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Libye : des affrontements meurtriers secouent Tripoli, faisant craindre une nouvelle guerre

Le calme est revenu aujourd’hui à Tripoli après des affrontements entre groupes armés dans la capitale libyenne qui ont fait au moins 32 morts et 159 blessés, sur fond de chaos politique avec deux gouvernements rivaux
 Un véhicule endommagé est photographié dans une rue de Tripoli, la capitale libyenne, à la suite d’affrontements entre groupes locaux rivaux le 27 août 2022 (AFP)
Un véhicule endommagé est photographié dans une rue de Tripoli, la capitale libyenne, à la suite d’affrontements entre groupes locaux rivaux le 27 août 2022 (AFP)

Ce dimanche, la plupart des commerces ont rouvert et les vols qui avaient été suspendus hier ont repris à l’aéroport de Mitiga, le seul qui dessert Tripoli. Les écoles ont annoncé la tenue lundi des examens, notamment le baccalauréat initialement prévu dimanche.

Mais les dégâts des combats sanglants qui ont eu lieu de vendredi à samedi soir sont importants et visibles partout dans la capitale libyenne avec de nombreux bâtiments criblés de balles et des dizaines de voitures calcinées. Six hôpitaux ont été touchés par les frappes. 

Des tirs nourris et des bombardements ont retenti toute la nuit de vendredi et toute la journée de samedi jusqu’au crépuscule, dans plusieurs quartiers de la capitale, faisant craindre une nouvelle guerre.

Gouvernements rivaux

Deux gouvernements se disputent le pouvoir depuis mars en Libye : l’un basé à Tripoli et dirigé par Abdelhamid Dbeibah depuis 2021, et un autre conduit par Fathi Bachagha et soutenu par le camp du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est.

Les affrontements se sont soldés par la mise en échec de la tentative de Fathi Bachagha de déloger le gouvernement de son rival, selon des médias locaux et des experts.  

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Des groupes armés considérés comme neutres dans ce bras de fer politique, notamment la Force al-Radaa (dissuasion), se sont rangés du côté de Abdelhamid Dbeibah, jouant un rôle décisif dans l’issue des combats.

L’ONU a exhorté « les parties libyennes à engager un véritable dialogue pour résoudre l’impasse politique actuelle et à ne pas recourir à la force pour résoudre leurs différends ».

Il s’agit du deuxième coup de force manqué de Fathi Bachagha, ancien ministre de l’Intérieur, pour tenter de déloger l’exécutif de son rival, après une première tentative sans succès en mai.

Les affrontements sont d’une ampleur sans précédent depuis l’échec en juin 2020 de la tentative du maréchal Haftar de conquérir militairement la capitale, au plus fort de la guerre civile ayant suivi la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. 

La Libye s’est enlisée dans une crise politique majeure après la fin du règne de Kadhafi avec des rivalités entre l’Est et l’Ouest, des luttes de pouvoir et des ingérences étrangères.

Considérant que le mandat de Abdelhamid Dbeibah a expiré, le Parlement basé dans l’Est a désigné en février Fathi Bachagha comme Premier ministre, plongeant le pays d’Afrique du Nord dans une grave crise politique. Pour sa part, Abdelhamid Dbeibah a assuré à plusieurs reprises qu’il ne céderait son fauteuil qu’à un gouvernement sorti des urnes.

« Les groupes armés qui se sont retrouvés du même côté dans les combats d’hier à Tripoli s’affronteront demain pour le territoire, les postes et les budgets. Les factions qui étaient hier pro-Dbeibah le défieront demain. C’est une histoire sans fin »

- Wolfram Lacher, expert de la Libye à l’Institut allemand SWP

Samedi soir, M. Dbeibah a ordonné l’arrestation de toute personne impliquée dans « l’attaque contre Tripoli », qu’elle soit « militaire ou civile ». 

La Force conjointe des opérations, une puissante milice basée à Misrata qui soutient M. Dbeibah, a fait savoir dans un communiqué dimanche avoir arrêté plusieurs « assaillants » impliqués dans le coup de force manqué de M. Bachagha.

Dimanche, le Premier ministre à Tripoli a annoncé la création de « deux commissions pour recenser les dégâts ». 

Mais la crise est loin d’être réglée, la situation sécuritaire demeure hautement instable, notamment dans la capitale, où une myriade de milices aux allégeances mouvantes reste très influente. 

« Les groupes armés qui se sont retrouvés du même côté dans les combats d’hier à Tripoli s’affronteront demain pour le territoire, les postes et les budgets. Les factions qui étaient hier pro-Dbeibah le défieront demain. C’est une histoire sans fin », a résumé sur Twitter, Wolfram Lacher, expert de la Libye à l’Institut allemand SWP.

La violence pourrait renforcer Haftar

Le mois dernier, un juge fédéral américain a rendu un jugement par défaut contre Khalifa Haftar, le déclarant responsable de crimes de guerre contre plusieurs familles libyennes qui l’ont accusé d’exécutions extrajudiciaires et de torture. 

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Emadeddin Badi, chercheur au Conseil de l’Atlantique, a averti que la violence pourrait rapidement dégénérer.

« La guerre urbaine a sa propre logique, elle nuit à la fois aux infrastructures civiles et aux personnes, donc même si ce n’est pas une longue guerre, ce conflit sera très destructeur comme nous l’avons déjà vu », a-t-il déclaré à l’AFP.

Il a ajouté que les combats pourraient renforcer Haftar et ses proches.

« Ils bénéficieront des divisions de l’ouest de la Libye et auront une meilleure position de négociation une fois la poussière retombée. »

Dbeibah, nommé l’année dernière dans le cadre d’un processus de paix soutenu par les Nations Unies pour mettre fin à plus d’une décennie de violence dans le pays, a refusé de céder le pouvoir avant les élections.

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