Liban : le gouvernement démissionne six jours après l’explosion à Beyrouth
À la tête du gouvernement depuis janvier, Hassan Diab a annoncé lundi soir la démission de son gouvernement dans un discours à la nation six jours après l’explosion qui a dévasté le port de la capitale libanaise et une partie de la ville.
« Aujourd’hui, j’annonce la démission de ce gouvernement », a-t-il dit, accusant la classe politique d’être la cause de ses échecs et dénonçant la « corruption » ayant conduit à « ce séisme qui a frappé le pays ».
Se présentant comme un indépendant, Hassan Diab avait été nommé Premier ministre en réponse à un soulèvement populaire ayant poussé son prédécesseur, Saad Hariri, à la démission.
Pendant son discours, des heurts se sont déroulés dans le centre-ville aux abords du Parlement, pour la troisième soirée consécutive. Des manifestants ont lancé des pierres et des pétards sur les forces de sécurité qui ont répliqué avec du gaz lacrymogène, selon un photographe de l’AFP.
Les manifestants réclament le renouvellement de la classe politique tout entière, accusée depuis des mois de corruption et d’incompétence.
Face aux protestations, quatre ministres avaient déjà présenté leur démission depuis dimanche.
Hassan Diab avait indiqué samedi qu’il était prêt à rester dans ses fonctions pendant deux mois, jusqu’à l’organisation d’élections anticipées dans un pays dominé par le mouvement armé du Hezbollah, un allié de l’Iran et du régime syrien de Bachar al-Assad.
Les élections anticipées ne figurent pas parmi les principales revendications de la rue, le Parlement étant contrôlé par des forces politiques traditionnelles qui ont élaboré une loi électorale calibrée pour servir leurs intérêts.
« 128 voleurs »
La tragique explosion a relancé la contestation populaire déclenchée le 17 octobre 2019 pour déjà dénoncer la corruption des dirigeants mais qui s’était essoufflée avec la pandémie de nouveau coronavirus.
Et si la démission de Diab a été accueillie par des concerts de klaxons à travers le pays, il semble peu probable qu’elle réponde aux attentes à long terme de la population libanaise.
Mayssoun Sukarieh, chercheuse spécialisée sur le Liban et chargée de cours au King’s College de Londres, voit cette annonce comme une opportunité de changement, mais s’attend à ce que le système « se reproduise […] à moins que le président lui-même ne démissionne ».
« [Le système] se reproduira à moins que le président lui-même ne démissionne »
- Mayssoun Sukarieh, chercheuse au King’s College de Londres
Selon cette spécialiste, la décision de Michel Aoun, également contesté par la rue, de rester à son poste risque de faire traîner les négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement en dépit des appels à des réformes urgentes.
« C’est typique », explique-t-elle à Middle East Eye. « Une paralysie [politique] dans la nomination d’un président puis d’un Premier ministre. »
Alors que les manifestations se sont poursuivies dans la nuit, Charbel Chaaya, un étudiant à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, a déclaré à MEE que le système actuel était peu susceptible de répondre aux griefs et de « résoudre les problèmes ».
« Le système politique a échoué et la seule solution vient de l’extérieur », estime-t-il.
Une opinion partagée par Layal, une autre manifestante. « Même avec une démission de Hassan Diab, il y a encore 128 voleurs assis au Parlement », a-t-elle fustigé auprès de l’AFP. « Eux aussi doivent démissionner, sinon on reste dans le même cycle. »
« Tous veut dire tous », ont martelé d’autres manifestants, appelant au départ de tous les dirigeants. Des effigies de nombre d’entre eux – notamment de Michel Aoun et du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah – ont été accrochées à des nœuds coulants lors de rassemblements.
« Une seule personne contrôle ce pays, c’est Hassan Nasrallah », a affirmé Nadim Gemayel, l’un des neuf députés ayant démissionné. « Pour élire un président, désigner un Premier ministre […] il faut le feu vert et l’autorisation de Hassan Nasrallah. »
La communauté internationale ne fait plus confiance aux dirigeants libanais
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, réagissant à l’annonce de Diab, a appelé le Liban à la « formation rapide d’un gouvernement qui fasse ses preuves auprès de la population ».
« Il est désormais indispensable que les aspirations exprimées par les Libanais en matière de réformes et de gouvernance soient entendues », a-t-il poursuivi.
La déflagration du 4 août – qui a fait au moins 160 morts et plus de 6 000 blessés – s’est ajoutée aux souffrances d’une population déjà excédée par une crise économique inédite, aggravée par l’épidémie de COVID-19.
C’est un incendie dans un entrepôt où étaient stockées 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium depuis six ans, sans « mesures de précaution » de l’aveu même de Hassan Diab, qui a provoqué l’explosion.
Les secouristes ont désormais perdu tout espoir de retrouver des survivants, au grand désespoir des familles des disparus – une vingtaine officiellement – qui accusent les autorités d’avoir tardé à organiser les recherches.
« Nous réclamons la poursuite des recherches », a lancé sur les réseaux sociaux Émilie Hasrouty, dont le frère serait enseveli sous les décombres.
Dimanche, la communauté internationale a montré lors d’une visioconférence co-organisée par la France et l’ONU qu’elle ne faisait plus confiance aux dirigeants libanais.
Elle a annoncé la distribution « directement » à la population des 252,7 millions d’euros d’aide promis et exigé une enquête « transparente » sur les causes de la catastrophe, qui a également fait près de 300 000 sans-abri.
Le président Michel Aoun a rejeté l’éventualité d’une enquête internationale.
Par Acil Tabbara et Layal Abou Rahal pour l’AFP ; Kareem Chehayeb pour Middle East Eye.
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