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Maroc : Abdelilah Benkirane, le grand absent des élections

Limogé par Mohammed VI en 2017 avant d’être évincé de la direction de son parti, l’ex-chef du gouvernement Abdelilah Benkirane boude les élections. Une première depuis 24 ans
Le soir du 13 novembre 2015, le fils de Hémana Sahbi a été tué sur un trottoir du 11e arrondissement de Paris (AFP/Thomas Samson)
« Benkirane n’a pas choisi cette retraite, elle lui a été imposée. Il en garde une certaine amertume », confie un responsable du PJD (AFP/Fadel Senna)

Tour à tour député, secrétaire général du Parti justice et développement (PJD) et chef du gouvernement de 2011 à 2017, Abdelilah Benkirane boude, pour la première fois depuis 1997, les élections législatives qui se tiennent en même temps que les élections communales et régionales, le 8 septembre.

En 24 ans, c’est la première fois que le tribun islamiste, célèbre par ses petites phrases assassines à l’adresse de ses adversaires, est totalement absent du scrutin et même de la campagne électorale, au moment où le parti qu’il a dirigé de 2008 à 2017 risque plus que jamais de perdre sa place de première force politique du Maroc.

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À la demande insistante de plusieurs membres du PJD, il a consenti à rompre le silence, dimanche 5 septembre, pour surtout vilipender dans un live diffusé sur sa page Facebook son ancien adversaire Aziz Akhannouch, président du Rassemblement national des indépendants (RNI), troisième fortune du pays et ministre de l’Agriculture décrit comme proche du Palais, qui espère passer devant le parti à la lampe à grand renfort de moyens.

Mais Abdelilah Benkirane n’est pas allé jusqu’à donner une consigne de vote.

« Bien entendu, plusieurs frères m’ont contacté pour me demander de participer à la campagne, ce que je n’ai pas voulu faire. Hier, un ami, qui n’est pas islamiste, m’a demandé de faire ce que je peux », raconte Abdelilah Benkirane, avant d’appeler ses partisans à aller voter. « Je voterai pour mon parti naturellement mais je ne vous demande pas dans ce live de voter pour le PJD », lance-t-il.

« Une retraite subie »

« Benkirane n’a pas choisi cette retraite, elle lui a été imposée. Il en garde une certaine amertume », confie à Middle East Eye un responsable du PJD. Une retraite qui dure depuis 2017.

Après la victoire du PJD aux élections législatives de 2016, Mohammed VI avait reconduit Abdelilah Benkirane à la tête du gouvernement pour former une nouvelle coalition.

Mais il n’avait pas réussi à trouver de formule viable, en raison de certaines conditions exigées par le RNI d’Aziz Akhannouch, notamment celle d’inclure dans le gouvernement l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et l’Union constitutionnelle (centre libéral), une condition refusée alors par Benkirane.

En mars 2017, après un blocage gouvernemental inédit de cinq mois, le roi avait alors limogé son chef du gouvernement et nommé à sa place Saâdeddine el-Othmani, alors numéro 2 du parti.

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« Lorsqu’Aziz Akhannouch m’a fait sa proposition, je voulais rendre les clés à Sa Majesté. Mais les instances du parti m’ont dit de ne pas le faire. Ils m’ont demandé de patienter », racontait-il le 25 mars 2017 devant une commission du PJD en prévenant : « Je ne me retirerai pas. Je continuerai à m’exprimer en tant que secrétaire général du parti. »

Évincé de son poste de chef du gouvernement, Benkirane espérait ainsi se maintenir à la tête du parti, une manière de garder la main sur l’appareil, sur ses troupes.

Mais c’était sans compter certains de ses anciens lieutenants, notamment les anciens ministres de son parti qui s’étaient opposés à un troisième mandat de Benkirane à la tête du parti.

« Le PJD n’est pas une zaouïa [confrérie soufie dont le chef est vénéré comme un saint], c’est une affaire de principes », avait alors réagi l’ancien ministre et membre du bureau politique Lahcen Daoudi. Quelques mois plus tard, le PJD écartait Abdelilah Benkirane du secrétariat général et le remplaçait par Saâdeddine el-Othmani.

« Cette mise à l’écart du parti a provoqué la colère de nombreux militants. D’ailleurs, sur les 231 membres qui avaient voté au conseil national, 101 s’étaient prononcés en faveur du changement de statuts qui aurait permis [à Benkirane] de briguer un nouveau mandat. Cela a créé une division au sein de nos instances, le parti ne s’en est pas encore remis », commente à MEE un membre du conseil national du PJD

« Benkirane considère que la victoire du PJD aux élections de 2016 était la sienne d’abord, et même que le parti est le sien »

- Un proche d’Abdelilah Benkirane

« Benkirane considère que c’est totalement injuste car c’est lui qui a permis au parti d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir. En 2011, le PJD a gagné les élections après s’être opposé au Mouvement du 20 février [mouvement de contestation né dans le sillage du Printemps arabe]. En 2016, il avait permis au parti de remporter 125 sièges au Parlement contre 107 en 2011. Il considère que cette victoire était la sienne d’abord, et même que le parti est le sien », confie aussi à MEE un proche de l’ancien secrétaire général.

Depuis, Abdelilah Benkirane fait de rares apparitions sur les réseaux sociaux pour s’exprimer sur certaines décisions du parti, une manière de mesurer sa popularité face à celle de son successeur Saâdeddine el-Othmani.

En attendant le congrès

La plus récente a eu lieu en mars : l’ancien chef du gouvernement a annoncé sur Facebook le gel de son adhésion au PJD à la suite de l’adoption, par le conseil du gouvernement présidé par Saâdeddine el-Othmani, d’un projet de loi légalisant l’usage thérapeutique du cannabis, tout en décidant de rompre ses relations avec l’actuel chef du gouvernement ainsi qu’avec les membres du secrétariat général du parti Mustapha Ramid, Mohamed Amekraz, Aziz Rebbah et Lahcen Daoudi.

« C’est en grande partie à cause de cette sortie que 48 députés du parti ont voté contre le projet de loi au Parlement alors même que le texte émane à l’origine d’un gouvernement que nous dirigeons », témoigne un député, comme pour illustrer le fait que le PJD serait devenu un parti bicéphale.

Une démonstration de popularité qui témoignerait, selon plusieurs sources au PJD, de la volonté de Benkirane de revenir sur la scène politique.

« Comme il lui a été refusé un troisième mandat à la tête du parti, il essaie de rester visible auprès de ses sympathisants en attendant de pouvoir faire son retour »

- Un proche d’Abdelilah Benkirane

« Comme il lui a été refusé un troisième mandat à la tête du parti, il essaie de rester visible auprès de ses sympathisants en attendant de pouvoir faire son retour », constate un proche de l’ex-chef de l’exécutif.

Mais l’ex-chef du gouvernement a toujours entretenu le doute sur ses projets.

En juillet, la branche régionale du PJD a proposé à l’unanimité sa candidature aux élections législatives dans la ville de Salé, le fief où il a toujours remporté un siège de député de 1997 à 2016, proposition qui devait recevoir l’aval de Saâdeddine el-Othmani.

Après avoir laissé planer le doute durant deux semaines, Benkirane a finalement refusé de se porter candidat. Mais beaucoup de ses proches n’excluent pas son retour à la tête de la formation islamiste en cas de déroute électorale le 8 septembre.

Selon les statuts du parti, il pourra se porter candidat à la succession d’el-Othmani au prochain congrès du parti.

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