Qui est Hemetti, l’ancien chef de guerre redouté qui lutte pour le pouvoir au Soudan ?
La lutte pour le pouvoir entre les deux plus hauts responsables militaires du Soudan a dégénéré en combats meurtriers au cours du week-end.
Selon les informations relayées, au moins 185 personnes ont été tuées et 1 800 autres blessées depuis le début des violences qui ont éclaté dans la capitale Khartoum et dans d’autres villes du pays entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
Les tensions couvent depuis des mois entre l’armée, dirigée par le chef d’État de facto, le général Abdel Fattah al-Burhan, et les FSR de Mohamed Hamdan Dagalo, communément appelé Hemetti.
Il y a tout juste dix-huit mois, Hemetti a apporté son soutien à Burhan alors que ce dernier menait un coup d’État militaire contre le gouvernement de transition civil et militaire de l’époque.
Mais l’alliance précaire entre les deux hommes a bel et bien pris fin : samedi, Hemetti a déclaré en direct à la télévision que Burhan serait traduit en justice ou « [mourrait] comme un chien ».
Qui est Hemetti, et comment ce chef de guerre loyaliste est-il devenu un « commandant rebelle » qui a pris le contrôle d’aéroports et du palais présidentiel du Soudan ?
Un seigneur de guerre accusé d’exactions
Né dans un clan arabe tchadien au milieu des années 1970, Hemetti a fui la guerre durant son enfance et s’est installé dans la région du Darfour, dans l’ouest du Soudan, au cours de la décennie suivante.
Sans avoir reçu d’éducation formelle, il a pris la tête d’une des plus grandes milices janjawids – un ensemble de groupes paramilitaires impliqué dans une campagne gouvernementale au Darfour qui a tué au moins 200 000 personnes selon l’ONU.
Les Janjawids, appelés « cavaliers du diable », ont été déployés par Khartoum en 2003 pour combattre les rebelles dans la région.
Ils ont été accusés, avec les FAS, d’un large éventail de violations des droits de l’homme au Darfour, notamment d’exécutions, d’actes de torture et de viols. Outre les centaines de milliers de morts, au moins 2,5 millions de personnes ont été déplacées.
En 2013, les milices Janjawids ont été officialisées et ont formé les FSR, dont Hemetti a pris le contrôle en récompense de sa loyauté envers Khartoum, où d’autres chefs de milices s’étaient rebellés.
Sous le commandement de Hemetti, les FSR ont été déployées contre d’autres rébellions au Soudan, notamment au Kordofan méridional et dans l’État du Nil Bleu.
Les FSR de Hemetti ont servi de gardes du corps de facto pour l’ancien président Omar el-Béchir et des personnalités éminentes de son Congrès national pendant les trois décennies de règne de l’autocrate.
Lorsque la révolution soudanaise a éclaté en 2018 et qu’il est devenu évident qu’il n’y avait pas d’autre option que de destituer Béchir, Hemetti s’est prononcé – de manière opportuniste selon certains – en faveur des manifestations et de l’éviction de son ancien bienfaiteur.
Cependant, malgré ce soutien, les FSR de Hemetti ont été les principales responsables du massacre perpétré lors d’un sit-in le 3 juin 2019, au cours duquel les tirs nourris et les jets de gaz lacrymogène des autorités ont tué plus d’une centaine de manifestants.
Une alliance précaire avec Burhan
Dans les années qui ont suivi, un gouvernement hybride militaire et civil a vu le jour, avec une date limite fixée pour une transition vers un gouvernement civil.
Dans le cadre de la transition, le gouvernement soudanais de l’époque a cherché à envoyer Béchir devant la Cour pénale internationale (CPI) et à obtenir justice pour les atrocités commises par le passé, notamment au Darfour et lors du massacre de juin 2019.
Potentiellement impliqué dans de telles atrocités au même titre que Hemetti, Burhan a pris la tête d’un coup d’État militaire en octobre 2021 et est devenu le dirigeant de facto.
Hemetti a apporté son soutien à ce qu’il a décrit comme une démarche visant à « corriger le cours de la révolution populaire et [à] préserver la sécurité et la stabilité du pays ».
Malgré l’absence d’affinités entre les deux hommes et leurs différences en matière de mécènes internationaux et de sources de pouvoir et de richesse, cette union était considérée comme un mariage de convenance.
Burhan a les faveurs de l’Égypte et des personnalités qui étaient au pouvoir sous le régime de Béchir.
Il contrôle également un complexe militaro-industriel tentaculaire, la Military Industry Corporation, l’une des plus grandes entreprises publiques du pays, qui produit tout un éventail d’équipements de défense.
En parallèle, Hemetti et ses frères influents contrôlent des mines d’or au Darfour et disposent de soutiens aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite.
Lorsque la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a eu besoin de mercenaires pour sa guerre au Yémen, elle s’est tournée vers le Soudan et plus précisément vers Hemetti, qui les lui a fournis.
Après que les alliés de l’ex-dirigeant emprisonné Omar el-Béchir ont commencé à reprendre pied sur la scène politique du pays, Hemetti a déclaré en février que le coup d’État était une « erreur » et qu’il était « devenu une porte d’entrée pour un retour de l’ancien régime ».
Il est par la suite devenu un fervent défenseur de l’accord-cadre de décembre 2022 chapeauté par les États-Unis prévoyant la mise en place d’un gouvernement de transition purement civil.
L’une des conditions fixées par l’accord, dont Middle East Eye a pu consulter une ébauche, prévoit que le processus d’intégration entre les FAS et les FSR soit décidé dans un délai de dix ans.
Alors que Hemetti soutient ce calendrier, Burhan et les FAS souhaitent que ce processus d’intégration prenne deux ans.
Ce désaccord sur l’intégration des FSR dans les programmes de l’armée s’inscrit dans le cadre d’une lutte de pouvoir plus vaste entre les deux hommes, qui a donné lieu à des violences dans les rues du Soudan, alors que davantage d’incertitude et d’instabilité se dessinent probablement à l’horizon.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].