Au Maroc, la sécheresse menace plus que jamais la croissance économique
« Une telle sécheresse n’a pas été observée au Maroc depuis 1981. » Invité le 20 février à une émission de la chaîne 2M, Mohamed Sadiki, le ministre marocain de l’Agriculture, a décrit un déficit hydrique inédit depuis un peu plus de quatre décennies. « 2016 était aussi une année sèche, mais nous disposions alors de réserves en eau dans les barrages, qui nous ont permis de limiter les dégâts », a-t-il souligné.
Une situation très alarmante, comme en témoigne la situation des grands barrages du royaume, dont le taux de remplissage ne dépasse pas les 33 %, contre près de 50 % il y a un an.
Deuxième plus grand réservoir artificiel du Maroc, le barrage d’Al Massira, qui alimente la région agricole de Doukkala et plusieurs villes, dont Casablanca, ne contient plus que 165,5 mètres cubes (m3), soit 6 % de sa capacité normale, son plus bas niveau jamais atteint depuis son inauguration en 1979.
Des années 1960, où la disponibilité en eau était de 2 000 m3 par habitant, à aujourd’hui (620 m3 par habitant), « le Maroc est passé de la gestion de l’abondance à la gestion de la rareté », a souligné Moulay Driss Hasnaoui, chargé de mission au ministère de l’Équipement et de l’Eau, lors d’un webinaire organisé le 18 février par la Chambre de commerce britannique au Maroc.
Le 26 mars, la Banque mondiale a annoncé qu’elle allait allouer un prêt de 180 millions de dollars (163 millions d’euros) pour améliorer la gestion hydrique au Maroc.
Dans un courrier adressé le 17 février aux walis (préfets nommés par le roi) et aux gouverneurs des différentes régions, le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit a appelé à « la mise en œuvre des actions nécessaires à une gestion rationnelle des ressources en eau disponibles ».
Qualifiant la situation de « critique », la correspondance, consultée par Middle East Eye, préconise plusieurs actions, parmi lesquelles « l’application de restrictions sur les débits d’eau distribuée aux usagers », l’interdiction de l’arrosage des espaces verts et du lavage des voies publiques « à partir des eaux conventionnelles » ou encore l’interdiction « des prélèvements illicites d’eau au niveau des forages, des puits, des sources, des cours d’eau et des canaux d’irrigation ».
Le courrier demande également aux gouverneurs d’assurer à la population rurale touchée l’alimentation en eau potable par camions citernes.
Un moteur de l’économie en panne
Trois semaines plus tôt, le wali de la région de Marrakech tirait déjà la sonnette d’alarme en fixant, dans une circulaire, des mesures jusqu’alors inédites, comme l’interdiction du remplissage des piscines plus d’une fois par an, de l’arrosage des stades en cours de journée et du lavage des véhicules « en dehors des emplacements professionnels réservés ».
Car Marrakech est la première grande ville à faire les frais du stress hydrique, suivie d’Oujda (nord-est). D’autres villes risquent d’être touchées dans les mois qui viennent.
Selon une source contactée par MEE à l’Office national de l’électricité et de l’eau (ONEE), établissement public en charge de la production et de la distribution de l’eau potable, « une vingtaine de localités sont touchées actuellement », ce qui représente « quelque 150 000 clients ».
« Au Maroc, gouverner, c’est pleuvoir. » La célèbre phrase attribuée à Théodore Steeg, administrateur colonial français au Maroc de 1925 à 1929, n’est pas dénuée de sens.
Dans un pays où le secteur agricole constitue le premier contributeur au Produit intérieur brut (14 %), la sécheresse s’annonce comme un désastre pour le monde rural et, par ricochet, pour toute l’économie du pays.
Après une très bonne saison agricole en 2021, qui a permis une récolte céréalière de 103 quintaux, le gouvernement d’Aziz Akhannouch tablait sur un taux de croissance de 3,2 % en 2022, sur la base d’une saison agricole moyenne, avec une récolte de 80 quintaux. Un objectif qui ne peut désormais être atteint « vu le très faible niveau de précipitations », affirme à MEE une source au ministère des Finances.
« Or, toute la loi de finances de 2022 a été construite en prévision d’une saison agricole moyenne de 80 quintaux. D’où la discussion actuelle sur la nécessité d’une loi de finances rectificative », poursuit notre source.
Au-delà des effets sur les équilibres macroéconomiques, cette sécheresse se fait d’ores et déjà sentir dans le monde rural.
« Cette année, 3,6 millions d’hectares ont été labourés pour les céréales contre 4,5 millions habituellement. Dans la région de Marrakech et Settat, la situation est difficile, et certaines cultures sont perdues », a admis le ministre sur le plateau de 2M.
Afin de limiter les dégâts, le roi Mohammed VI a demandé, le 16 février, au chef du gouvernement Aziz Akhannouch de lancer un « plan d’urgence » doté de dix milliards de dirhams (près d’un milliard d’euros).
« La moyenne nationale des précipitations a atteint à ce jour 75 mm, enregistrant ainsi un déficit de 64 % en comparaison avec une saison normale. Cette situation climatique et hydrique impacte négativement le déroulement de la campagne agricole, particulièrement les cultures d’automne et la disponibilité des pâturages », a indiqué le cabinet royal dans un communiqué, précisant que le roi « a souligné la nécessité pour le gouvernement de prendre toutes les mesures d’urgence nécessaires pour faire face à l’impact du déficit des pluies sur le secteur de l’agriculture ».
Un plan anti-stress hydrique
Bien que nécessaires, les aides qui seront distribuées aux agriculteurs ne représentent qu’une solution éphémère.
« Ces mesures vont aider le monde rural à faire face aux dégâts de cette saison mais le problème est beaucoup plus grave. Le Maroc est confronté depuis plusieurs années à une situation de stress hydrique qui va encore s’aggraver avec la croissance démographique et l’urbanisation de la société », explique à MEE un ancien responsable du département de l’eau.
Selon le World Resources Institute, le royaume figure parmi les pays confrontés à un stress hydrique « très élevé ». « Lorsque la demande rivalise avec les réserves, même de petits épisodes de sécheresse – qui vont augmenter avec le changement climatique – peuvent avoir de terribles conséquences », expliquait l’institut en octobre dernier.
Lors de son intervention au webinaire de la Chambre de commerce britannique, Moulay Driss Hasnaoui a estimé que, durant les prochaines années, « les précipitations [allaient] connaître des réductions de 10 à 30 %, selon les régions ».
Des facteurs sur lesquels le gouvernement doit désormais fonder sa politique de gestion des ressources hydriques.
« La politique des barrages ayant montré ses limites, il fallait adopter de nouvelles méthodes, comme le dessalement de l’eau de mer et l’épuration des eaux usées, mais les projets lancés dans ce sens depuis quinze ans sont en retard pour la plupart », regrette l’ancien responsable.
En janvier 2020, Mohammed VI avait lancé un programme d’approvisionnement en eau de 115 milliards de dirhams (10,6 milliards d’euros), soit près de 10 % du PIB du Maroc, afin de renforcer les capacités du pays face au stress hydrique, à travers la construction de barrages et d’unités de dessalement d’eau de mer ainsi que la réutilisation des eaux usées.
Un chantier au long cours qui ne résout pas toutefois la crise actuelle. De passage au Parlement le 1er mars, le nouveau ministre de l’Équipement et de l’Eau Nizar Baraka a annoncé un programme d’urgence de deux milliards de dirhams (près 190 millions d’euros) pour assurer en 2022 l’accès à l’eau à près de 2 000 villages.
Le chargé de mission au ministère de l’Eau, Driss Hasnaoui, a évoqué aussi « un programme d’urgence de trois milliards de dirhams [277 millions d'euros] pour répondre à la problématique actuelle liée à la rareté des ressources hydriques dans les zones touchées par la sécheresse ».
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