Syrie : pour satisfaire l’Occident, HTC débarrasse la province d’Idleb des combattants étrangers et des groupes interdits
Au pied d’une colline située entre les villes d’Atma et Harem, dans le nord de la province d’Idleb en Syrie, sont plantées depuis des années de simples tentes, délabrées et ignorées par les organisations humanitaires, tandis que leurs habitants restent mystérieux pour la plupart des Syriens.
Il ne s’agit pas des tentes de pauvres déplacés près de la frontière turque, mais plutôt des abris d’islamistes français et originaires d’autres pays européens ayant rallié la Syrie aux premiers jours de la guerre.
Ces neuf dernières années, ces militants étrangers, connus pour leur férocité au combat, étaient des forces de frappe qui pouvaient faire basculer les combats en faveur des factions islamistes luttant contre le gouvernement syrien, son allié russe, ainsi que les militants radicaux chiites.
Ces combattants se sont baptisés Firqatul Ghuraba (« brigade étrangère » en arabe) et étaient enveloppés de mystères, ce qui intimidait quiconque tentait de s’immiscer dans leurs affaires. Lorsqu’ils quittaient leurs tentes, ils marchaient masqués, avec leurs femmes, en groupes armés, ne s’intéressant pas aux autres et ne communiquant avec personne.
Mais cette démonstration de force appartient au passé.
Fin août, Hayat Tahrir al-Cham (HTC) a arrêté le dirigeant de Firqatul Ghuraba, le militant franco-sénégalais Omar Diaby, connu sous le nom d’Omar Omsen, sans que sa brigade ou d’autres militants étrangers ne réagissent immédiatement.
Cette arrestation faisait suite à une série d’opérations, au cours des dernières années, qui ont amené HTC, qui contrôle la province, à changer de politique et à arrêter ses opposants et ses anciens alliés ayant fait défection. Originellement connu sous le nom de Front al-Nosra, HTC s’est détaché d’al-Qaïda à la mi-2016.
Des raisons complexes
Au départ, un porte-parole de HTC, Taqi al-Din Omar, a confirmé l’arrestation d’Omsen à Middle East Eye sans en exposer les motifs, mais trois jours plus tard, il a publié un communiqué affirmant que des poursuites étaient engagées contre lui.
« Omsen a établi un état civil – tel que les mariages et les divorces – et dirige une prison dans le camp, ignorant l’administration de la [province].
« Ces actions sont une porte ouverte à la corruption et au mal, les autorités qui contrôlent les instances civiles et pénales ne laisseront jamais passer de telles actions », poursuit son communiqué.
Le communiqué de Ghuraba dit tout autre chose. La brigade affirme qu’Omsen a été arrêté par un tribunal de HTC suivant une querelle avec certains membres du Parti islamique du Turkestan (PIT), un groupe militant ouïghour indépendant basé à Idleb.
Omsen a longtemps été un allié du PIT et aurait tenté de se détacher des militants ouïghours et de s’allier avec un autre groupe, une initiative source de désaccords entre les factions à propos des armes et des sphères d’influence.
Ce chaos est normal pour Omsen. Après son arrivée en Syrie en 2013, il a approché al-Qaïda et le front al-Nosra, puis a allié sa brigade avec l’État islamique (EI), avant de s’en séparer lorsque celui-ci s’est déplacé avec la plupart de ses membres français vers la province de Raqqa, dans l’est de la série.
À cette époque, Omsen s’est retrouvé seul dans un contexte d’hostilité croissante envers l’EI et ses anciens alliés à Idleb, alors il a simulé sa mort en août 2015. Il est réapparu lors d’une interview télévisée en mai 2016 et a prétendu avoir feint d’avoir été tué pour pouvoir quitter la Syrie afin d’être opéré sans être repéré.
Omsen était considéré comme un important recruteur d’autres combattants français. Le nombre de Français venus combattre en Syrie début 2014 s’élève à environ 700, selon David Thompson dans son livre Les Français jihadistes.
Mauvaise réputation
Un dirigeant de HTC a déclaré à MEE qu’Omsen avait été arrêté en raison de son association avec Hurras al-Din, le principal opposant de HTC, et avec la branche d’al-Qaïda alliée avec des groupes islamistes dans le centre d’opérations militaires appelé « Be Steadfast ».
« On s’inquiète que certains combattants étrangers soient liés aux services de renseignement mondiaux »
- Un dirigeant de HTC
Ce dirigeant estime qu’on dénombre entre 75 et 125 combattants d’Omsen, les décrivant comme un mauvais groupe, inactif, dont les cibles ne sont pas très claires.
« On s’inquiète que certains combattants étrangers soient liés aux services de renseignement mondiaux », a confié ce dirigeant à MEE, refusant de donner son nom pour des raisons de sécurité.
Cependant, une autre source a rapporté à MEE : « Il y a plusieurs années, un grand conflit a éclaté entre Ghuraba et HTC à cause d’une femme.
« Lorsque l’un des combattants de Ghuraba est mort au combat, sa veuve a essayé de rentrer en Europe, mais Omsen l’en a empêchée et l’a forcée à l’épouser.
« Omsen lui a dit : “Comment peux-tu rentrer au pays des infidèles [l’Europe]” », a raconté la source, qui a également demandé à ne pas être identifiée pour des raisons de sécurité.
« Cette femme s’est réfugiée auprès d’un tribunal dirigé par HTC, qui en retour a encerclé les tentes de Ghuraba après le refus d’Omsen de comparaître devant lui. »
MEE n’a pas été en mesure de vérifier indépendamment ce compte rendu des événements.
Ce n’était pas la première fois qu’un problème impliquant une femme provoquait des dissensions majeures entre HTC et Ghuraba.
En 2017, un Français nommé Mehdi Joundallah, qui s’était rendu en Syrie avec sa fille Yasmine, a été tué au combat. Sa veuve, une Belge qui était restée en Europe, a réclamé que sa fille lui soit rendue, mais Ghuraba a demandé une rançon estimée à 20 000 dollars.
HTC avait alors encerclé les tentes de Ghuraba et arrêté Omsen. Après deux semaines de tension, Hurras al-Din avait servi d’intermédiaire pour résoudre ce conflit via une commission qui décida de rendre la petite fille de 4 ans à sa mère via l’ambassade de son pays en Turquie.
Destination finale
« Hurras al-Din n’a pas officiellement commenté cette affaire, mais des comptes pro-Hurras ont défendu Omsen et prétendu que “HTC avait inventé des mensonges contre lui” », a déclaré à MEE Orwa Ajjoub, un chercheur spécialiste des groupes militants islamistes, basé en Suède.
Le dirigeant de HTC explique que Hurras al-Din est devenu le dernier recours pour tous les militants, notamment des combattants de l’EI qui sont dispersés depuis la mort de leur dirigeant, Abou Bakr al-Baghdadi. L’énigmatique dirigeant de l’EI a été tué à Idleb lors d’une opération américaine de grande envergure en 2019.
« Ils [Hurras al-Din] nous ont qualifiés d’infidèles alliés à l’Occident, ils ont permis le vol de notre argent et de nos voitures et ont tenté de nous tuer avec des engins explosifs », indique-t-il.
« Les deux camps [EI et Hurras al-Din] ne se sont pas mis d’accord, ce qui a abouti à des divisions qui ont généré de nouveaux groupes »
- Un dirigeant de HTC
« Les deux camps [EI et Hurras al-Din] ne se sont pas mis d’accord, ce qui a abouti à des divisions qui ont généré de nouveaux groupes. »
Le 29 août, les médias locaux ont signalé que l’armée turque avait détruit une voiture remplie d’explosifs qui devait être projetée contre une base militaire turque au sud d’Idleb, quatre jours après qu’une patrouille militaire conjointe entre les Russes et les Turcs eut été visée par un engin explosif dans le sud de la province.
Les brigades Khattab al-Shishani, un nouveau groupe islamiste inconnu, prétend avoir visé cette patrouille, tandis que les brigades Abu Bakr al-Siddiq, un autre nouveau groupe inconnu, revendique avoir visé la base turque dans un communiqué de quatre pages.
Le dirigeant de HTC a déclaré que des réunions secrètes avaient eu lieu entre Hurras al-Din et son groupe ces derniers mois.
« Nous sommes les fils d’une cause et d’une révolution soutenues par la Turquie. Nous ne pouvons sacrifier les vies de millions de personnes à cause d’actions irresponsables », a-t-il affirmé.
« Ils [Hurras al-Din] se demandaient comment nous [HTC] pouvions accepter les accords internationaux et comment nous pouvions accepter pacifiquement l’entrée de patrouilles conjointes russo-turques à Idleb. »
HTC frappe ses alliés
Lorsque HTC était encore le Front al-Nosra, il a gagné en renommée en visant l’armée et les services de renseignement syriens avec des opérations spécifiques dans les grandes villes.
Mais il n’a pas tardé à s’allier avec al-Qaïda début 2013 et à adopter une approche anti-occidentale, ce qui a fait naître des craintes au sein de la communauté internationale et lui a fait perdre d’éventuels soutiens.
Cependant, les rebelles syriens ont souvent secrètement partagé un tiers de ce qu’ils recevaient des Occidentaux avec le Front al-Nosra, dont les combattants étaient considérés comme des frères et étaient déployés sur les lignes de front pendant les combats acharnés.
Cette coopération s’est affaiblie progressivement, avec des allégations de vols généralisés parmi les rebelles et le déclin de leurs compétences au combat, sans compter les tentatives d’al-Nosra d’établir un régime islamique, en particulier pendant la bataille pour Alep fin 2016.
C’est pourquoi de nombreux dirigeants rebelles affiliés au Front al-Nosra accusent le groupe militant de les avoir trahis et de s’être emparé de la révolution, après avoir démantelé et supprimé bon nombre de leurs factions sous prétexte d’interactions avec la Turquie et l’Occident.
Aujourd’hui, HTC est toujours considéré comme un groupe terroriste, même après s’être séparé d’al-Qaïda et s’être aligné avec un groupe rebelle soutenu par la Turquie, le Front national de libération (FNL), sous l’égide du centre d’opérations al-Fateh al-Mubeen, lequel comprend également Jaish al-Izza.
HTC tente ouvertement de satisfaire l’Occident, ce qui provoque le chaos. Il a retiré les étrangers de ses rangs, en arrêtant certains – s’attirant les foudres des épouses des détenus – et est devenu totalement composé de gens d’Idleb et d’habitants déplacés de la province. Dans le même temps, il a établi un gouvernement local pour gérer sa région.
HTC a également arrêté de nombreux ressortissants étrangers n’appartenant pas à ses rangs, tels l’humanitaire britannique Tauqir Tox Sharif et Bilal Abdul Karim, un célèbre journaliste américain et contributeur de MEE, ainsi que des membres de Hizb ut-Tahrir réclamant un régime islamique à Idleb.
Idleb abrite environ 3 millions de personnes, dont un tiers de déplacés de toute la Syrie, et est soumise à un accord de cessez-le-feu conclu début mars entre la Turquie, alliée des rebelles, et la Russie, alliée aux forces du gouvernement syrien.
« C’est un État »
« Les régions sous le contrôle de HTC constituent un État, qu’il soit reconnu ou non, qui a une autorité et des institutions », a affirmé le groupe lors d’une rencontre avec des membres de la presse, dont a rendu compte l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une organisation basée au Royaume-Uni.
« HTC sait qu’il ne peut pas s’attirer le soutien de l’Occident sans abandonner les étrangers et s’opposer aux groupes interdits »
- Orwa Ajjoub, chercheur
« Notre groupe ne constitue pas une menace pour l’Occident […] Nous sommes les derniers à combattre le régime syrien et nous ne serons pas en mesure de l’éliminer sans une aide internationale », a déclaré au journal francophone Le Temps Abdel Rahman Atun, dirigeant du Conseil de la charia de HTC.
Le chercheur Orwa Ajjoub explique à MEE : « HTC sait qu’il ne peut pas s’attirer le soutien de l’Occident sans abandonner les étrangers et s’opposer aux groupes interdits.
« Il ne se soucie pas des manifestations organisées par les épouses des détenus dans ses prisons, il s’intéresse davantage au maintien de son autorité à l’avenir.
« Les combattants étrangers craignent que HTC ne les arrête et les remette à leurs pays d’origine, et que des attaques anonymes les visant soient orchestrées. »
Alors que HTC tente de changer son image internationale, la Royal Air Force britannique et l’aviation américaine poursuivent leurs opérations contre des combattants islamistes en Irak et en Syrie, mais loin des dirigeants et membres de HTC.
La semaine dernière, un drone a visé et tué un dirigeant de seconde zone de Hurras al-Din, dernière attaque d’une série d’opérations devenues fréquentes dans la province. Pendant ce temps, les dirigeants de HTC déambulent librement parmi les civils dans les camps et sur les marchés publics.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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