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Libye : au Caire, le cousin de Kadhafi cultive la mémoire du « guide »

Pour « l’homme des missions impossibles » de l’ancien régime libyen, la situation régionale serait aujourd’hui « mille fois pire qu’il y a dix ans »
Ahmed Kadhaf al-Dam dans son appartement au Caire, le 2 novembre 2020 (AFP)
Ahmed Kadhaf al-Dam dans son appartement au Caire, le 2 novembre 2020 (AFP)
Par AFP à LE CAIRE, Égypte

De son somptueux appartement cairote avec vue sur le Nil, Ahmed Kadhaf al-Dam cultive la mémoire et le verbe de Mouammar Kadhafi, cousin dont il fut le conseiller : sous son règne, la Libye était un « havre de paix ». Et la révolution de 2011 n’a jamais existé, dit-il.

Cet homme de 68 ans présente une surprenante ressemblance physique avec celui qui a dirigé la Libye d’une main de fer pendant plus de 40 ans, comme en témoignent les nombreux portraits accrochés au mur de son domicile du quartier huppé de Zamalek.

Bientôt une décennie après la mort du « guide », l’éloquence familiale n’a, elle, presque pas pris une ride.

« Il n’y a pas eu de révolution en Libye. Il y a eu une attaque pour tuer Mouammar Kadhafi »

- Ahmed Kadhaf al-Dam

« La Libye était un havre de paix en Afrique du Nord et en Méditerranée », déclare dans un entretien à l’AFP Ahmed Kadhaf al-Dam, cheveux ébouriffés noir de jais et longue abaya. « Pas d’extrémistes ou de gens qui mouraient de faim », ajoute-t-il.

Depuis la mort du dictateur, la Libye a il est vrai sombré dans un chaos politique et sécuritaire que l’ONU et la communauté internationale ne parviennent pas, jusque-là, à résoudre.

Et lui, le cousin Kadhaf, quel souvenir garde-t-il du Printemps arabe libyen ? « Il n’y a pas eu de révolution en Libye. Il y a eu une attaque pour tuer Mouammar Kadhafi », tranche celui qui, avec d’autres proches du pouvoir, avait pourtant démissionné au début de la révolte, en février 2011.

À l’écouter, le responsable du chaos libyen actuel est évident : l’Occident, notamment l’ex-président français Nicolas Sarkozy et l’ancienne secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, responsables de dix ans de « famine, pauvreté et destruction ».

Posture kadhafiste

Une référence à l’intervention militaire menée par Paris, Washington et Londres sous l’ombrelle de l’OTAN en mars 2011, alors que le régime promettait de faire couler toujours plus de sang à Benghazi, fief de la rébellion.

Jambes croisées et posture kadhafiste, l’ancien militaire poursuit son propos et évoque l’essor de l’islamisme armé, dont celui du groupe État islamique (EI), parvenu à s’installer durant plusieurs années en Libye même.

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Là encore, il en rend responsable les anciens dirigeants occidentaux. Cet islamisme armé est un « islam créé par Clinton et Sarkozy, qui l’a lui-même soutenu en 2011 avec ses avions de guerre ».

Personnage incontournable du régime, ce cousin a occupé plusieurs fonctions auprès du Guide, dont celle de « coordinateur des relations libyo-égyptiennes », un rôle d’intermédiaire avec le président égyptien Hosni Moubarak.

De ces années de pouvoir, on lui reconnaît une différence avec Mouammar Kadhafi : une plus grande diplomatie et certains succès comme la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite, l’Égypte ou le Maroc, nations qui avaient rompu avec la Libye au gré des actions violentes et des propos controversés du chef libyen.

Son surnom durant cette période ? « L’homme des missions impossibles ».

Du Caire, capitale arabe où il s’est exilé, Ahmed Kadhaf al-Dam porte à ce jour un regard sombre sur la situation régionale.

« Destructions, déplacements forcés, meurtres, pillages de richesses, instabilité, terrorisme, immigration illégale » : elle est aujourd’hui « mille fois pire qu’il y a dix ans ».

En Tunisie, pionnière du Printemps arabe, « les gens sont sortis avec des demandes claires et le président a été évincé », admet-il. « Mais les conditions sont instables aujourd’hui encore ».

Quant à l’Égypte, où le président islamiste Mohamed Morsi a été renversé en 2013 par l’actuel chef de l’État Abdel Fattah al-Sissi à la suite de manifestations populaires massives, il estime qu’elle « aurait pu tomber dans un autre piège avec les groupes extrémistes islamistes au pouvoir et leurs homologues en Libye pour les couvrir ».

Par Emmanuel Parisse

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