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Au Soudan, les actes de torture et les agressions sexuelles sont légion dans les centres de détention illégaux

Des détenus et des témoins oculaires accusent l’armée soudanaise et les paramilitaires des FSR de commettre des actes de torture, des viols et des enlèvements dans de nouveaux centres de détention
Capture d’écran montrant un combattant participant à la guerre civile au Soudan. D’après un groupe d’activistes pro-démocratie, la capitale Khartoum est « transformée en une vaste prison pour les civils qui s’y trouvent encore » (AFP/UGC/X)

Plus d’une cinquantaine de nouveaux centres de détention illégaux ont été ouverts au Soudan depuis le début de la guerre civile en avril, dans lesquels l’armée soudanaise et son ennemi, le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), commettent des atrocités à grande échelle. 

D’après les révélations d’Emergency Lawyers, un groupe d’activistes juridiques pro-démocratie, les deux camps belligérants détiennent des centaines de personnes dans au moins 52 établissements et la capitale soudanaise Khartoum est « transformée en une vaste prison pour les civils qui s’y trouvent encore ».

Les avocats et défenseurs des droits de l’homme se sont entretenus avec 60 détenus et témoins oculaires dans l’État de Khartoum, qui ont décrit des cas d’enlèvement, d’arrestation arbitraire et illégale, de travail forcé, de privation de nourriture, de torture et de viol

Dans un nombre indéterminé de cas, ces abus ont entraîné la mort de civils soudanais. La majorité des centres de détention sont gérés par les FSR, mais dans le Kordofan méridional, trois personnes auraient été torturées à mort dans les prisons des services de renseignement militaire de l’armée.

« D’après les témoignages dont nous disposons, environ 52 centres de détention permanents sont recensés dans les trois villes de l’État de Khartoum ; 44 d’entre eux appartiennent aux FSR et 8 sont gérés par les Forces armées soudanaises (FAS) », indique Emergency Lawyers dans son nouveau rapport. 

« Ces centres de détention permanents se trouvent généralement dans les casernes et les camps des deux parties, qui utilisent également certains bâtiments gouvernementaux dans le même but », souligne le rapport.

Selon des sources interrogées par le groupe d’activistes juridiques et Middle East Eye, un nombre indéterminé de centres de détention temporaires ont été installés dans des maisons, des écoles, des hôpitaux, des mosquées, des postes de police et d’autres bâtiments civils.

Emergency Lawyers qualifie ces atrocités de crimes de guerre et déplore l’« escalade horrible » des arrestations arbitraires et des actes de torture résultant de la guerre, qui a déplacé plus de 5 millions de personnes, dont 3 millions ont fui Khartoum.

Actes de torture et agressions sexuelles

Les témoignages recueillis par Emergency Lawyers sont corroborés par les informations relayées par Middle East Eye sur les nombreuses violations des droits de l’hommes commises au Soudan depuis cinq mois.

Un civil détenu par les FSR a déclaré à Emergency Lawyers avoir fait partie d’un groupe de 200 personnes emprisonnées dans un sous-sol de 200 mètres carrés dans le quartier d’al-Riyadh à Khartoum.

Un autre a déclaré avoir vu environ 800 détenus dans un centre de détention paramilitaire établi à l’intérieur de l’Université du Soudan pour les sciences et la technologie, qui se trouve également dans la capitale.

« Un autre détenu dans un centre de détention des FSR a affirmé avoir été forcé de se déshabiller et menacé à plusieurs reprises de viol »

– Emergency Lawyers

« Un autre détenu dans la caserne de l’unité militaire d’ingénierie des FSR a déclaré avoir été arrêté et détenu pendant deux mois dans ce camp et avoir reçu de très mauvais traitements, y compris des actes de torture », indique le rapport. 

Emergency Lawyers a entendu des descriptions d’électrocutions et de privations de nourriture, tandis que certains détenus ont déclaré avoir été contraints d’enterrer des soldats tués.

Dans les nouveaux centres de détention, de jeunes femmes et hommes sont agressés sexuellement par des combattants des deux camps. Certains cas de viols collectifs ont été recensés. 

« Dans un centre de détention appartenant aux FSR, situé dans un ancien bureau de sécurité, l’un des détenus a déclaré que deux filles avaient été violées, tandis qu’un autre détenu dans un centre de détention des FSR dans le quartier de Shambat a affirmé avoir été forcé de se déshabiller et menacé à plusieurs reprises de viol », rapporte Emergency Lawyers.

Dans un centre de détention géré par l’armée dans le quartier d’al-Thawra à Omdourman, deuxième ville du Soudan, un homme a déclaré avoir été détenu pendant 28 jours et vu un codétenu se faire tuer sous ses yeux après avoir tenté de résister à la torture. 

Habitations envahies par les FSR

Selon des témoins oculaires interrogés par Middle East Eye, les FSR ont emprisonné des centaines de citoyens, les accusant sans preuves claires d’être proches de l’armée.

Des membres des comités de résistance, le réseau de militants pro-démocratiques au cœur de la révolution soudanaise, ont été arrêtés par les FSR, a appris MEE.

Moniem Ahmed (23 ans) affirme avoir été détenu pendant plusieurs jours et torturé par les FSR dans un bureau appartenant aux services de renseignement nationaux, près de l’aéroport, dans l’est de Khartoum.

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« J’ai été arrêté dans notre quartier, Burri, alors que j’essayais d’acheter du pain pour ma famille », raconte-t-il à MEE.

« J’ai été emmené dans un véhicule des FSR avec d’autres détenus. Les soldats nous ont donné des coups de pied et nous ont fouettés à l’intérieur du véhicule jusqu’à notre arrivée au centre de détention. Ils ont enquêté sur nous, inspecté nos téléphones portables et ont même utilisé mon téléphone pour appeler les contacts qu’il contenait afin de vérifier les informations personnelles que je leur avais données », indique Ahmed par téléphone depuis la ville de Wad Madani, où il s’est enfui après avoir été libéré par les paramilitaires. 

« J’ai été torturé pendant des jours par les FSR et j’ai vu des dizaines de jeunes arrêtés à l’intérieur, mais ils nous empêchaient de discuter entre nous. Ils m’ont accusé d’appartenir aux FAS et ont essayé de me forcer à l’avouer », explique-t-il.

Deux frères interrogés par MEE, qui ont demandé à ne pas être identifiés parce qu’ils vivent toujours au Soudan près de chez eux, ont été arrêtés dans l’est de Khartoum en juillet et retenus pendant une dizaine de jours. 

« Les soldats des FSR ont attaqué notre maison et sont entrés. Ils nous ont menacés et sont restés avec nous dans la maison pendant deux semaines », racontent-ils.

« Nous vivions avec une dizaine de soldats des FSR dans notre maison. Ils nous interdisaient de sortir ou de préparer à manger. Ils nous donnaient un repas par jour, alors nous étions vraiment affamés. Ils nous ont relâchés au bout de dix jours et nous ont laissés partir de chez nous sans argent ni aucune forme de protection dans la rue, laquelle grouillait de soldats des FSR », expliquent les frères à MEE.

« Nous avons marché pendant des kilomètres et nous avons été interpellés par d’autres soldats des FSR, jusqu’à parvenir enfin à sortir du quartier et à rejoindre la maison d’un proche. »

Une campagne d’arrestations menée par l’armée

Si les FSR ont mis en place la majorité des centres de détention connus, les services de renseignement militaire des FAS ont entrepris une vaste campagne d’arrestations visant les groupes pro-démocratiques, notamment les membres des comités de résistance.

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Trois sources appartenant aux comités de résistance, souhaitant rester anonymes pour des raisons de sécurité, confirment que de nombreux camarades ont été arrêtés à Ad-Damazin, dans l’État du Nil Bleu, ainsi que dans les villes de Sannar et Merowe. 

Tous trois confirment avoir également vu des dizaines de détenus dans les centres de détention où ils ont eux-mêmes été enfermés pendant diverses périodes. 

Dans un communiqué, les comités de résistance ont également accusé les alliés de l’armée au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord, anciennement rebelle et dirigé par Malik Agar du Conseil de souveraineté de transition, de mener une campagne d’arrestations contre les activistes dans tout l’État du Nil Bleu.

L’armée tout comme les FSR nient être à l’origine des atrocités commises depuis le début de la guerre qui dévaste le Soudan et ne semble pas près de s’achever.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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