé à une enquête « indépendante ».

Sur Twitter, les internautes, sous le hashtag « Pendez-les », ont crié leur colère contre la classe dirigeante accusée de ce drame inédit dans l’histoire du Liban.

« Vous devez payer pour avoir brûlé le cœur des mères et l’avenir des jeunes et terrorisé les enfants », a écrit l’un d’eux, sous les portraits des chefs politiques.

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