Neom : 50 ans de prison pour des membres d’une tribu qui refusent d’être déplacés
Deux membres de la tribu des Howeitat, une tribu saoudienne déplacée de force pour laisser place à la mégapole de Neom qui coûtera 500 milliards de dollars, ont été condamnés à de longues peines de prison pour avoir protesté contre le projet, rapporte une organisation britannique de défense des droits de l’homme.
Abdulilah al-Howeiti et son cousin Abdullah Dukhail al-Howeiti ont tous deux été condamnés à 50 ans de prison, assortis de 50 ans d’interdiction de voyager, pour avoir soutenu le refus de leur famille d’être chassés de chez eux dans la province de Tabuk, au Nord-Ouest de l’Arabie saoudite selon Alqst.
Les jugements dans ces deux affaires, rendus par la Cour pénale spéciale d’appel en août, s’inscrivent dans une série de longues peines similaires décidées par les tribunaux saoudiens cet été.
Deux femmes – Salma al-Shehab (doctorante à l’université de Leeds et mère de deux enfants) et Nourah bint Saeed al-Qahtani (mère de cinq enfants) – ont été condamnées respectivement à 34 et 45 ans de prison pour des tweets critiquant le gouvernement saoudien.
Osama Khaled, journaliste, traducteur et programmeur, a été condamné à 32 ans en raison d’« allégations relatives à la liberté d’expression », annonçait Alqst la semaine dernière.
« Un schéma dangereux »
Selon des informations non vérifiées, un tribunal saoudien aurait également condamné récemment un troisième membre des Howeitat à une longue peine de prison.
« Les longues peines de prison à l’encontre des membres de la tribu des Howeitat suivent actuellement un schéma dangereux en Arabie saoudite », confie à Middle East Eye Ramzi Kaiss, chargé de mission et juriste à l’organisation MENA Rights Group.
Kaiss explique que, depuis que le président américain Joe Biden s’est rendu en Arabie saoudite en juillet, « les autorités judiciaires et sécuritaires de l’État saoudien ont adopté une approche plus répressive contre les individus exerçant leur droit à la liberté d’expression ».
Lina al-Hathloul, qui dirige la surveillance et la communication au sein d’Alqst, déclare : « Cela devient une nouvelle tendance. Personne ne sera épargné. Je pense que quiconque fait se fait arrêter aujourd’hui sera condamné à une longue peine. »
Le projet Neom a été annoncé par le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) en 2017, lorsqu’il a promis la construction d’une ville futuriste sur la côte Nord-Ouest de l’Arabie saoudite.
Jusqu’à présent, les constructions restent modestes, mais de larges sommes ont été versées aux consultants et des plans de plus en plus excentriques révélés. Mais les autorités saoudiennes ont cherché à dégager les zones le long de la province de Tabuk, sur 170 km, de leurs habitants, dont beaucoup appartiennent à la tribu des Howeitat.
Les déplacés auraient reçu jusqu’à un million de riyals (266 000 dollars) d’indemnités compensatoires pour les propriétaires de biens immobiliers et 100 000 riyals (27 000 dollars) pour ceux dont les biens sont plus petits. Cependant, les habitants déplacés de Tabuk percevraient plutôt 3 000 dollars environ selon les informations précédemment transmises à MEE.
« Ils sont terrifiés. Absolument terrifiés »
Depuis décembre, les membres de la tribu des Howeitat signalent l’escalade de la campagne des autorités saoudiennes pour les chasser de leurs terres. Parmi les nouvelles mesures figurent les coupures d’eau et l’électricité et le survol par des drones de surveillance.
Les deux hommes condamnés figurent parmi les 150 Howeitat qui ont été emprisonnés pour leur résistance au projet Neom selon Alya al-Howeiti, activiste vivant au Royaume-Uni et membre de cette tribu.
Elle a indiqué que parmi les membres emprisonnés figurent les proches d’Abdul Rahim al-Howeiti, habitant de Tabuk abattu en avril 2020 à l’âge de 43 ans par les forces spéciales saoudiennes après avoir protesté contre les ordres d’expulsion du gouvernement, notamment dans des vidéos qu’il postait régulièrement sur YouTube.
Les forces saoudiennes prétendent qu’il avait ouvert le feu et qu’elles ont été contraintes de riposter, ce que démentent avec véhémence les membres de la tribu.
L’un des frères d’Abdul Rahim est incarcéré et en grève de la faim depuis un mois, a indiqué Alya al-Howeiti à MEE.
La nouvelle initiative du gouvernement pour surveiller et chasser la tribu a débuté par l’arrestation d’un groupe d’hommes en décembre pour avoir planifié une manifestation pacifiste, poursuit Alya al-Howeiti.
« Ils étaient rassemblés et ont entendu un drone au-dessus d’eux », raconte-t-elle. « Puis quelques minutes plus tard, plus d’une cinquantaine de jeeps sont arrivées et ils ont été arrêtés ».
Les membres de la tribu affirment que des drones survolent régulièrement la province de Tabuk et ils pensent que leurs téléphones portables et leurs comptes sur les réseaux sociaux sont surveillés de près.
Les membres de la tribu affirment que des drones survolent régulièrement la province de Tabuk et ils pensent que leurs téléphones portables et leurs comptes sur les réseaux sociaux sont surveillés de près
« Ils sont terrifiés. Absolument terrifiés », poursuit-elle. « Ils sont surveillés. Donc même s’ils écrivent quelque chose de manière anonyme, ils se font arrêter. »
Alya al-Howeiti ajoute que ses sources lui ont indiqué que l’eau et l’électricité avaient été coupées à environ 15 000 personnes afin de tenter de chasser les gens de la région.
La nouvelle mégapole saoudienne – 33 fois la superficie de New York selon ses commanditaires – comprendra une ville sur une ligne droite de 170 km, une ville octogonale flottante, une station de ski avec un village vertical entre autres projets grandioses à l’architecture ambitieuse.
Lettre ouverte
La tribu et les organisations de défense des droits de l’homme ont fait part de leurs inquiétudes aux sociétés travaillant sur Neom, notamment dans une lettre ouverte à trois cabinets de consultants peu après la mort d’Abdul Rahim, les appelant à rompre leur engagement « à moins et jusqu’à ce que » les impacts néfastes en termes de droits de l’homme soient traités.
MEE a sollicité ces mêmes cabinets (Boston Consulting Group, McKinsey et Oliver Wyman) concernant les allégations répétées d’atteintes aux droits de l’homme que subissent les Howeitat.
Un porte-parole de Boston Consulting Group a déclaré : « Nous ne faisons aucun commentaire concernant des clients ou des projets spécifiques pour protéger la confidentialité. » Les autres cabinets n’ont pas répondu.
« Ces sociétés doivent condamner les atteintes commises et envisager de revoir leur implication dans les projets qui promeuvent les atteintes aux droits de l’homme à grande échelle », indiquent Kaiss.
« Si rien n’est fait pour corriger ou atténuer ces atteintes, alors ces sociétés doivent en toute responsabilité rompre leur engagement dans ces projets et avec les autorités qui promeuvent les abus, au lieu de causer davantage de dommages. »
Le gouvernement saoudien et Neom n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].