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Soudan : comment l’attaque des FSR contre Burhan a planté le décor d’un conflit acharné

Un raid matinal contre la résidence du chef de l’armée à Khartoum a entraîné la mort de 35 gardes présidentiels. Selon des sources interrogées par MEE, le point de non-retour était dès lors atteint
Vue aérienne de la capitale soudanaise Khartoum couverte de fumée noire, le 19 avril (AFP)
Vue aérienne de la capitale soudanaise Khartoum couverte de fumée noire, le 19 avril (AFP)

Aux premières heures du 15 avril, quelque 2 000 paramilitaires ont rapidement avancé dans les rues de Khartoum en direction du quartier général des forces armées soudanaises.

À l’intérieur se trouvait la résidence du chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhan, grand rival du chef des combattants des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdan Dagalo. Soudain, le domicile de Burhan a été attaqué.

D’après des sources soudanaises proches de l’armée interrogées par Middle East Eye, les FSR se sont approchées du siège du commandement général depuis un quartier proche de l’aéroport à 8 h 50, transportant une panoplie d’armes de tous calibres.

Depuis trois directions, les FSR ont lancé un assaut contre la résidence de Burhan, une opération au cours de laquelle 35 membres de la garde présidentielle ont été tués, selon les sources.

Chef d’État de facto du Soudan, Burhan se trouvait chez lui à ce moment-là et a échappé de justesse à une capture, voire à pire. MEE a contacté les FSR afin de recueillir des commentaires.

Ce raid a planté le décor d’un conflit entre l’armée de Burhan et les FSR du général rival Dagalo, communément appelé Hemetti – une guerre qui fait rage depuis trois semaines sans que l’on sache si les deux parties finiront par s’entendre. Peu de temps après l’attaque à son domicile, Hemetti a déclaré que Burhan serait capturé ou « [mourrait] comme un chien ».

Un moment crucial

« Il s’agissait d’une tentative de coup d’État de Hemetti et des FSR. Ils ont essayé de prendre le pouvoir », indique à MEE un responsable soudanais fidèle à Burhan.

Des sources au Soudan, aux États-Unis, en Israël, en Égypte et ailleurs reviennent pour MEE sur les premières heures des combats, avec des détails inédits de la période tendue qui a précédé le conflit, lorsque l’armée et les paramilitaires se préparaient encore à la confrontation.

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L’assaut contre la résidence de Burhan a été un moment crucial au commencement d’une série de batailles qui ont embrasé le secteur où se trouvent l’aéroport de Khartoum et d’autres bâtiments clés, dont les bureaux des services de renseignement et la résidence de Hemetti.

Vice-dirigeant de facto du Soudan, Hemetti vit dans la résidence autrefois réservée au vice-président. Depuis ce bâtiment, le chef paramilitaire avait un accès direct au quartier général de l’armée et à la résidence de Burhan, ainsi qu’aux autres bâtiments officiels qui l’entouraient.

Les combattants des FSR, dont le nombre total est estimé aujourd’hui entre 85 000 et 100 000, étaient déjà implantés dans le quartier et ont pu facilement lancer leur assaut.

Le siège du commandement général est divisé en plusieurs bâtiments distincts pour ses différentes divisions, dont l’armée de l’air, qui sont reliés par une série de portes. Les paramilitaires se sont emparés des portes du bâtiment des forces terrestres au début des échanges et les ont réduites en cendres, indiquent à MEE des sources proches de l’armée.

Le même matin, des combats ont éclaté au camp militaire de Soba au sud de Khartoum, ainsi qu’à Sports City, où les FSR disposent d’une base. Selon un conseiller de Hemetti interrogé par Reuters, les combattants des FSR à Soba ont été réveillés par des attaques de l’armée ce matin-là.

« Pendant plusieurs mois, Hemetti a cherché à installer les FSR autour des cinq principaux aéroports militaires du Soudan »

- Un responsable soudanais à MEE

Des témoins oculaires à Khartoum indiquent à MEE que les premiers coups de feu ont été tirés à Soba, puis à Sports City, tandis que des sources proches de l’armée soutiennent que les combats ont commencé à l’aéroport avant de se déplacer vers le siège du commandement général.

Des séquences vidéo consultées par MEE montrent des manœuvres des forces armées soudanaises effectuées à Soba, près de Sports City, à 9 h 20.

Bien que l’on ne puisse pas encore affirmer avec certitude qui a tiré en premier, il est évident que la tension montait depuis un certain temps.

Hemetti déplaçait des combattants des FSR par milliers vers des positions stratégiques autour de Khartoum ainsi que vers la base aérienne de Merowe, à environ 330 km au nord de la capitale.

« Pendant plusieurs mois, Hemetti a cherché à installer les FSR autour des cinq principaux aéroports militaires du Soudan », affirme le responsable soudanais.

Le déploiement par le groupe paramilitaire de canons antiaériens dans des zones stratégiques et urbaines a également dérangé l’armée. Au cours des trois dernières semaines, ces mêmes armes ont été utilisées contre des ennemis dans les airs et au sol.

Burhan et Hemetti étaient en contact

L’armée suivait ces déploiements et se préparait à y répondre, indiquent à MEE des sources proches de l’armée.

Burhan et Hemetti étaient également en contact et avaient convenu de se rencontrer en personne le 15 avril, le jour où les combats ont commencé.

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Si cette rencontre n’a jamais eu lieu, les deux hommes se seraient entretenus une semaine auparavant, le 8 avril, dans une ferme à la périphérie de Khartoum.

Selon des responsables soudanais, Burhan a demandé à Hemetti de sortir les troupes des FSR de Khartoum. Hemetti a pour sa part demandé à Burhan d’ordonner le retrait des troupes égyptiennes de Merowe, craignant que l’Égypte, proche alliée du chef de l’armée, n’utilise ses forces armées contre lui. Aucun des deux généraux n’a voulu céder.

« Hemetti désobéissait à la chaîne de commandement depuis deux ans », souligne un second responsable soudanais travaillant avec les forces armées. « Il y avait une certaine frustration au sein de l’armée face à l’incapacité de Burhan à agir et à mettre un terme à cela. »

Finalement, les FSR se sont emparées de la base aérienne de Merowe et ont arrêté 27 soldats égyptiens, avant de les remettre au Caire sous une forte pression.

Selon une source militaire égyptienne interrogée par MEE, des pilotes égyptiens sont aux commandes d’avions de l’armée de l’air soudanaise depuis le début du conflit et procèdent à des frappes aériennes contre les FSR au nom de l’armée. Le responsable proche de l’armée soudanaise a démenti cette information.

Burhan et Hemetti ont mené ensemble un coup d’État en 2021, qui leur a permis de renverser le gouvernement de transition civil et pro-démocratique instauré au Soudan après la chute de l’autocrate de longue date Omar el-Béchir en avril 2019.

La perspective d’un accord politique sous médiation occidentale, qui aurait intégré les FSR à l’armée régulière, a fait monter la tension d’un cran

Leurs relations ont commencé à se dégrader peu après leur prise de pouvoir. Dans les mois qui ont précédé le déclenchement des hostilités, la perspective d’un accord politique sous médiation occidentale, qui aurait intégré les FSR à l’armée régulière, a fait monter la tension d’un cran.

« Les médiateurs opérant à Khartoum se sont rendu compte qu’ils avaient commis une grave erreur en proposant cette intégration des FSR », explique à MEE Ehud Yaari, conseiller du gouvernement israélien pour le Soudan. « C’est ce qui a déclenché les affrontements. »

« Les FSR déplaçaient des troupes et du matériel à Khartoum et tout autour, ce qui a constitué un facteur déterminant dans la réflexion des forces armées soudanaises », souligne Cameron Hudson, ancien analyste à la CIA et spécialiste du Soudan.

Les déplacements de troupes ont été suivis par l’édification de hauts murs autour de bâtiments clés, qui ont fini par être la cible de tirs.

Hemetti contribuerait à approvisionner la Russie en or

Selon un responsable occidental, la saisie en mars de grandes quantités d’or caché parmi des biscuits sur un vol russe à l’aéroport de Khartoum n’a fait que renforcer ces tensions.

Hemetti et sa famille possèdent une société d’extraction d’or qui opère sur les terres dont il s’est emparé au Darfour, dans l’ouest du Soudan, en 2017.

S’il affirme ouvertement qu’il n’est pas « le premier homme à posséder des mines d’or », ses combattants ainsi que ses mines lui apportent une source essentielle de pouvoir et de richesse.

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Il contribuerait également à approvisionner la Russie en or, aidant ainsi Moscou à maintenir son économie à flot face aux sanctions occidentales imposées à la suite de l’invasion de l’Ukraine.

« Hemetti est impliqué dans le commerce de l’or depuis des années », affirme le premier responsable soudanais. « Il a accumulé de l’argent dans de nombreux systèmes bancaires, pas seulement aux Émirats arabes unis.

Selon le responsable occidental, une quantité d’or estimée à 32,7 tonnes a été exportée clandestinement du Soudan via seize vols charters, pour une valeur estimée à 1,9 milliard de dollars entre février 2022 et février 2023. La cargaison était toujours étiquetée en tant que cargaison de biscuits, précise-t-il.

Le responsable ajoute que des combattants des FSR ont tenté de reprendre l’or aux autorités quelques heures avant le déclenchement des hostilités.

Mohammed Amin et Suadad al-Salhy ont contribué à cet article.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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