Nabil Ayouch et le Maroc « hauts et forts » à Cannes 2021 ?
Ce jeudi 15 juillet est dévoilé, en compétition officielle du Festival de Cannes 2021, le nouveau film de Nabil Ayouch, Haut et fort, également connu sous le titre international Casablanca Beats.
Son synopsis officiel évoque l’histoire d’Anas (Anas Basbousi), ancien rappeur engagé dans le centre culturel d’un quartier populaire de Casablanca et qui va encourager les jeunes à se libérer du poids de certaines traditions pour vivre leur passion et s’exprimer à travers la culture hip hop.
Il n’est pas interdit de penser que, par son sujet, le neuvième long métrage du cinéaste franco-marocain interpelle le président du jury, le réalisateur américain Spike Lee, connu pour son engagement en faveur de ce qui a trait à l’Afrique ainsi que pour son amour des musiques urbaines contemporaines qui transparaissent dans nombre de ses films.
Haut et fort est écrit par Nabil Ayouch lui-même (avec la collaboration de l’actrice, scénariste et réalisatrice Maryam Touzani) et a été tourné entre 2018 et 2019 à Casablanca, plus précisément dans le quartier de Sidi Moumen, situé dans la périphérie-est de la capitale économique marocaine.
C’est dans ce même quartier qu’Ayouch fonda en 2014, avec le peintre écrivain Mahi Binebine, le centre culturel des Étoiles de Sidi Moumen, où s’implante l’action du film.
Ce centre (géré par la fondation Ali Zaoua créée par le même Ayouch en 2009) a pour vocation d’ouvrir la jeune population de Sidi Moumen à la culture et à l’art, faisant ainsi barrage à la montée du désœuvrement et de l’extrémisme religieux qui avaient notamment conduit, le 16 mai 2003, aux attentats de Casablanca perpétrés par des jeunes endoctrinés issus de ce quartier.
Engagé pour la jeunesse marocaine
Binebine s’est inspiré de cette tragédie pour son roman Les Étoiles de Sidi Moumen (2010), inspirant à son tour Ayouch, qui en tirera le film Les Chevaux de Dieu (2012).
Dans la foulée de la création des Étoiles de Sidi Moumen sont nés des centres similaires à Tanger (2017), Agadir (2019), Fès (2020) et très prochainement Marrakech.
Le sujet et l’intention de Haut et fort s’inscrivent ainsi dans la continuité de la démarche générale d’Ayouch, qui avec ce film, associe sur le terrain et sur grand écran ses engagements à la fois humains et artistiques pour la jeunesse marocaine.
Nabil Ayouch n’en est cependant pas à son coup d’essai avec le thème de la jeunesse, qu’elle soit marocaine ou issue d’autres pays. Nombre de ses films regorgent de jeunes personnages plus ou moins marginaux (que cela soit socialement ou mentalement), et ce, dès son premier court métrage Les Pierres bleues du désert (1992).
Ces jeunes personnages occupent une place centrale dans Ali Zaoua, prince de la rue (2000), Une minute de soleil en moins (2002) et Razzia (2017), et ils sont également présents dans Mektoub (1997), Whatever Lola Wants (2007), My Land (2011), To My Land (2014) et Much Loved (2015).
Les enfants et adolescents du cinéma d’Ayouch peuvent faire office de vecteurs des divers problèmes qui gangrènent leur environnement. Ayouch a recours à différents procédés narratifs et esthétiques – le regard, le jeu, le rêve, etc. – pour signifier cette marginalité dans laquelle ces jeunes personnages se résignent parfois, mais de laquelle ils peuvent aussi tenter de sortir.
Il suffit en effet de constater que le héros-titre d’Ali Zaoua, qui décède pourtant dès le début du film, figure parmi les personnages les plus populaires du cinéma marocain, et qu’il a en outre donné son nom à la fondation citée précédemment, pour réaliser que quelque chose lui survit.
Si Les Chevaux de Dieu s’avère plus fataliste qu’Ali Zaoua et s’achève sur une note particulièrement désespérée, il semblerait que Haut et fort en constitue son pendant lumineux, célébrant en effet la jeunesse marocaine, son dynamisme et ses perspectives à travers ces arts fédérateurs que sont la musique et la danse.
Le titre de travail du film était Positive School, ce qui appuie cette idée d’Ayouch de braquer sa caméra non plus sur l’intérieur du tunnel mais sur la lueur qui s’en situe au bout.
Ce n’est également pas la première fois que Nabil Ayouch situe l’action de l’un de ses films à Sidi Moumen. Dans les années 1990, il y tourne de courts documentaires sur le micro-crédit.
Peu de comédiens professionnels
Son deuxième long métrage, Ali Zaoua, prince de la rue, cède également certaines de ses premières scènes à ce quartier.
Le film suit les pérégrinations de trois enfants des rues, Kwita (Mounïm Kbab), Omar (Mustapha Hansali) et Boubker (Hicham Moussoune), qui tentent par tous les moyens d’offrir à leur défunt camarade Ali (Abdelhak Zhayra) une cérémonie de funérailles digne de ses rêves.
Une douzaine d’années plus tard, Ayouch réalise Les Chevaux de Dieu, dont l’action se situe quasi intégralement à Sidi Moumen. Les personnages principaux de ce film, dont le héros Yachine (Abdelhakim Rachid), sont des enfants que le spectateur est amené à suivre dans leur passage à l’âge adulte et leur embrigadement religieux.
Avec Haut et fort, Ayouch marque ainsi sa troisième incursion cinématographique dans ce quartier et avec sa jeune population. Pour coller au plus près de la réalité qu’il tâche de retranscrire à l’écran, il ne fait pas – ou du moins très peu – appel à des comédiens professionnels et s’investit sur le terrain, prenant le temps de faire la connaissance – et de gagner la confiance – des enfants, adolescents et jeunes adultes qu’il rencontre et auprès desquels il évolue, pour chacun des films, pendant près de deux ans.
Inspiré de certains préceptes du néoréalisme, Ali Zaoua et Les Chevaux de Dieu oscillent ainsi entre fiction et documentaire, le langage et les attitudes des personnages reflétant ceux des comédiens eux-mêmes, surtout dans Ali Zaoua.
Il ne fait que très peu de doute que Haut et fort, tourné avec de jeunes danseurs des Étoiles de Sidi Moumen, s’inscrit dans un processus similaire. Un indice permet de corroborer cette hypothèse : les prénoms des personnages sont les mêmes que ceux des comédiens qui les incarnent, brouillant ainsi les frontières entre le réel et son simulacre.
La sélection de Haut et fort en compétition officielle permet de braquer davantage les projecteurs sur cette cinématographie recelant de nombreuses pépites qui mériteraient tout autant, voire davantage, de figurer à Cannes
Au-delà d’une éventuelle récompense que pourrait remporter Haut et fort à l’issue de Cannes 2021, rappelons qu’il n’est pas le premier film représentant le Maroc en compétition officielle, et encore moins dans ce festival et ses différentes sections en général.
L’histoire du festival est en effet régulièrement attachée, depuis les années 1940 et la présentation de certains films étrangers sous la bannière marocaine, à celle du cinéma au Maroc et/ou marocain.
Reste que la sélection de Haut et fort en compétition officielle permet de braquer davantage les projecteurs sur cette cinématographie recelant de nombreuses pépites qui mériteraient tout autant, voire davantage, de figurer à Cannes. Et de laisser espérer voir les prochains films de Leila Kilani, Faouzi Bensaïdi, Hicham Lasri ou Hakim Belabbès, pour ne citer qu’eux, s’extraire des marges du festival et intégrer à leur tour la compétition officielle.
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