Israël voit le coup d’État de Burhan comme une occasion de resserrer les liens avec le Soudan – mais il devra attendre
La réaction instinctive de l’establishment sécuritaire et diplomatique israélien face au coup d’État militaire au Soudan a été un sentiment de satisfaction.
Depuis 2019, le général Abdel Fattah al-Burhan et ses officiers supérieurs partageaient le pouvoir avec la société civile par le biais d’un organe de transition militaire et civil. Burhan était lui-même président du Conseil de souveraineté jusqu’à ce qu’il le dissolve en début de semaine dernière.
Ce partage unique du pouvoir était le fruit de la révolution qui a renversé il y a deux ans le dictateur et criminel de guerre présumé Omar el-Béchir. Burhan a promis de mener le Soudan vers la démocratie. Même s’il maintient ses propos, de nombreux observateurs doutent de sa sincérité.
Sous le gouvernement intérimaire, Burhan espérait suivre les traces des Émirats arabes unis, de Bahreïn et du Maroc, qui ont récemment signé des traités de normalisation avec Israël et profité en conséquence d’un vent favorable de l’administration Trump.
L’ancien président américain a poussé le Soudan à suivre cet exemple lorsqu’il était encore au pouvoir. Les Émirats arabes unis ont promis un soutien financier et les États-Unis ont accepté de lever les sanctions imposées à Khartoum sous le régime brutal de Béchir.
Burhan était très enthousiaste et réceptif à ce projet. Yossi Cohen, à l’époque directeur du Mossad, a rencontré les généraux et les chefs des services de renseignement et leur a promis de les aider en leur apportant du savoir-faire, des technologies et des équipements.
En février 2020, le Premier ministre israélien de l’époque Benyamin Netanyahou a rencontré Burhan à Kampala sous la bénédiction du président ougandais Yoweri Museveni et lui a promis la lune.
Coopération clandestine
Burhan était cependant freiné par les partis politiques, les syndicats et les cercles de gauche dirigés par le Premier ministre Abdallah Hamdok, qui avaient des appréhensions au sujet de relations avec Israël. Confronté à ses opposants civils à l’échelle nationale, Burhan a dû prendre en considération les voix opposées à Israël. Finalement, un compromis a été trouvé.
Le 23 octobre 2020, Israël et le Soudan ont annoncé pour la première fois l’établissement de liens bilatéraux officiels.
Le Soudan est ainsi devenu le sixième pays arabe à reconnaître pleinement l’État d’Israël, après l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Cependant, aucun traité n’a été signé et les relations diplomatiques n’ont pas été formalisées. Pourtant, du point de vue soudanais, le simple fait de reconnaître Israël a constitué une percée.
En 1958, le Soudan a adopté une loi interdisant les relations avec Israël, notamment les opérations avec des Israéliens ainsi que les relations commerciales avec des entreprises israéliennes ou liées à Israël. Le texte a également interdit l’importation directe ou indirecte de produits israéliens.
Cette loi n’a pas empêché les dirigeants soudanais, les représentants de l’État et surtout les services de renseignement et l’armée d’entretenir des liens secrets avec leurs homologues israéliens.
La coopération clandestine à la fin des années 1970 et dans les années 1980 qui a permis à Israël d’exfiltrer des juifs éthiopiens de camps de réfugiés au Soudan et de les faire passer clandestinement en Israël n’est qu’un exemple de ces liens.
Le dirigeant soudanais de l’époque, Gaafar Nimeiry, ainsi que le chef de ses services de sécurité, Abu Taib, ont fermé les yeux en échange de 30 millions de dollars en pots-de-vin de qu’ils ont déposés sur des comptes bancaires secrets à l’étranger.
Attendre un moment plus opportun
Maintenant que Burhan s’est débarrassé des éléments civils et a établi un gouvernement militaire, il peut faire avancer ses vieux projets visant à établir des relations avec Israël. Il reste cependant à savoir s’il s’y emploiera ou non.
Confronté à la fragilité de la situation et à la nécessité de réprimer l’agitation et les protestations à grande échelle, Burhan a des questions plus urgentes à traiter que de s’engager sciemment dans le champ de mines israélien.
Confronté à la fragilité de la situation et à la nécessité de réprimer l’agitation et les protestations à grande échelle, Burhan a des questions plus urgentes à traiter que de s’engager sciemment dans le champ de mines israélien
Le gouvernement israélien le sait très bien.
L’armée soudanaise, qui demeure favorable à Israël, devra attendre un moment plus opportun.
Les espoirs israéliens s’amenuisent dans la mesure où l’administration du président américain Joe Biden a déjà dénoncé le coup d’État et menacé de retirer 700 millions de dollars d’aide financière.
Ainsi, Israël se retrouve dans une situation sans issue. Un gouvernement militaire qui souhaite nouer des liens avec Israël ne pourra rien faire. En revanche, si le Soudan dispose d’un gouvernement civil démocratique et libre, les chances d’avoir la paix avec Israël seront très minces.
- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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