Maroc : le Sahara occidental au cœur de la mission du nouvel ambassadeur auprès de l’UE
Depuis la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, en échange de la normalisation de ses relations avec Israël, le royaume mène une offensive diplomatique tous azimuts pour inciter d’autres puissances à sauter le pas. Particulièrement ses principaux partenaires européens.
Nommé en octobre ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne (UE), Youssef Amrani est l’un des visages qui incarnent cette stratégie. Avec plus de 30 ans passés à différents postes au sein du ministère des Affaires étrangères, ce diplomate est considéré comme un spécialiste d’un des dossiers les plus sensibles en Afrique du Nord : celui du Sahara occidental.
La question du Sahara occidental, ex-colonie espagnole considérée comme un « territoire non autonome » par l’ONU, oppose depuis des décennies le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger, qui a rompu en août 2021 ses relations diplomatiques avec Rabat.
Dimanche 30 janvier, un haut responsable algérien a accusé le Maroc d’« assassiner » des civils « en dehors des frontières internationalement reconnues » et en utilisant « des armes sophistiquées », faisant référence à l’usage de drones.
Recruté en 1978 en tant que secrétaire des affaires étrangères, le diplomate a gravi depuis tous les échelons de la diplomatie marocaine : consul, ambassadeur, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, ministre délégué au même département, chargé de mission au cabinet royal… avec pour fil rouge le dossier du Sahara occidental.
Un profil « inhabituel » dans la mesure où ses prédécesseurs avaient des parcours très différents. C’est le cas par exemple d’Ahmed Rahhou qui, avant de présider aux destinées de cette ambassade stratégique entre 2019 et 2021, avait été nommé à la tête d’une banque et ne pouvait se prévaloir d’aucune expérience dans la diplomatie.
Mais le choix de Youssef Amrani serait notamment dicté « par les tensions avec certains pays européens autour de la question du Sahara et par la nécessité de défendre comme il se doit les intérêts qui y sont liés à Bruxelles », confie à Middle East Eye un fin connaisseur de la diplomatie marocaine.
« Il a déjà manœuvré dans des terrains plus hostiles »
Ancien directeur général de Microsoft en Afrique du Nord et de l’Ouest et ancien ministre de l’Industrie, Ahmed Reda Chami, le prédécesseur d’Ahmed Rahhou, n’avait jamais gravité non plus dans l’univers diplomatique avant de prendre les rênes de cette ambassade en 2016.
Le choix d’Amrani est dicté aussi par le contexte. En brouille diplomatique avec l’Espagne, à cause de l’hospitalisation en avril 2021 de Brahim Ghali, le chef du Polisario, dans un hôpital à Logroño après des complications liées à sa contamination au COVID-19, le Maroc avait rappelé son ambassadrice à Madrid et coupé tous ses liens diplomatiques avec son premier partenaire commercial en Europe.
Depuis, le royaume manœuvre pour que son voisin européen adopte une position plus franche en faveur du plan d’autonomie qu’il propose pour le règlement du conflit.
Le Maroc avait aussi suspendu, en mars 2021, toutes ses relations diplomatiques avec l’Allemagne, lui reprochant en particulier un « activisme antagonique » au lendemain de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Berlin avait alors demandé un huis clos du Conseil de sécurité des Nations unies consacré à la décision prise par Donald Trump.
« Notre diplomatie exige désormais de la franchise de la part de ses partenaires. La mission d’Amrani, qui maîtrise parfaitement ce dossier, est de contribuer à obtenir des reconnaissances de la souveraineté du Maroc sur le Sahara de la part de pays européens. Sachant qu’il a déjà manœuvré dans des terrains plus hostiles », décrypte notre source.
« Son affectation à Pretoria en 2018 avait eu lieu quelques mois avant que l’Afrique du Sud intègre le Conseil de sécurité de l’ONU pour deux années. Il avait alors pour rôle de rallier des personnalités et des institutions sud-africaines au plan d’autonomie »
- Un ancien diplomate à MEE
Le diplomate avait été en effet ambassadeur en Colombie, en Équateur et au Panama avec résidence à Bogota de 1996 à 1999, puis au Chili jusqu’en 2001, avant d’être nommé au Mexique, au Guatemala, au Salvador, au Honduras, au Costa Rica, au Nicaragua et à Belize, des territoires qui étaient – et le sont encore pour certains – hostiles à l’initiative d’autonomie présentée par le Maroc.
Avant sa nomination en tant qu’ambassadeur auprès de l’UE, Amrani était d’ailleurs en poste en Afrique du Sud, pays avec lequel le Maroc avait totalement coupé ses relations diplomatiques en 2004 à la suite de sa reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
« Son affectation à Pretoria en 2018 avait eu lieu quelques mois avant que l’Afrique du Sud intègre le Conseil de sécurité de l’ONU pour deux années. Il avait alors pour rôle de rallier des personnalités et des institutions sud-africaines au plan d’autonomie. C’était difficile vu la position de Pretoria mais il a réussi à défendre la position marocaine à travers des publications et des interventions dans les médias sud-africains », raconte à MEE un ancien diplomate.
Pas de partenariat commercial sans Sahara occidental
Ancien cadre de l’Istiqlal, un parti nationaliste dont la souveraineté marocaine sur le Sahara est un cheval de bataille depuis l’indépendance du pays, l’ambassadeur a désormais la mission de mettre en application une nouvelle doctrine : pas de partenariats commerciaux qui n’incluraient pas le territoire du Sahara occidental.
C’est en substance le mot d’ordre donné par le roi Mohammed VI le 6 novembre à l’occasion du 46e anniversaire de la Marche verte, grande marche vers le Sahara, alors sous occupation espagnole, lancée par le roi Hassan II dans le but de le récupérer : « Nous tenons à exprimer notre considération aux pays et aux groupements qui sont liés au Maroc par des conventions et des partenariats et pour qui nos provinces du sud constituent une partie intégrante du territoire national. En revanche, à ceux qui affichent des positions floues ou ambivalentes, nous déclarons que le Maroc n’engagera avec eux aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain. »
Une mise en garde à peine voilée contre l’Union européenne, dont la Cour de justice venait d’annuler deux accords commerciaux portant sur les produits agricoles et la pêche issus du Sahara occidental entre le royaume et les 27.
L’annulation, prononcée le 29 septembre, faisait suite à un recours introduit par le Polisario. Un camouflet que Rabat n’a pas digéré, bien que l’UE ait fait appel de la décision le 19 novembre pour maintenir les accords.
« Il y a un changement de cap clair. Alors qu’Ahmed Rahhou avait des missions à caractère essentiellement économique, comme celle de faire sortir le Maroc de la liste grise des paradis fiscaux, ou encore la migration et le changement climatique, Youssef Amrani a la mission de renforcer les relations du Maroc avec l’Europe sans rien céder sur le dossier du Sahara », résume l’ancien diplomate.
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