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Soudan : cauchemar à al-Jazira après l’assaut des FSR et leurs exactions généralisées

Des témoins oculaires dans l’État soudanais d’al-Jazira décrivent des meurtres, des enlèvements et des viols, tandis que les Forces de soutien rapide reconnaissent que des exactions ont été commises par leurs membres
Des femmes déplacées par les combats dans l’État d’al-Jazira, photographiées le 30 décembre 2023 (AFP)

Les atrocités commises dans l’État soudanais d’al-Jazira se déroulent dans l’ombre d’une coupure d’internet.

En décembre, les Forces de soutien rapide (FSR) ont fait irruption dans l’État d’al-Jazira, dispersant sur leur passage les civils déjà déplacés par les combats et l’armée soudanaise en retraite, alors que les paramilitaires prenaient le contrôle de la deuxième ville du pays, Wad Madani.

Depuis lors, selon des témoins oculaires et des activistes locaux, les combattants des FSR et des groupes criminels non affiliés ont tué, violé et enlevé des civils, tout en pillant leurs maisons, les volant et incendiant les bâtiments.

Un événement particulièrement choquant a été le viol d’une jeune femme par seize combattants des FSR. L’incident a été confirmé par les proches de la jeune fille et par leur voisin, mais la famille n’a pas voulu donner plus de détails en raison de la honte et de la stigmatisation liées à l’agression.

« La fille violée est la fille d’un de mes voisins dans notre village », affirme à Middle East Eye un témoin oculaire des faits, qui a demandé à ne pas être identifié pour des raisons de sécurité.

« Un soldat des FSR a demandé à l’épouser. Nous avons refusé parce qu’elle est très jeune. Mais le soldat l’a prise et soudainement, quinze autres soldats l’ont rejoint et l’ont violée à tour de rôle.

« L’un des membres de sa famille a tenté de la défendre, mais ils l’ont abattu devant tout le monde », raconte le témoin.

Les FSR n’ont pas nié les exactions. Le groupe paramilitaire a toutefois déclaré que les atrocités commises à al-Jazira avaient été exagérées et qu’il se pencherait sur la question et demanderait des comptes aux responsables.

La guerre au Soudan entre les FSR, dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo (surnommé Hemetti) et les forces armées soudanaises (FAS), menées par le général Abdel Fattah al-Burhan, a éclaté le 15 avril 2023.

Les combats ont fait plus de 8 millions de déplacés et poussé 25 millions de Soudanais dans une situation de famine ou de malnutrition. Des enfants meurent de faim dans tout le pays, tandis que les belligérants continuent de se disputer le pouvoir.

Sauvez al-Jazira

En écho à la coalition internationale Save Darfur (sauvez le Darfour) lancée en 2004, des centaines de militants soudanais ont lancé la campagne Save Gezira (sauvez al-Jazira) pour recenser les atrocités commises par les FSR depuis que l’accès à internet a été coupé dans l’ensemble de l’État.

De multiples sources à al-Jazira ainsi qu’un analyste militaire occidental qui suit de près l’évolution de la situation sur le terrain déclarent que les FSR sont responsables de la coupure de l’accès à l’internet, ce que les paramilitaires démentent.

« Lors d’un massacre, dans le village d’al-Sharif Mukhtar, ils ont tué environ quatorze personnes en une heure »

- Un militant local

D’après les informations recueillies par Middle East Eye, environ 1 000 civils ont été tués dans les attaques des FSR à travers l’État depuis la fin du mois de décembre, un chiffre qui varie selon les estimations. De nombreux témoins avancent que les civils meurent également en raison du manque de médicaments disponibles et que des milliers de personnes ont été blessées lors des attaques en cours.

Le 20 décembre 2023, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a signalé que jusqu’à 300 000 personnes avaient fui Wad Madani après l’incursion des FSR, laquelle a donné lieu à une retraite dégradante de l’armée qui a été accusée de trahison. Des dizaines de milliers d’autres personnes ont été déplacées depuis.

D’après des sources locales, des dizaines de femmes auraient été violées ou enlevées par des combattants des FSR ou des groupes criminels, qui se sont déployés dans tout l’État depuis le début du mois de février.

Les récoltes ont été brûlées. On assiste à une grave pénurie de médicaments et de nourriture, et ce qui est disponible est inabordable.

Coupure d’accès à internet

Un porte-parole de l’un des comités de résistance de Wad Madani – le réseau national de militants au cœur de la révolution démocratique soudanaise – déclare que si plus de 1 000 civils ont pu être tués lors d’attaques armées, « on ne peut pas joindre toutes les victimes du fait de la coupure d’internet ».

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À al-Hasaheisa, une ville de l’État d’al-Jazira, un autre porte-parole du comité de résistance indique que les FSR ont tiré parti de la coupure d’internet pour envahir 53 villages dépourvus de garnisons militaires ou de présence de l’armée.

« Soixante-dix pour cent des habitants des villages de l’ouest d’al-Jazira ont été déplacés, la situation sanitaire est désastreuse faute de médicaments, et la majorité des personnes âgées et des personnes souffrant de maladies chroniques sont mortes », déclare le porte-parole, lors d’un colloque en ligne couvert par MEE.

« Lors d’un massacre, dans le village d’al-Sharif Mukhtar, ils ont tué environ quatorze personnes en une heure. Ils ont également tué et blessé des dizaines de personnes dans les villages d’Alnaob, de Wad Albaseer et d’Alhalaween, parmi d’autres villages. »

Dans la partie orientale d’al-Jazira, près de la ville de Rufaa, un membre du comité local de résistance indique à MEE que « de nombreuses personnes ont été tuées et blessées » lors d’attaques menées contre différents villages.

Viol et enlèvement

Le porte-parole du comité de résistance de Wad Madani dit avoir répertorié de nombreux cas de viols, d’enlèvements et d’autres atrocités commis à al-Jazira.

« Les Janjawids ont enlevé de nombreuses filles dans plusieurs villages différents », explique-t-il, en désignant les FSR par le nom des milices dont est issue la force paramilitaire. « Nous ne pouvons pas comptabiliser tous [ces enlèvements] en raison de la coupure d’internet, mais nous pouvons confirmer, grâce à de nombreux témoins, qu’ils ont bien eu lieu. »

« Nous étions choqués lorsque les soldats de l’armée ont déclaré qu’ils n’avaient pas reçu l’ordre de se battre en dehors de la base militaire »

- Abdul Salam, civil déplacé

« En ce qui concerne les cas de viol, nous pouvons confirmer qu’ils sont nombreux. Cependant, les gens craignent d’être stigmatisés et n’aiment donc pas en parler publiquement », affirme-t-il.

Le porte-parole précise que les FSR continuent d’encercler Wad Madani, de piller la ville, voler ses habitants et les humilier dans leurs propres maisons et aux postes de contrôle. Il ajoute que les FSR ont pris pour cible les récoltes des agriculteurs à travers l’État et qu’elles ont pillé les magasins des organisations humanitaires. 

« Les FSR envisagent de recourir systématiquement à cette violence massive pour imposer un changement démographique, occuper al-Jazira et s’emparer du projet d’al-Jazira », poursuit-il, faisant référence à l’un des plus grands projets d’irrigation au monde, essentiel à la production agricole non seulement de l’État, mais aussi de l’ensemble du pays.

Les FSR démentent être à l’origine de violences ethniques. La force paramilitaire reconnaît toutefois que ses combattants ont commis des exactions, mais affirme que celles-ci ont été politisées et exagérées par ses ennemis.

La force paramilitaire a accusé les services de renseignement de l’armée de faire porter l’uniforme des FSR à des hommes armés et des membres de gangs et de les envoyer commettre des atrocités pour porter ainsi atteinte à sa réputation.

Dans un communiqué, les FSR ont déclaré avoir combattu un « groupe de gangs » qui pillait Abu Gotta, un village d’al-Jazira. D’après le communiqué, les combattants paramilitaires auraient tué vingt membres du gang, perdant trois des leurs dans les combats.

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Les FSR ont également affirmé qu’elles « traitaient sérieusement » les plaintes reçues concernant des violations commises par leurs propres combattants « dans les villages de l’ouest d’al-Jazira dans la localité d’al-Hasaheisa. Nous confirmons que tout contrevenant ne bénéficiera pas de l’impunité et sera punis ».

Youssef Ezzat, conseiller du chef des Forces de soutien rapide Hemetti, a indiqué que certains des combattants du groupe avaient été jugés et que d’autres étaient en prison pour avoir commis des violations.

Dans des propos largement diffusés sur les réseaux sociaux, Youssef Ezzat a déclaré que les Forces de soutien rapide avaient « endigué » la flambée d’atrocités à al-Jazira et que « de nombreux auteurs d’infractions avaient été arrêtés ».

Youssef Ezzat a accusé l’armée « et les affiliés de l’ancien régime » d’avoir délibérément coupé l’accès internet « pour ouvrir la voie à ces crimes ».

Des personnalités de haut rang liées à l’ancien autocrate Omar el-Bechir et au Mouvement islamique soudanais qui l’a secondé font partie de la coalition qui soutient l’armée contre les Forces de soutien rapide, ce que les paramilitaires soulignent dans leurs messages.

Sans protection

Si les militants attirent l’attention sur les atrocités commises par les FSR, ils font également circuler une lettre révélant que le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhan, a ordonné à son infanterie de se retirer de Wad Madani au mois de décembre.

Abdul Salam, qui s’est réfugié dans l’État de Sannar depuis celui d’al-Jazira, affirme que l’infanterie de l’armée n’a pas protégé les civils déplacés par l’assaut des FSR sur l’État.

« Nous avons marché jusqu’à la ville d’al-Manaqil pour fuir les attaques et les humiliations des FSR et lorsque nous avons vu l’armée, nous avons cru que nous serions protégés. Nous étions choqués lorsque les soldats de l’armée ont déclaré qu’ils n’avaient pas reçu l’ordre de se battre en dehors de la base militaire », confie-t-il à MEE.

Épuisés après plus de huit heures de marche, Abdul Salam et ses compagnons ont demandé aux soldats de l’armée s’ils pouvaient obtenir des armes pour se défendre. Leur demande a été refusée.

Il indique que les FSR « campent actuellement dans les forêts près d’al-Manaqil et qu’elles sont susceptibles de passer à l’attaque à tout moment ».

L’analyste militaire occidental explique à MEE que la 18e division de l’armée renforce sa présence à al-Manaqil et que les Forces armées soudanaises « progressent très, très lentement de Sannar vers le nord ».

« L’armée ne fait pas vraiment de progrès à al-Jazira », estime-t-il.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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