Une nouvelle super-héroïne soudanaise veut émanciper les jeunes filles du Moyen-Orient
Fille d’immigrés égyptiens installés aux Pays-Bas, Reem Abdellatif voyait rarement des personnages qui lui ressemblaient dans les médias.
S’exprimant en toute franchise au sujet des mauvais traitements et des brimades qu’elle a subis à l’école, elle affirme que le fait de voir des personnes comme elle sur les écrans de télévision et dans les bandes dessinées aurait pu l’aider à surmonter ses traumatismes personnels.
« Voir des héroïnes ou des personnages qui auraient eu un écho en moi en tant que fille de couleur m’aurait grandement aidée dans ma vie à l’époque », confie-t-elle.
Traduction :
– Les enfants à l’école pensent que je suis bête parce que j’ai dit que j’aimais les vaisseaux spatiaux.
Ils disent que ce n’est que pour les garçons.
– Est-ce que tu aimes moins les vaisseaux spatiaux parce que les enfants pensent que c’est bête ?
– Non. Tu sais pourquoi ?
– Pourquoi ?
– Parce que quand je serai grande, j’irai là-haut.
– Eh bien, Kawkab, tu sais ce que je pense ?
– Quoi, Maman ?
Désormais adulte, Reem Abdellatif souhaite offrir ce confort à d’autres personnes comme elle ; elle a ainsi créé Kawkab, une jeune Soudanaise de 10 ans dotée de superpouvoirs qui lui permettent de défier l’espace et le temps et de réaliser son rêve de voyager dans l’espace.
Le concept de cette bande dessinée a été lancé en août par la journaliste égypto-néerlandaise, également cofondatrice d’African Women Rights Advocates (AWRA), une organisation qui émancipe les femmes par l’éducation, l’art et l’activisme.
« [Kawkab] fait partie d’une série plus large racontant l’histoire d’un groupe d’amis qui voyagent dans l’espace ; beaucoup d’entre eux sont des astronautes, d’autres sont de jeunes scientifiques et ingénieurs spatiaux. La série nous entraîne dans leurs aventures, alors qu’ils nouent des amitiés improbables et surmontent les brimades et les stéréotypes », explique Reem Abdellatif.
Dans l’une des illustrations, on voit la petite Kawkab, l’air contrarié, qui explique qu’elle a subi des brimades à l’école en raison de sa fascination pour les voyages dans l’espace.
« Les enfants à l’école pensent que je suis bête parce que j’ai dit que j’aimais les vaisseaux spatiaux. Ils disent que ce n’est que pour les garçons », se lamente-t-elle.
Plus loin dans la bande dessinée, sur une autre illustration, Kawkab flotte dans l’espace, le regard exalté, après avoir réalisé ses rêves avec les encouragements et le soutien de sa mère.
Cette histoire fait partie d’une série de bandes dessinées qui vise à inspirer et à émanciper les jeunes filles du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA).
« Quand j’étais petite, les enfants qui s’intéressaient à la science subissaient des brimades. Le super-pouvoir de Kawkab est sa capacité à rêver grand et à transformer ces rêves en réalité », observe Reem Abdellatif.
S’attaquer aux questions relatives aux femmes
Reem Abdellatif explique que l’idée de la bande dessinée lui est venue de son parcours personnel et que la pandémie actuelle de COVID-19 a créé un sentiment d’urgence qui l’a poussée à en faire un concept tangible.
« Pendant le confinement, les filles africaines étaient davantage exposées à des pratiques néfastes telles que les mutilations génitales féminines ou les violences domestiques », souligne-t-elle.
« Dans des pays comme le Kenya, le Soudan et l’Égypte, de nombreuses petites filles étaient retirées des écoles et contraintes de subir des mutilations génitales féminines ou d’être mariées. »
Les mutilations génitales féminines (MGF) demeurent une pratique répandue dans certaines régions d’Afrique, malgré les appels répétés lancés aux gouvernements pour les faire interdire. Selon l’UNICEF, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord représentent un quart de tous les cas de MGF dans le monde.
Bien que cette pratique soit interdite en Égypte depuis 2008, le pays le plus peuplé du monde arabe affiche toujours un nombre de cas parmi les plus élevés à l’échelle mondiale. Au Soudan, la pratique a été rendue illégale en 2020 à la suite de manifestations organisées par des groupes de défense des droits des femmes.
« Reprendre la main sur le discours »
Reem Abdellatif a collaboré avec Ibrahim, un artiste soudanais populaire d’Abbas Comics ; interrogé par MEE, il explique que ce partenariat avec AWRA tombe à point nommé.
« Le projet s’inscrit dans le climat sociopolitique actuel du Soudan, compte tenu des promesses du gouvernement soudanais qui entend s’attaquer aux problématiques sociales et porter plus d’attention aux questions relatives aux femmes et aux enfants dans le pays », indique-t-il.
Traduction : « À part Tornade des X-Men, il y avait très peu de personnages féminins de bandes dessinées qui me touchaient quand j’étais jeune. Je suis donc ravi de pouvoir ajouter une autre jeune femme africaine forte et intelligente à notre petit monde – mais en plein essor – des bandes dessinées en ligne africaines. »
La bande dessinée s’adresse aux jeunes enfants de 6 à 13 ans, et plus particulièrement aux jeunes filles de couleur.
L’histoire de Kawkab a été choisie pour encourager les jeunes filles à faire carrière dans les domaines spatial et scientifique et à faire ce qui les intéresse en dépit des difficultés auxquelles elles pourraient être confrontées.
Reem Abdellatif explique cependant que la bande dessinée avait aussi un objectif plus large, à savoir reprendre la main sur les discours et lutter contre les idéologies patriarcales.
Traduction :
– Je pense que tu peux aller là-haut et que tu le feras quand tu seras grande.
– Et je l’ai fait, Maman.
566 personnes ont déjà voyagé dans l’espace. Seulement 65 d’entre elles, soit environ 11,5 %, étaient des femmes.
« Les femmes du Moyen-Orient sont confrontées à la discrimination de genre sur de nombreux fronts – elle provient de leurs propres gouvernements patriarcaux, de sociétés ultra-traditionnelles et de visions colonialistes empreintes de racisme », ajoute-t-elle.
« Éduquer les jeunes filles par le biais de l’art, qu’il s’agisse de bandes dessinées, de livres ou d’animations, peut avoir un véritable pouvoir émancipateur et nous permet, en tant que survivantes de violences sexistes, de reprendre la main sur le discours. »
Au-delà des tabous
Reem Abdellatif explique que l’idée de la bande dessinée a germé vers octobre 2020, lorsqu’elle s’est impliquée plus fortement au sein d’AWRA, l’ONG qu’elle a cofondée.
Portée par des survivantes, cette organisation est composée d’activistes issues du Moyen-Orient et de la diaspora, qui souhaitent faire la lumière sur des questions considérées comme taboues au sein des communautés.
« Aujourd’hui, les jeunes filles et les femmes de la région MENA et d’Afrique ont besoin d’alliés et de partenaires, et non de sauveurs – en particulier les jeunes générations »
– Reem Abdellatif
Outre les bandes dessinées, AWRA travaille également sur d’autres projets et campagnes, notamment une initiative de sensibilisation à la précarité menstruelle. L’organisation a rencontré des jeunes femmes au Kenya afin d’aider à éduquer les jeunes filles sur l’hygiène menstruelle et de veiller à ce que les jeunes femmes aient accès aux ressources sans être entravées par un sentiment de honte lié à leur culture.
En Gambie, l’organisation s’est impliquée dans le développement communautaire en organisant une série d’ateliers destinés à sensibiliser la population aux MGF et au mariage des enfants.
Le site web du groupe présente des illustrations éducatives visant à sensibiliser les femmes et les hommes à des questions telles que le consentement. Une illustration intitulée « À quoi ressemble le consentement ? » décrit les situations qui traduisent ou non le consentement.
Reem Abdellatif affirme avoir reçu des retours positifs au sujet du travail d’AWRA, notamment autour du concept de Kawkab. Elle espère décliner la série en abordant d’autres sujets.
« Aujourd’hui, les jeunes filles et les femmes de la région MENA et d’Afrique ont besoin d’alliés et de partenaires, et non de sauveurs – en particulier les jeunes générations. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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