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Culte juif à la mosquée al-Aqsa : les raisons de la controverse

La prière juive dans ce lieu saint de Jérusalem est problématique tant pour les musulmans que de nombreux juifs. Voici pourquoi
Le ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir prie à la mosquée al-Aqsa, le 3 janvier (réseaux sociaux)
Le ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir prie à la mosquée al-Aqsa, le 3 janvier (réseaux sociaux)

Les incursions des colons israéliens ultranationalistes dans la mosquée al-Aqsa de Jérusalem-Est occupée se sont multipliées ces dernières années, provoquant régulièrement les Palestiniens et les musulmans à travers le monde.

Le complexe de la mosquée al-Aqsa, également appelé Haram al-Sharif ou esplanade des Mosquées, se trouve sur un plateau que les juifs appellent le mont du Temple.

Pendant des siècles, la prière juive dans les jardins de la mosquée a été interdite, y compris par divers gouvernements israéliens, et cette pratique est très controversée parmi les musulmans et les juifs.

Middle East Eye se penche sur les raisons pour lesquelles la prière juive dans ce lieu saint est si sensible :

Pourquoi ce site est-il important ?

Pour les juifs religieux, le mont du Temple est le lieu le plus saint du judaïsme. Ce serait l’endroit où se dressaient les deux temples qui étaient autrefois au cœur des royaumes juifs antiques, selon les Écritures et les études archéologiques.

Le seul vestige restant du Second Temple – initié par Hérode le Grand et détruit par les Romains en 70 en représailles à une rébellion juive – est le Mur occidental, dit des Lamentations, qui est le lieu le plus saint pour la prière juive dans la ville.

Au sommet de la colline se tient la mosquée al-Aqsa, vaste complexe de jardins, de lieux de prière et de sanctuaires, avec notamment le Dôme du Rocher et sa coupole dorée. La mosquée est l’un des lieux les plus saints de l’islam.

Des juifs prient au mur des Lamentations à Jérusalem après la conquête israélienne de Jérusalem-Est, le 9 juin 1967 (AFP)
Des juifs prient au mur des Lamentations à Jérusalem après la conquête israélienne de Jérusalem-Est, le 9 juin 1967 (AFP)

L’Empire ottoman s’est emparé de Jérusalem en 1517 et a contrôlé la ville pendant 400 ans, avant que les Britanniques ne s’en emparent à leur tour lors de la Première Guerre mondiale.

Les dirigeants ottomans se sont efforcés d’empêcher les affrontements confessionnels dans la ville – pas uniquement entre juifs et musulmans, mais également entre les diverses confessions chrétiennes revendiquant l’autorité sur les lieux saints, et ont promulgué une série d’édits esquissant la division du contrôle de la ville.

En 1757, le sultan Osman III a promulgué un décret établissant ce qui a pris le nom de « statu quo ». Outre le fait de tenter de prévenir les querelles intestines entre chrétiens concernant des endroits tels que l’église du Saint-Sépulcre, le statu quo a réaffirmé l’interdiction pour les non-musulmans d’entrer à al-Aqsa et le droit pour les juifs d’utiliser le mur des Lamentations pour la prière.

Depuis 1921, le grand-rabbinat de Jérusalem interdit lui aussi officiellement aux juifs de pénétrer sur le mont du Temple. Cet édit stipule qu’il est interdit de pénétrer sur le site à moins d’atteindre la « pureté rituelle », ce qui est considéré impossible de nos jours.

Selon le rabbinat, le monde du Temple est le Saint des saints, une zone sur terre où est apparue la présence de Dieu. Par conséquent, poser le pied sur le site risque de le désacraliser.

D’après le Centre des affaires publiques et de l’État, un centre de recherche israélien indépendant, « en interdisant l’accès au mont du Temple, les rabbins suivaient l’opinion de Maïmonide selon laquelle la Shechinah (présence divine) est toujours présente sur le site du Temple ».

« Il est interdit d’y entrer et cet acte est passible de kareth (mort par décret céleste), étant donné que les juifs n’atteignent pas la pureté rituelle aujourd’hui en l’absence d’une génisse rousse, dont les cendres sont requises pour le processus de purification. »

La majorité des juifs orthodoxes respectent l’interdiction du rabbinat et, s’il y a eu de nombreuses exceptions au fil des siècles, en général, la prière juive est confinée au mur des Lamentations.

Quand a commencé l’actuel débat sur le culte juif ?

En 1967, Israël s’est emparé de la vieille ville de Jérusalem qui était sous domination de la Jordanie, y compris les lieux saints, et l’occupe depuis. La gestion des sites islamiques a été laissée aux mains des autorités jordaniennes.

Depuis lors, un mouvement qui prend de l’ampleur réclame que les juifs soient autorisés à prier sur le mont du Temple.

Officiellement, les autorités israéliennes maintiennent le statu quo. Bien que le mouvement sioniste ait toujours eu des inflexions religieuses, la plupart des dirigeants israéliens sont laïcs, voire franchement athées. Ainsi, il a généralement été plus important pour les politiciens de prévenir une explosion de colère à travers le monde musulman que de tenter de changer le statu quo concernant le mont du Temple.

Néanmoins, pour beaucoup de religieux juifs, la prise de la vieille ville est très symbolique et certains (y compris de nombreux chrétiens) y voient un signe de la « fin des temps » prophétisée dans les Écritures.

Des musulmans prient à la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le 10 janvier 1997, au premier jour du Ramadan (AFP)
Des musulmans prient à la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le 10 janvier 1997, au premier jour du Ramadan (AFP)

Certains groupes religieux juifs font valoir qu’au-delà d’autoriser simplement la prière sur le mont du Temple, il est impératif de construire un Troisième Temple sur le site, ce qui pourrait présager le retour du Messie et le Jugement dernier.

Cette opinion a longtemps été minoritaire parmi les juifs en Israël et dans le monde entier, mais n’a pas toujours été si marginale.

Une histoire populaire – mais probablement apocryphe – vient du général Uzi Narkiss, qui a mené les forces israéliennes dans la prise de la vieille ville en 1967. Il affirmait que Shlomo Goren, alors chef du rabbinat militaire puis grand-rabbin d’Israël, l’avait exhorté à prendre la vieille ville pour détruire la mosquée al-Aqsa.

Bien que Goren et d’autres démentent le récit de Narkiss, c’était un grand défenseur de la prière sur le mont du Temple et il a provoqué la controverse en août 1967 lorsqu’il a conduit un groupe de fidèles pour prier sur le site. Ses actions ont provoqué l’indignation des musulmans, des juifs laïcs et du grand-rabbinat de Jérusalem, qui a rappelé qu’il était interdit aux juifs de prier sur le site.

Bien qu’au départ il ait nié tout projet de destruction de la mosquée al-Aqsa, il aurait plus tard déclaré que ne pas avoir réussi à la raser était une « tragédie » lors d’une interview à la radio israélienne.

Malgré les restrictions concernant l’entrée des juifs dans les jardins de la mosquée, depuis des années, des groupes de colons pénètrent dans le complexe accompagnés des services de sécurité israéliens. Récemment encore, on les empêchait généralement de pratiquer des rituels religieux (à moins que ce ne soit fait discrètement) pour éviter de provoquer les fidèles musulmans.

La plus célèbre provocation israélienne à al-Aqsa est survenue le 28 septembre 2000, lorsque le chef de l’opposition israélienne de l’époque Ariel Sharon a pénétré dans le jardin escorté par plus d’un millier de policiers israéliens et a déclaré que le lieu resterait à jamais sous le contrôle d’Israël.

Cette visite – autorisée par le ministère de l’Intérieur israélien et qui a eu lieu dans un contexte de négociations de paix – a déclenché l’ire des Palestiniens et a fini par aboutir à la seconde Intifada, laquelle a engendré la mort de plus de 3 000 Palestiniens et de plus d’un millier d’Israéliens en cinq ans.

Qui plaide aujourd’hui pour un culte juif à al-Aqsa ?

Plusieurs organisations plaident aujourd’hui en faveur de la prière juive sur le mont du Temple ainsi que la construction du Troisième Temple, notamment Temple Mount Faithful, Temple Institute et Yaraeh.

Force juive, parti important dans le gouvernement de Benyamin Netanyahou emmené par son ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, est l’héritier idéologique de Meir Kahane, un rabbin israélo-américain qui plaidait pour la transformation d’Israël en théocratie privant de citoyenneté les non-juifs.

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Ben-Gvir et les autres kahanistes considèrent le mont du Temple comme le premier lieu saint des juifs, et certains réclament la démolition de la mosquée al-Aqsa et la construction du Troisième Temple.

Kahaniste de longue date, Ben-Gvir a un long passif d’activités provocatrices liées à al-Aqsa, et a défendu en sa qualité d’avocat les autres activistes en lien avec le mont du Temple.

Ben-Gvir a été arrêté précédemment sur le site pour avoir crié « Am Yisrael Chai » (la nation d’Israël vit) devant des fidèles musulmans en 2015.

Il a indiqué qu’une fois au gouvernement, il encouragerait Netanyahou à établir des « droits égaux pour les juifs » sur le site, même si des sources au Likoud auraient écarté cette idée.

Avant de faire une visite très provocante à al-Aqsa le 3 janvier, Ben-Gvir décrivait la situation à la mosquée comme de l’« apartheid », faisant peut-être délibérément écho au terme utilisé par les Palestiniens pour décrire le traitement qui leur est réservé en matière de droits civiques dans le pays.

« J’irai sur le mont du Temple. Je combattrai le racisme, qui fait qu’un juif ne peut pas boire de l’eau sur le mont du Temple parce qu’il est impur », a-t-il déclaré, parlant à la presse lors d’un rassemblement hebdomadaire de sa faction à la Knesset. « C’est du racisme, c’est de l’apartheid. »

Un autre virulent défenseur de l’autorisation de la prière juive sur l’esplanade est Yehuda Glick, un sioniste religieux né aux États-Unis qui a été député du Likoud entre 2016 et 2019.

Ancien cadre du Temple Institute (organisation publique qui plaide pour la construction du Troisième Temple), Glick a peut-être plus que quiconque tenté de présenter la prière juive sur le site comme une question de liberté religieuse.

Le rabbin et député israélien d’extrême droite Yehuda Glick (au centre) marche pieds nus, escorté par la police israélienne et des partisans, dans la mosquée al-Aqsa en 2017 (AFP)
Le rabbin et député israélien d’extrême droite Yehuda Glick (au centre) marche pieds nus, escorté par la police israélienne et des partisans, dans la mosquée al-Aqsa en 2017 (AFP)

Il dirige actuellement HaLiba, une coalition d’organisations qui vise à « atteindre la liberté globale et complète ainsi que des droits civiques pour les juifs sur le mont du Temple ».

« La discrimination sur le mont du Temple est évidente », affirmait Glick à la Jewish Telegraphic Agency en 2016.

« Le mont du Temple est devenu un centre d’incitation à la haine et de haine au lieu d’un centre de paix. »

Pourquoi les Palestiniens s’opposent-ils au culte juif ?

Si on laisse de côté les questions théologiques soulevées par les intellectuels juifs et musulmans, il est également question d’un rapport de force déséquilibré.

Bien qu’Israël ait annexé Jérusalem-Est peu après s’en être emparé, cette initiative n’a jamais été reconnue par la communauté internationale et, officiellement, les quartiers est de la ville, y compris la vieille ville, restent sous occupation militaire.

Les habitants Palestiniens de Jérusalem-Est sont juridiquement apatrides. Bien que leurs familles vivent parfois dans l’est de la ville depuis des générations, les résidents palestiniens doivent faire une demande de « résidence permanente », ce qui ne leur donne aucun droit juridique en tant que citoyen, y compris le droit de vote, et ne sont représentés ni par l’État israélien ni par l’Autorité palestinienne. Ils ont néanmoins le droit de demander la nationalité israélienne, ce que refuse de faire la grande majorité pour des motifs politiques.

Des policiers israéliens se tiennent près de Palestiniens arrêtés après des manifestations à la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le 8 octobre 1990 (AFP)
Des policiers israéliens se tiennent près de Palestiniens arrêtés après des manifestations à la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le 8 octobre 1990 (AFP)

Bien que ces permis de résidence soient théoriquement « permanents », des milliers de Palestiniens ont vu leur statut de résident révoqué depuis 1967, tandis que des centaines de logements de Palestiniens ont été rasés parce qu’ils n’avaient pas été approuvés par les autorités municipales.

Dans le même temps, le nombre de colons israéliens à Jérusalem-Est n’a cessé d’augmenter. Les Palestiniens et les organisations de défense des droits de l’homme mettent fréquemment en garde contre le fait qu’Israël a pour objectif global de provoquer un changement démographique à Jérusalem, en augmentant la population juive israélienne aux dépens de sa population palestinienne.

Au cœur de tout cela se trouve al-Aqsa, symbole le plus vivace de la présence islamique à Jérusalem mais également de l’identité nationale palestinienne. Les tentatives des groupes religieux juifs ultranationalistes pour accroître leur présence ne constituent pas une simple question d’accès des juifs à ce lieu saint, mais une question de prise de contrôle de l’une des icônes centrales de la culture palestinienne.

Glick et d’autres affirment que leur droit d’accéder au mont du Temple est une question de liberté religieuse – mais leur capacité à accéder au site est renforcée par les soldats de l’une des armées les plus sophistiquées au monde, tandis que les fidèles palestiniens n’ont quasiment ni droits, ni protection.

Quelle est la situation actuelle ?

Selon Glick, ses alliés et lui ont dans les faits reçu carte blanche pour prier ouvertement sur le mont du Temple depuis un certain temps maintenant.

« Des dizaines de juifs prient désormais ouvertement chaque jour dans une partie du flanc est du site et leur escorte policière israélienne ne tente plus de les arrêter », signalait le New York Times en 2021.

Selon les chiffres publiés par l’organisation du mont du Temple Beyadenu, 51 483 juifs ont visité le site en 2022, un record.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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