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L’enquête sur Lafarge en Syrie au crible de la justice française

Devant la Cour de cassation, qui n’examine l’affaire que sur la forme et non les faits, seront débattues la pertinence de très lourdes qualifications pénales dans ce dossier
La justice française se penchera sur six pourvois formés dans cette affaire, dans laquelle le cimentier reste poursuivi pour « financement du terrorisme » (AFP/Thomas Samson)
La justice française se penchera sur six pourvois formés dans cette affaire, dans laquelle le cimentier reste poursuivi pour « financement du terrorisme » (AFP/Thomas Samson)
Par MEE et agences à PARIS, France

Une entreprise peut-elle être considérée comme « complice de crimes contre l’humanité » ? La Cour de cassation, la plus haute juridiction française, examinera mardi des points cruciaux de l’enquête sur les activités du cimentier Lafarge en Syrie jusqu’en 2014.

Plus d’un an et demi après l’annulation par la cour d’appel de Paris de la mise en examen du groupe pour « complicité de crimes contre l’humanité », la Cour de cassation se penchera sur six pourvois formés dans cette affaire hors norme, dans laquelle le cimentier reste poursuivi pour « financement du terrorisme ».

D’un côté, Lafarge et deux anciens responsables du groupe, l’ex-directeur de la sûreté de l’entreprise Jean-Claude Veillard et l’un des ex-directeurs de la filiale syrienne, Frédéric Jolibois, contestent les poursuites à leur encontre. 

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De l’autre, des associations défendent leur droit à être parties civiles dans le dossier, et d’anciens employés de Lafarge en Syrie bataillent contre l’invalidation de la mise en examen du cimentier pour « complicité de crimes contre l’humanité ».

Dans cette information judiciaire, ouverte en juin 2017 après des plaintes de Bercy ainsi que de Sherpa et du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR), Lafarge SA, propriétaire de Lafarge Cement Syria (LCS), est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014, via cette filiale, près de treize millions d’euros à des groupes armés, dont le groupe État islamique (EI), et à des intermédiaires, afin de maintenir l’activité de son site en Syrie alors que le pays s’enfonçait dans la guerre. 

Le groupe est également suspecté d’avoir vendu du ciment de l’usine au profit de l’EI et d’avoir payé des intermédiaires pour s’approvisionner en matières premières auprès de factions islamistes armées.

Une responsabilité toujours contestée 

Un rapport interne commandé par LafargeHolcim, né de la fusion en 2015 du Français Lafarge et du Suisse Holcim, avait mis en lumière des remises de fonds de LCS à des intermédiaires pour négocier avec des « groupes armés ».

Mais Lafarge SA a toujours contesté toute responsabilité dans la destination de ces versements à des organisations « terroristes ». 

En juin 2018, alors que huit cadres et dirigeants du groupe faisaient déjà l’objet de poursuites, des juges d’instruction parisiens avaient mis en examen le groupe en tant que personne morale pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « violation d’un embargo » et « mise en danger de la vie » d’anciens salariés de son usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.

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La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, saisie par Lafarge, avait en novembre 2019 invalidé la « complicité de crimes contre l’humanité » visant le cimentier, mais maintenu le « financement d’une entreprise terroriste » à son égard ainsi qu’à celui de trois ex-dirigeants.

Elle avait par ailleurs déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de quatre associations plaignantes, à savoir Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR), la Coordination des chrétiens d’Orient en danger (Chredo) et Life for Paris, qui regroupe des victimes des attentats du 13 novembre 2015.

Devant la Cour de cassation, qui n’examine l’affaire que sur la forme et non les faits, seront donc débattues la pertinence de ces très lourdes qualifications pénales dans ce dossier. 

Au cœur des discussions notamment, le choix entre « financement d’une entreprise terroriste », infraction pour laquelle il faut démontrer avoir financé des actes terroristes en toute connaissance de cause mais sans forcément avoir eu en tête un mobile précis, et « complicité de crimes contre l’humanité », qui nécessite une intention particulière beaucoup plus concrète, avec la connaissance d’un projet criminel plus précis et l’adhésion à ce dernier.

Les magistrats de la Cour de cassation seront aussi amenés à se pencher sur la notion d’« indices graves et concordants », nécessaires pour justifier les autres mises en examen.

Par Eleonore Dermy

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