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La clé des ambitions du Maroc en matière de véhicules électriques se trouve peut-être au milieu du désert

Pour compléter la production de véhicules électriques, le royaume se concentre sur le développement de ses propres batteries et des discussions sont en cours avec les constructeurs automobiles européens
Le Maroc disposerait de l’un des gisements de cobalt les plus purs au monde (Managem)
Le Maroc disposerait de l’un des gisements de cobalt les plus purs au monde (Managem)

Le Maroc espère faire franchir un cap à son secteur minier bien établi et développer son industrie des véhicules électriques, en cherchant à progresser dans la chaîne de valeur de la production automobile et à stimuler la création d’emplois.

Avec dix milliards de dollars d’exportations, ce pays du Maghreb est devenu un pôle de fabrication automobile. En 2018, le royaume a dépassé l’Afrique du Sud en tant que premier producteur de véhicules de transport de personnes du continent.

Un ouvrier de l’usine PSA, à Kénitra, le 21 juin 2019 (AFP/Fadel Senna)
Un ouvrier de l’usine PSA, à Kénitra, le 21 juin 2019 (AFP/Fadel Senna)

Cela représente une victoire pour Rabat, qui a donné la priorité aux investissements dans les infrastructures et aux réformes favorables aux entreprises afin de stimuler l’industrie manufacturière nationale.

Avec 220 000 Marocains salariés dans le secteur automobile, le pays cherche aujourd’hui à se positionner comme un pôle de production des véhicules électriques.

« Le prochain plus grand défi pour l’industrie automobile au Maroc est la transition vers les voitures électriques », explique à Middle East Eye Rachid Aourraz, cofondateur du Moroccan Institute for Policy Analysis.

Jusqu’à présent, le Maroc semble faire son petit bonhomme de chemin. En 2020, Citroën, la marque automobile française du groupe Stellantis, a présenté une voiturette électrique produite dans son usine de la ville côtière de Kénitra. De plus en plus d’entreprises lui emboîtent le pas.

Le constructeur chinois de véhicules électriques BYD a récemment signé un accord préliminaire en vue d’ouvrir une usine à la cité Mohammed-VI Tanger Tech et Stellantis a annoncé en août que sa filiale allemande de construction automobile Opel commencerait à produire des véhicules électriques (VE) au Maroc.

Cobalt éthique

Othmane Kotari, conseiller principal pour le Maroc et l’Afrique du Nord chez Albright Stonebridge Group, précise à MEE que le royaume se concentre particulièrement sur le développement de ses propres batteries pour compléter la production de véhicules électriques.

« Des discussions sont en cours avec les constructeurs automobiles européens pour allouer des ressources au développement de batteries de VE », rapporte-t-il.

La production de batteries suscite un intérêt particulier au Maroc, compte tenu des gisements de cobalt du pays, ce métal rare essentiel à la production des batteries lithium-ion des véhicules électriques.

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La quasi-totalité du cobalt marocain provient de la province méridionale de Ouarzazate, de la mine Bou Azzer détenue par Managem, une société cotée à la bourse de Casablanca dont la famille royale détient une participation.

Cet été, le ministre de l’Énergie et des Mines, Aziz Rebbah, a annoncé que le gouvernement mettrait l’accent sur l’accroissement de la production de « métaux stratégiques », surtout ceux utilisés dans le secteur des énergies renouvelables.

La quantité de cobalt au Maroc, estimée entre 2 à 3 % des réserves mondiales, fait pâle figure par rapport au principal producteur d’Afrique, la République démocratique du Congo (RDC), qui produit environ 70 % du cobalt mondial.

Pourtant, la réputation du cobalt de RDC a été ternie par des rapports faisant état de travail des enfants et de conditions de travail dangereuses et inhumaines. Yassine Belkabir, fondateur et directeur général d’AB Mining Consultants à Casablanca, affirme que cela a permis à l’industrie minière marocaine de se démarquer de son concurrent africain.

« Le cobalt marocain est soumis à une surveillance environnementale et sociale plus étroite », assure-t-il. « La chaîne de production du cobalt est généralement transparente, responsable et traçable de la mine au produit final. »

« La demande en cobalt pour les dix prochaines années est énorme. Le marché est déjà déficitaire »

- Amine Afsahi, directeur général des ventes et du marketing chez Managem

Mohamed Amine Afsahi, directeur général des ventes et du marketing chez Managem, précise à MEE que cela a permis à l’entreprise de facturer plus cher son cobalt.

« Les acheteurs veulent répartir les risques », affirme-t-il, soulignant l’instabilité politique en RDC, tout en ajoutant que Managem a pris des mesures pour prouver que son cobalt est extrait conformément aux normes de durabilité. 

L’année dernière, la société a signé un accord avec BMW pour la fourniture au constructeur automobile allemand d’environ un cinquième de ses besoins en cobalt pour la cinquième génération de ses chaînes de traction électriques. Le constructeur automobile a médiatisé cet accord, qui s’étendra sur une période de cinq ans, comme témoignage de son engagement à s’approvisionner en métal de manière éthique.

Pour Amine Afsahi, l’accord n’est « que la première pièce du puzzle », et d’autres accords avec d’autres constructeurs automobiles sont en préparation. « La demande en cobalt pour les dix prochaines années est énorme. Le marché est déjà déficitaire. »

Des investisseurs intéressés

Mais selon Othmane Kotari, l’objectif du Maroc est stratégique : aller au-delà de la simple fourniture de la matière première pour la traiter à l’intérieur du pays et l’utiliser dans des batteries fabriquées sur place. « Ils veulent lier le cobalt à la fabrication de VE », explique-t-il.

Il ajoute que le soutien du gouvernement à ce projet et la présence d’un pôle de fabrication automobile déjà considérable dans le pays ont suscité l’intérêt des investisseurs. 

« L’idée est de construire un écosystème autour de la batterie de VE, allant de la marchandise au recyclage des batteries usagées. Tous les composants sont déjà là. »

Situé à 120 km au sud de la ville de Ouarzazate, Bou-Azzer a été découvert en 1928 alors que le Maroc était sous protectorat colonial français (Photo : Managem)
Situé à 120 km au sud de la ville de Ouarzazate, Bou-Azzer a été découvert en 1928 alors que le Maroc était sous protectorat colonial français (Managem)

Contrairement à d’autres pays, où ce métal est un sous-produit de l’extraction du cuivre et du nickel, le cobalt marocain est un produit primaire et connu pour être l’une des variétés les plus pures au monde.

Managem exporte près de 100 % du cobalt de sa mine marocaine. Yassine Belkabir fait remarquer que passer d’exportateur à utilisateur du métal nécessitera des « investissements supplémentaires » dans le secteur. 

La majeure partie du cobalt produit par le Maroc sous sa forme actuelle – sous forme de cathode découpée – ne convient pas directement aux batteries lithium-ion des VE. Le métal doit subir une conversion chimique via un processus de transformation sous forme de sulfate.

Amine Afsahi signale que Managem s’est engagé à réaliser cet investissement et est en pourparlers avec les fabricants de VE et de batteries au sujet de futurs partenariats : « Le cobalt que nous extrayons sera traité ici au Maroc pour produire des matériaux pour les batteries. »

 « L’État veut se spécialiser davantage dans l’industrie automobile, mais cela ne peut se faire sans R&D, et l’État n’a pas les fonds pour le moment »

- Rachid Aourraz, cofondateur du Moroccan Institute for Policy Analysis

Bien que le gouvernement ait fortement appuyé les efforts visant à développer l’industrie des véhicules électriques, il reste des défis à relever. « L’État veut se spécialiser davantage dans l’industrie automobile, mais cela ne peut se faire sans R&D, et l’État n’a pas les fonds pour le moment », reconnaît Rachid Aourraz.

Michael Tanchum, chercheur non résident du programme Économie et Énergie du Middle East Institute, explique à MEE que le royaume a réussi à attirer des investissements étrangers, ajoutant que ce développement correspondrait à l’objectif du gouvernement de stimuler la production nationale dans l’industrie automobile.

« La fabrication locale de composants au Maroc a fait du royaume le cœur de la fabrication automobile en Afrique », estime-t-il. « La production de batteries de VE au Maroc stimulerait l’expansion de son secteur de fabrication de VE. »

Si la demande de cobalt devrait rester élevée pendant un certain temps, l’un des défis pour l’industrie minière est que les producteurs de batteries recherchent déjà des alternatives à ce métal coûteux. 

Les véhicules actuels de Tesla contiennent moins de 5 % de cobalt et la société a annoncé en septembre 2020 qu’elle développait des batteries sans cobalt. De même, le constructeur automobile GM a dévoilé l’année dernière un nouveau système de batterie qui utilise 70 % de cobalt en moins par rapport à ses modèles actuels.

Le cobalt marocain doit subir une conversion chimique pour être utilisé dans les batteries de VE (Photo : Managem)
Le cobalt marocain doit subir une conversion chimique pour être utilisé dans les batteries de VE (Managem)

Afsahi affirme que la demande restera forte : « Les besoins en cobalt ne disparaîtront jamais. » Managem est en discussions « vraiment avancées » avec des fabricants étrangers de VE et de batteries, poursuit-il, afin de développer le recyclage du cobalt des batteries usagées, ce qui pourrait se faire dans deux ans à peine.

« C’est l’avenir, et c’est une activité très attrayante qui a un rendement élevé et moins de risques que l’exploitation minière », s’enthousiasme-t-il. « Vous produisez le cobalt, vous le livrez aux fabricants, puis vous le recyclez. »

Fait important pour les investisseurs, le gouvernement semble désireux de développer cette industrie. « Ils veulent faciliter les investissements autour de ce secteur », assure Othmane Kotari. 

Des signes tangibles de l’engagement du royaume sont déjà visibles. En plus de produire des véhicules électriques d’entrée de gamme tels que l’AMI de Citroën à Kénitra, le Maroc est devenu cette année le premier pays d’Afrique à se procurer des bornes de recharge Tesla.

Ce sont ces initiatives, ainsi que le soutien du puissant palais royal, qui ont créé un engouement palpable autour de ce secteur.

« La production marocaine de batteries de VE pourrait bientôt se profiler à l’horizon », conclut Michael Tanchum. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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