Coup d’État au Soudan : qui est Abdel Fattah al-Burhan ?
Si nous le prenons au mot, le général Abdel Fattah al-Burhan a été l’une des trois personnalités de l’armée soudanaise à avoir affirmé à Omar el-Béchir qu’il était temps de mettre un terme à ses trois décennies au pouvoir.
« Je suis allé le voir et je l’ai informé », a déclaré Burhan à la BBC peu de temps après avoir été nommé à la tête du Conseil militaire de transition soudanais en avril 2019. « Je lui ai dit que les dirigeants des forces armées estimaient que la situation échappait à tout contrôle et qu’il devait donc se retirer. »
Selon Burhan, Béchir a simplement répondu « OK », avant d’exprimer son souhait de protéger les citoyens.
Cette conversation a dû être difficile pour le général en chef soudanais. Ancien soldat, Burhan était un des lieutenants loyaux de Béchir – au sens propre comme au sens politique.
Peu après cet échange, le 12 avril 2019, il a pris la tête du conseil militaire qui a évincé Béchir, un jour seulement après la démission du général Awad Ibn Ouf, successeur immédiat et ancien ministre de la Défense du président.
Alors que la nouvelle d’un nouveau coup d’État militaire au Soudan est tombée lundi matin, Burhan, président du Conseil de souveraineté depuis le 12 avril 2019 et commandant en chef des forces armées, a occupé le devant de la scène en déclarant l’état d’urgence et en annonçant la dissolution du gouvernement.
Des amis en Égypte et dans le Golfe
Né en 1960 au sein d’une famille soufie dans un village situé au nord de Khartoum, Burhan a étudié dans une école militaire soudanaise, puis en Jordanie et à l’Académie militaire égyptienne du Caire, qui a également formé l’actuel président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Il est marié et père de trois enfants.
« Il a joué un rôle absolument déterminant dans les ravages causés au Darfour »
– Patrick Smith, rédacteur en chef d’Africa Confidential
Burhan et Sissi sont des amis de longue date, bien que le général soudanais soit affilié depuis toujours aux types de mouvements islamistes que Sissi a proscrits. Pourtant, comme l’explique à MEE Patrick Smith, rédacteur en chef d’Africa Confidential, les deux chefs militaires sont unis par « l’intérêt supérieur de la lutte contre la démocratie ».
Son premier voyage international après être devenu le chef d’État de facto du Soudan a eu lieu en Égypte en mai 2019. Depuis l’Égypte, il s’est rendu aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite.
À ses débuts, Burhan a brièvement officié en tant qu’attaché militaire du Soudan à Pékin. Néanmoins, sa carrière militaire sous Béchir a été marquée par les rôles importants qu’il a joués au Soudan du Sud, au Darfour ainsi qu’au Yémen, où il a contribué à fournir des mercenaires soudanais à la coalition saoudienne en tant que chef des forces armées.
Burhan décrit Riyad comme un « allié éternel » et entretient des relations de longue date avec des commandants militaires saoudiens et émiratis.
« Du sang sur les mains »
« Il a joué un rôle absolument déterminant dans les ravages causés au Darfour », explique Patrick Smith à propos de Burhan, qui a combattu dans la région et, en tant que colonel des services de renseignement militaire, coordonné les attaques de l’armée et des milices contre les civils dans l’État du Darfour-Occidental de 2003 à 2005.
Même si le militaire soudanais nie avoir commis des atrocités, les dirigeants du Darfour n’ont aucun doute sur le rôle qu’il a joué. Sheikh Matar Younis, du Mouvement pour la justice et l’égalité, décrit Burhan comme « un meurtrier sanglant du peuple soudanais au Darfour avant même 2014 ».
Les habitants et les personnes déplacées du Darfour-Central et du Darfour-Occidental l’accusent d’avoir « du sang sur les mains » et d’être impliqué dans « la planification et la réalisation du génocide, la mise à feu de villages et le déplacement d’habitants non armés ».
En réponse à ces accusations, Burhan affirme pour l’essentiel qu’il ne faisait que se plier aux ordres et que ce qui s’est passé au Darfour – des faits largement considérés comme un génocide – était une guerre dans laquelle chaque partie accusait tout naturellement son adversaire de choses horribles.
La période passée par Burhan au Darfour est également importante dans la mesure où il a pu entrer en contact avec le seigneur de guerre Mohamed Hamdan Dagolo, communément appelé Hemetti. Ce dernier est devenu le chef des Janjawids, les milices arabes qui ont semé la mort et le désespoir au Darfour, devenues depuis lors les Forces de soutien rapide (FSR), toujours dirigées par Hemetti.
Diverses sources de pouvoir et de richesse
Respectivement à la tête des forces armées soudanaises et des Forces de soutien rapide, Burhan et Hemetti sont à la fois alliés et rivaux. Hemetti est vice-président du Conseil militaire de transition, mais sa famille et les FSR tirent d’énormes avantages de leur emprise sur les mines d’or du Darfour ainsi que du mécénat émirati et saoudien. L’armée soudanaise dispose en théorie d’un budget plus important et contrôle un vaste complexe militaro-industriel.
Ces diverses sources de pouvoir et de richesse ont été menacées par le gouvernement civil soudanais, ce qui pourrait expliquer pourquoi Burhan et Hemetti ont agi de la sorte. Burhan devait quitter cette année la présidence militaire du Conseil de souveraineté et être remplacé par un civil.
Burhan et Hemetti craignent tous deux d’être appelés à répondre de leurs agissements passés au Darfour. Selon Africa Confidential, Burhan a exercé des pressions pour dissoudre le Conseil des ministres sous direction civile.
D’après Patrick Smith, si ce coup d’État est celui de Burhan et Hemetti, la relation entre les deux hommes demeure difficile, « notamment parce que Hemetti se projette comme un dirigeant à l’étranger » et est plus proche du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et du prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed. Burhan est quant à lui considéré comme l’homme de l’Égypte.
Hemetti est une figure plus charismatique et caricaturale que Burhan, au ton posé et de nature méthodique. Par ailleurs, le chef des FSR est plus étroitement associé que le général des forces armées aux atrocités qui ont entaché la transition démocratique, notamment le massacre de plus de 128 personnes à Khartoum en juin 2019.
Autrefois considéré comme l’archétype du soldat apolitique, Burhan se retrouve au milieu d’une situation on ne peut plus politique. Les rues du Soudan sont pleines de gens qui réclament la démocratie. Les alliés de Burhan en Égypte et dans le Golfe surveilleront de près ses faits et gestes.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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