Après la prise d’une base aérienne stratégique en Libye, la Turquie affirme sa présence militaire en Afrique du Nord
Dans la nuit du 17 au 18 mai, les forces du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli ont repris le contrôle de la base aérienne d’al-Watiya, à 130 km au sud-ouest de la capitale.
Cette base aérienne qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de la frontière tunisienne avait été capturée par les forces de l’Armée nationale libyenne (ANL) en août 2014 et faisait office de quartier général des forces du maréchal Khalifa Haftar pour l’ouest libyen. C’est de là qu’il coordonnait l’assaut sur Tripoli.
L’offensive des troupes du GNA en direction de la frontière tunisienne a débuté le 13 mai avec un appui aérien des drones Bayraktar turcs.
Vers « la grande victoire »
Le 17 mai, très tard dans la soirée, des frappes aériennes ont ciblé notamment les systèmes antiaériens Pantsir livrés par les Émirats arabes unis (EAU) aux forces de l’ANL il y a deux ans pour protéger les infrastructures sensibles et les convois des bombardements de drones.
L’apport des Pantsir dans l’offensive menée par les forces de Khalifa Haftar a été déterminant et a permis d’éliminer des dizaines de drones armés turcs. Déterminant mais pas décisif. Pour preuve, la destruction de deux de ces systèmes à 24 heures d’intervalle les 16 et 17 mai.
Traduction : « Preuve de l’existence d’un système de missile de défense aérienne Pantsir de fabrication russe, filmé dans la base aérienne d’al-Watiya par @jalaljuma8, aujourd’hui 18/5. Prétendument payé et fourni par les EAU en violation manifeste de l’embargo sur les armes de l’ONU – ce qui devrait également impliquer les soutiens de Haftar dans ses crimes en Libye. »
Un Pantsir calciné ainsi que sa documentation complète ont été retrouvés dans un abri à avions dans la base d’al-Watiya après son évacuation.
Au moins un hélicoptère de combat Mi-35 opérationnel, un lance-roquettes multiple tchèque et un blindé léger égyptien Terrier ont été retrouvés sur la base.
Fayez al-Sarraj, le chef du GNA, a confirmé lundi la chute de la base aérienne. Dans un communiqué, il a déclaré qu’elle avait rejoint « les villes libérées de l’ouest de la Libye » et que la prise de cette base stratégique allait « rapprocher les Libyens du jour de la grande victoire ».
Selon Jalel Harchaoui, analyste et spécialiste de la Libye à l’Institut Clingendael à La Haye, la capture de la base aérienne est un coup dur pour le général Haftar, qui la contrôlait depuis 2014. « La chute d’al-Watiya a révélé la confusion et le manque de coordination du côté de l’ANL », relève-t-il.
Que signifie la perte d’al-Watiya pour l’ANL et surtout pour la Turquie ? Peut-être la sanctuarisation de la présence militaire turque dans la région comme à Chypre, divisée et érigée en bastion par l’armée turque depuis 1974.
La prise d’al-Watiya donne la possibilité à la Turquie pour la première fois depuis le début de la guerre en Libye d’avoir une base aérienne permanente, bien défendue, et à l’infrastructure énorme.
Une ligne rouge pour Le Caire
Mieux, selon des médias russes et ukrainiens, la Turquie aurait reçu en décembre 2019 deux batteries de missiles antiaériens russes modernisés en Ukraine (Petchora S-125 de moyenne portée) venant compléter les équipements antiaériens de courte portée envoyés par la Turquie.
Le déploiement de ces deux régiments pourrait permettre de couvrir la capitale et la base d’al-Watiya et prévenir les bombardements aériens.
Si la Turquie parvenait à établir une base aérienne permanente en Libye, cela aurait des conséquences sur les relations avec l’Égypte, qui considère la présence turque à ses frontières comme une ligne rouge. Le Caire aura ainsi un argument solide pour envoyer ouvertement des forces et prétendre à des bases en Libye, ce qu’elle fait en ce moment, mais de manière discrète.
Traduction : « Livraisons d’Ukraine à la Turquie de systèmes de missiles antiaériens S-125M1 Pechora-M1. Du côté [du site russe] bmpd, on note que les systèmes de défense aérienne S-125M1 sont apparemment achetés par la Turquie pour une livraison ultérieure aux forces du Gouvernement [GNA]. »
Les voisins tunisien et algérien, tous deux largement englobés dans la couverture de cette éventuelle base aérienne, se trouvent dans une position très compliquée.
La présence d’une telle base si proche de la frontière ajoute un peu plus de pression sur Tunis, déjà embarrassé par cet encombrant allié turc qui contribue largement à son budget militaire et pourrait ainsi potentiellement augmenter son emprise.
Surtout après les accusations de l’axe Abou-Dabi-Le Caire au sujet de vols présumés « suspects » en provenance de Turquie et ayant atterri en Tunisie. Des contrôles effectués à Djerba ont pourtant prouvé qu’il s’agissait d’envois humanitaires pour lutter contre le COVID-19 en Tunisie et en Libye.
Pour Alger, hostile à la présence de forces étrangères dans la région, cette nouvelle base sera sans doute perçue comme une menace.
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