Le Hezbollah et les Gardiens de la révolution se retirent du Sud de la Syrie selon des sources
Des sources sûres à Beyrouth et à Damas confient à Middle East Eye que le Hezbollah libanais et le corps iranien des Gardiens de la révolution islamique ont achevé leur retrait des provinces méridionales syriennes de Quneitra et Deraa, à la demande du président syrien Bachar al-Assad.
D’autres sources dans le Sud de la Syrie interrogées par MEE, dont deux ex-chefs rebelles, ont pour leur part démenti tout retrait des groupes pro-iraniens de cette région.
Le parti chiite libanais accordait une grande importance à ces deux régions, limitrophes du Golan occupé par Israël en 1967, et déployait des efforts soutenus pour y implanter une infrastructure militaire et former des combattants locaux dans le but de créer le noyau d’une résistance syrienne à l’occupation israélienne.
Il avait confié cette tâche à l’une de ses plus éminentes figures, Samir Kantar, qui avait passé 30 années dans les prisons israéliennes avant d’être libéré dans le cadre d’un échange de détenus en 2008. Ce druze converti au chiisme pendant ses années de prison a été tué en décembre 2015 par un raid aérien israélien dans la localité de Jaramana, au sud de Damas.
En janvier de la même année, un autre cadre important du Hezbollah, Jihad Moughnieh, fils du chef militaire historique du Hezbollah Imad Moughnieh, assassiné en février 2008 dans un attentat à la voiture piégée à Damas, était tué dans un raid israélien dans la province de Quneitra.
Un front contre Israël allant de Naqoura à Deraa
L’affectation de ces deux figures emblématiques dans cette région de Syrie montre à quel point ce projet constituait une priorité stratégique pour le Hezbollah. Le but ultime était de créer un front contre Israël qui partirait de Naqoura, dans l’extrême Sud du Liban, à Deraa, dans le Sud de la Syrie, avec une continuité territoriale allant jusqu’à Téhéran en passant par l’Irak, permettant un ravitaillement rapide et ininterrompu.
Dans la province de Quneitra, des dizaines de combattants du Hezbollah, dont des officiers expérimentés et de diverses spécialités, ont formé et encadré plusieurs centaines de combattants locaux recrutés dans les localités de la région mais aussi dans d’autres zones de Syrie.
« Le retrait du Sud n’a pas eu l’effet escompté par le commandement syrien. Cela a encouragé Israël à aller de l’avant pour essayer de rééditer le même scénario dans les régions où sont déployés les alliés de l’armée syrienne »
- Une source libanaise proche du Hezbollah
En revanche à Deraa, le parti chiite libanais et les Gardiens iraniens étaient présents sous la forme de « conseillers », déployés souvent au sein des unités et des casernes de l’armée régulière syrienne.
Tous ces hommes ont été priés de se retirer de ces deux provinces par le haut commandement syrien. Le sort des unités locales formées par le Hezbollah n’a pas encore été tranché.
Les Gardiens et le Hezbollah restent présents à Boukamal et la ville voisine de Mayadine (dans le Sud de la province orientale de Deir ez-Zor), à Palmyre, Alep, où ils disposent de milliers d’hommes, et au sud immédiat de Damas.
Toujours est-il que le projet de créer un front contre Israël n’a pas été entièrement concrétisé. L’approvisionnement terrestre entre la Syrie et l’Irak, qui passe par Boukamal, n’est pas sécurisé. L’implantation de la base américaine d’al-Tanf dans le triangle frontalier entre la Syrie, la Jordanie et l’Irak, et la zone de sécurité de 50 kilomètres de rayon imposée par les États-Unis constituent une épine dans le flanc de cette route stratégique.
Le retrait du Hezbollah et des Gardiens du Sud syrien serait un nouveau coup dur pour la stratégie d’élargissement du front contre Israël. La décision du « redéploiement », comme l’appellent les milieux syriens et du Hezbollah, aurait été prise à la demande personnelle du chef de l’État syrien sur les conseils de l’état-major de son armée.
Les sources de MEE affirment que la mesure a été dictée par l’intensification, ces derniers mois, des attaques aériennes israéliennes contre des positions et des casernes de l’armée syrienne à proximité desquelles sont déployés des conseillers ou des unités du Hezbollah et des Gardiens de la révolution.
« Les Iraniens et le Hezbollah ont imposé des règles d’engagement claires aux Israéliens en Syrie », explique à MEE une source libanaise proche de la formation chiite. « Si des combattants libanais ou iraniens sont tués dans des raids, la riposte est inévitable. Israël a pu vérifier le sérieux de ces menaces à plusieurs reprises. Aussi évite-t-il de leur infliger des pertes humaines lors de ses attaques aériennes. »
Pour contourner ces règles, Israël a changé de stratégie. Il a concentré et intensifié ses attaques contre l’armée syrienne, qui a perdu ces derniers mois des dizaines de soldats et d’importantes quantités de matériel militaire.
L’armée syrienne préfère éviter la confrontation avec Israël
« Face à la recrudescence des attaques israéliennes contre l’armée syrienne, des concertations ont eu lieu entre les dirigeants syriens, iraniens et du Hezbollah sur les moyens de faire face à cette hémorragie », poursuit la même source.
« Pour les Iraniens et le Hezbollah, toute attitude laxiste face à Israël l’encouragera à poursuivre ses agressions. Il faut donc riposter aux raids et lui faire comprendre qu’il y aura un prix à payer après chaque perte humaine ou destruction importante. Israël ne comprend que le langage de la force. »
« Damas n’est pas prêt à rompre son alliance stratégique avec l’Iran et le Hezbollah, qui l’a aidé à renverser les rapports de force à son avantage. Si Israël fait trop monter la pression, le président Assad pourrait revenir sur sa décision et redonner une plus grande marge de manœuvre à ses alliés »
- Une source syrienne
Le commandement syrien défend un autre point de vue. L’armée, exténuée par onze ans de guerre, a besoin d’un répit pour se reconstruire. La priorité doit être donnée, en ce moment, à l’économie, détruite par les années de conflit et par les sanctions occidentales, notamment la loi américaine César, qui interdit toute transaction commerciale ou financière avec le gouvernement syrien ou des personnes et des entités proches des cercles du pouvoir.
« La situation économique est catastrophique », explique une source syrienne à MEE. « Les pénuries de carburant et de certaines denrées alimentaires de base sont devenues chroniques. La population souffre et le gouvernement doit se concentrer sur les moyens de lui assurer les besoins élémentaires pour éviter une explosion sociale. »
Les divergences entre les alliés sont claires. Damas ne souhaite pas provoquer une dynamique de guerre avec Israël et préfère une désescalade. C’est dans ce contexte que le président Assad aurait demandé le retrait du Hezbollah et des Gardiens iraniens du Sud du pays.
Les raids israéliens ont presque cessé à Quneitra, en revanche ils s’intensifient contre l’aéroport de Damas et dans la région d’Alep, où est notamment présente l’unité d’élite du Hezbollah, al-Radwan.
En juin, les attaques israéliennes ont mis hors service l’aéroport de la capitale et début septembre, celui d’Alep a été durement touché.
« Le retrait du Sud n’a pas eu l’effet escompté par le commandement syrien », commente la source libanaise proche du Hezbollah. « Cela a encouragé Israël à aller de l’avant pour essayer de rééditer le même scénario dans les régions où sont déployés les alliés de l’armée syrienne. Il ne s’est pas contenté de l’éloignement des combattants du Hezbollah et des Gardiens de la ligne de contact dans le Golan. »
Le but déclaré d’Israël est de mettre un terme à la présence iranienne et celle du Hezbollah en Syrie et de démanteler les infrastructures et les dépôts où seraient entreposés, selon lui, des missiles de longue portée et de haute précision.
Si le pouvoir syrien a consenti un pas en arrière dans le Sud du pays, il n’est pas sûr qu’il soit disposé à faire d’autres concessions ailleurs.
« Damas n’est pas prêt à rompre son alliance stratégique avec l’Iran, qui remonte à 40 ans, et avec le Hezbollah, qui l’a aidé à renverser les rapports de force à son avantage », confie la source syrienne. « Si Israël fait trop monter la pression, le président Assad pourrait revenir sur sa décision et redonner une plus grande marge de manœuvre à ses alliés. »
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