Les tensions entre la Russie et l’Ukraine menacent l’approvisionnement en blé en Afrique du Nord
L’impasse sur le déploiement de troupes russes le long de la frontière ukrainienne a des répercussions dans le monde entier et pourrait gravement perturber l’approvisionnement en biens essentiels, du gaz au blé.
Cette crise menace notamment l’approvisionnement en céréales des pays d’Afrique du Nord, car ces États sont très dépendants des importations de céréales.
L’Afrique du Nord abrite en effet les plus grands importateurs de blé au monde. Les pays tels que l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie et la Libye produisent moins de la moitié des céréales – en particulier le blé – consommées par leur population chaque année.
Les importations de céréales de ces pays proviennent de divers fournisseurs. Tout en haut de cette liste : l’Ukraine et la fédération de Russie.
La montée en puissance militaire autour de l’Ukraine se mue en épreuve de force entre la Russie et l’OTAN : une invasion russe serait perçue comme une invasion des membres de l’Alliance atlantique.
Alors que les tambours de guerre se font entendre en Europe de l’Est, le signal d’alarme retentit en Afrique du Nord.
L’Ukraine, cinquième producteur mondial de blé en 2019, exporte la majorité de sa production vers cette région.
Les pays tels que l’Égypte et la Tunisie figurent parmi les marchés étrangers à plus forte croissance pour le blé ukrainien cette même année, l’Égypte était même le principal destinataire de ces exportations.
Les terres agricoles les plus productives d’Ukraine se situent dans les régions de l’Est, les plus vulnérables à une potentielle attaque russe.
Graves sécheresses
Entre juillet 2021 et la fin janvier, la Russie a elle aussi exporté plusieurs millions de tonnes de blé vers les pays d’Afrique du Nord.
Si une guerre éclate, les exportations de blé russe seront assurément affectées, en particulier si le conflit se prolonge.
Les craintes légitimes des effets de la crise sur l’approvisionnement en céréales de l’Afrique du Nord coïncident avec les perspectives d’une chute de la production de blé russe en 2021-2022, conséquence des mauvaises conditions climatiques, en particulier des étés chauds et secs.
Dans le même temps, de graves sécheresses dans la plupart des pays d’Afrique du Nord, notamment la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, devraient également accroître les importations céréales.
Cela survient alors que l’économie des États de la région continue à souffrir des effets de la pandémie.
Premier importateur de blé au monde et de loin, l’Égypte s’attend à être particulièrement touchée par les perturbations éventuelles de la chaîne d’approvisionnement en blé en provenance de Russie et d’Ukraine.
Ce vaste pays arabe (dont la population s’élève à 102 millions d’habitants et continue d’augmenter) a importé 12,5 millions de tonnes de blé en 2022-2021.
L’Égypte s’efforce d’accroître sa propre production de blé, mais compte tenu de son actuelle dépendance aux importations, tout conflit en Ukraine serait une très mauvaise nouvelle, estiment les spécialistes.
La majeure partie du blé est utilisée dans la production de pain pour les Égyptiens. La plupart est distribuée ensuite dans le cadre du système de rationnement alimentaire
« L’Égypte sera particulièrement touchée en cas de guerre entre la Russie et l’Ukraine », explique à Middle East Eye Hesham Abuldahab, membre de la division Céréales de la chambre de commerce du Caire. « La majeure partie de nos importations de blé vient de ces deux pays. »
Autrefois l’un des grands greniers à blé du monde, l’Égypte a perdu la plupart de ses terres agricoles à cause de décennies d’urbanisation due à la croissance démographique.
La production nationale de blé s’élevait à 9 millions de tonnes l’année dernière. Mais cette production couvre à peine moins de 50 % de la consommation locale.
La majeure partie du blé est utilisée dans la production de pain pour les Égyptiens. La plupart est distribuée ensuite dans le cadre du système de rationnement alimentaire, auquel est inscrit une grande majorité des Égyptiens.
Presque quatre millions de tonnes pour la Tunisie
Le pain est un élément essentiel du régime alimentaire des Égyptiens et les menaces pesant sur les chaînes d’approvisionnement de certains fournisseurs pourrait amener le gouvernement à chercher des alternatives.
Près de 85 % des importations de blé en Égypte en 2022-2021 venaient de Russie et d’Ukraine.
« Je pense que le gouvernement devrait commencer à envisager d’acquérir les besoins nationaux en blé auprès d’autres fournisseurs », indique Abduldahab.
En Tunisie aussi, les problèmes économiques pâtiront des tensions croissantes entre la Russie et ses adversaires.
Ce pays d’environ 11 millions de personnes est embourbé dans des problèmes politiques depuis juillet dernier, lorsque son président Kais Saied a limogé son cabinet, dissous le Parlement et suspendu la Constitution.
La Tunisie est très dépendante des importations de céréales. Celles-ci devraient atteindre un niveau moyen de 3,7 millions de tonnes pour l’année commerciale 2021-2022, un volume inchangé par rapport à l’année précédente.
Le blé représente près de la moitié du total des céréales importées par la Tunisie. Celles-ci proviennent de nombreux fournisseurs, dont les principaux sont l’Ukraine et la Russie.
« La Russie est l’allié traditionnel de la Tunisie en ce qui concerne les importations de blé. Le gouvernement tunisien a déjà commencé à chercher des alternatives »
- Najeh Missaoui, commentateur politique tunisien
C’est pourquoi, on s’inquiète en Tunisie de l’escalade des tensions entre les deux pays. Cette crise, estiment les spécialistes tunisiens, affecterait de manière négative la fourniture de céréales à leur pays.
« La Russie est l’allié traditionnel de la Tunisie en ce qui concerne les importations de blé », confie à MEE le commentateur politique tunisien Najeh Missaoui. « Le gouvernement tunisien a déjà commencé à chercher des alternatives. »
Ce pays du Maghreb, qui a cultivé des céréales sur une superficie agricole de 810 000 hectares en 2021, a produit 1,6 millions de tonnes de céréales cette même année, soit moins de la moitié de ses besoins nationaux.
Cela survient alors même que les agriculteurs du pays évitent de cultiver du blé sur leurs terres à cause d’une série de facteurs dont le faible prix à la vente, lequel est fixé par le gouvernement.
De plus, les changements climatiques affectent la capacité de la Tunisie à produire suffisamment de nourriture pour sa population, en raison de facteurs tels que les précipitations insuffisantes et les sécheresses.
Mauvais timing en Algérie
L’éventuelle rupture d’approvisionnement survient au mauvais moment pour l’Algérie, autre pays du Maghreb extrêmement dépendant des importations de céréales.
Les pluies insuffisantes l’année dernière ont provoqué une chute de 40 % de la production céréalière algérienne, y compris de blé, ce qui signifie que les autorités algériennes ont dû compenser les pénuries en augmentant les importations.
La même année, l’Algérie a produit 3,9 millions de tonnes de céréales, tout en important 7 millions de tonnes.
Dépendant précédemment du blé européen, l’Algérie l’a importé de Russie l’année dernière pour la première fois depuis cinq ans, en raison de changements dans ses spécifications à l’import.
Les importations de blé en Algérie devraient s’élever à 8 millions de tonnes cette année, le pays a du mal à réduire sa dépendance aux importations, notamment en regagnant des terres sur le désert.
Fin janvier, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a appelé à une augmentation de la production agricole, en particulier de céréales, estimant qu’il s’agissait-là d’une question de « dignité nationale ».
Il était temps, estiment les spécialistes algériens, car les mesures pour accroître la production locale et réduire la dépendance aux importations sont absolument nécessaires.
« Le blé est un bien stratégique et c’est pourquoi le gouvernement alloue des millions de dollars aux importations », explique à MEE Radwan Abu Heidal, professeur de science politique à l’université d’Alger. « Le gouvernement doit avoir des scénarios prêts pour gérer une perturbation de l’approvisionnement. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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