La vie après Daech : les témoignages de Françaises condamnées
Leur parcours fait peur. Leur parole est rare. Elles veulent rester discrètes parce qu’elles espèrent retrouver une formation, un travail, des amies en France ou en Belgique. Amel* et Hafsa* font partie de la quarantaine de Françaises jugées à Paris pour avoir adhéré à l’État islamique (EI).
« À une époque, oui, pour moi, il fallait semer la terreur, mais aujourd’hui, c’est fini, j’essaie de voir l’avenir et d’oublier tout ça. Avant, je me serais assise avec vous mais uniquement pour faire de la propagande. »
Amel a 20 ans, nous la retrouvons dans un parc près de chez elle. Pour couvrir ses longs cheveux, elle porte un foulard coloré assorti à sa robe. Difficile d’imaginer que de 14 à 17 ans, Amel était « un profil très dur, un sacré morceau », comme le dit à son sujet un agent des services de renseignement français.
Des adolescentes déterminées
Amel a fait au total sept tentatives de départ vers la Syrie. En janvier 2017, la jeune fille est arrêtée dans un bus en Bulgarie, elle était en route pour Raqqa avec un seul objectif : rejoindre d’autres Françaises déjà présentes sur la zone contrôlée par le « califat » auto-proclamé. Amel voulait se marier avec un combattant du groupe, et mourir en martyre aux côtés de celles qu’elle appelait « ses sœurs ».
« À force, vous n’avez presque plus d’émotions. Moi, ça ne me faisait pas peur de mourir à l’époque »
- Hafsa
Hafsa pourrait être la sœur jumelle d’Amel tellement les deux Françaises se ressemblent. Elle est l’une des plus jeunes femmes condamnées pour terrorisme en France, la seule mineure condamnée pour préparation d’attentat.
À 15 ans, alors qu’elle est encore une adolescente, avec quatre autres jeunes femmes, elle prévoit d’attaquer une salle de concert. Elle veut faire comme les attentats de Paris du 13 novembre 2015. Ce jour-là, des commandos belges et français revenus de Syrie prennent pour cibles la salle de concert du Bataclan et plusieurs terrasses de café et restaurants alentour, faisant 130 morts.
Le plan de l’opération de Hafsa était prêt, elle avait assigné sa tâche à chacune. Sur internet, l’adolescente avait cherché la plus grande salle de concert à Paris. « Le mode opératoire, c’était que moi et une autre fille, on devait entrer dans la salle par derrière, tirer sur la foule puis recharger et retirer pour faire un maximum de morts », explique-elle.
« Il y aurait l’intervention de la police forcément, mais on ne voulait pas se rendre donc on s’est dit : soit on se fait tirer dessus, soit on se fait sauter avec une ceinture explosive. À force, vous n’avez presque plus d’émotions. Moi, ça ne me faisait pas peur de mourir à l’époque. Mais une fille du groupe a pris peur et nous a dénoncées à la police. C’est cela qui a mis fin à notre projet. »
La jeune fille chargée d’acheter les armes a en effet craqué. En avril 2016, Hafsa est arrêtée par les services de renseignement français. Elle a encore 15 ans. Après plusieurs heures de garde à vue, elle est d’abord conduite dans un centre éducatif fermé pour adolescents difficiles, avant d’être incarcérée.
À 16 ans, en juillet 2016, elle débarque au quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, près de Paris. « J’étais avec d’autres filles poursuivies pour terrorisme. Cela ne m’a pas permis d’avancer parce qu’on était tous entre nous. On restait dans notre bulle. »
Le choc carcéral
Après son arrestation en Bulgarie en janvier 2017, puis son expulsion vers Paris, Amel est également incarcérée. Avant d’être enfermée seule dans une cellule, elle était persuadée que la détention était juste un test, une épreuve pour connaître ses limites. Mais lorsque les murs se dressent autour d’elle, la jeune femme s’effondre et réalise ses terribles erreurs.
« J’étais avec d’autres filles poursuivies pour terrorisme. Cela ne m’a pas permis d’avancer parce qu’on était tous entre nous. On restait dans notre bulle »
- Hafsa
« Je comptais les jours, j’attendais chaque semaine que ma mère vienne au parloir. J’ai vu sa grande détresse, j’ai vu sa santé mentale se dégrader. Je lui demandais pardon tout le temps, elle me disait qu’elle me pardonnait. »
Amel a la voix qui s’étrangle lorsqu’elle évoque sa mère. Une mère qui ne l’a jamais lâchée. « En prison, j’ai compris qui m’aimait. Le soutien de ma famille m’a sauvée, ce n’est pas le fait d’être incarcérée. À ce moment-là, c’est devenu clair dans ma tête : je ne pouvais plus infliger encore des souffrances à ma mère. »
En prison, Amel passe le baccalauréat, examen qui marque la fin du lycée. Après une année de détention, en février 2018, elle est libérée dans l’attente de son procès. Son contrôle judiciaire est très strict, du jamais vu pour une femme si jeune. À 18 ans, le juge en charge de son dossier lui impose un bracelet électronique mais elle doit aussi avoir un traceur en permanence sur elle. L’appareil enregistre et communique en temps réel ses déplacements.
« Si le traceur ne captait plus, par exemple dans le métro, il se mettait à sonner très fort. C’était horrible. Si je ne retrouvais pas une position avec un signal pour le traceur, un policier m’appelait dans les deux minutes pour savoir où j’étais. Je n’osais même plus sortir tellement j’avais honte quand il se mettait à sonner. »
En janvier 2019, Amel est jugée devant un tribunal pour enfants à Paris. « À l’audience, j’ai été totalement honnête. J’ai répondu à toutes les questions. Moi, j’ai pris ma décision toute seule de rejoindre Daech, je ne voulais pas dire comme ce qu’on entend dans les interviews, qu’on m’a lavé le cerveau. Non ce n’est pas vrai, ce sont bien mes petits pieds et mes petites mains qui ont poussé la porte pour partir en Syrie », dit-elle.
« Au procès, j’ai aussi montré mon vrai visage, j’ai assumé ma religion. Je suis venue voilée parce que je reste musulmane. Je ne voulais plus mentir comme avant. Avant cela, j’ai beaucoup dissimulé, ça m’arrivait d’aller devant le juge sans voile, pour le manipuler. »
Après deux jours d’audience, Amel est condamnée à quatre ans de prison dont deux avec sursis et elle sort libre du palais de justice. « Quand je repense à tout ce que j’ai vécu, je me demande comment j’ai fait pour supporter ça ! Vivre entre quatre murs derrière les barreaux. Maintenant c’est fini, je ne veux plus jamais retourner dans une cellule ou avoir des menottes aux mains. »
Le retour à la vie
Amel est toujours sous contrôle judiciaire mais celui-ci est beaucoup moins strict. Elle est suivie par un dispositif spécial mis en place en France pour les personnes condamnées pour des faits liés au terrorisme. Elle passe beaucoup de temps avec Marwan, un « référent religieux », qui l’aide à réapprendre sa religion, comprendre les textes.
« Amel s’est rendu compte de tout ce qu’elle avait et qu’elle risquait de perdre en restant dans le monde de Daech. Elle voudrait même participer à la déconstruction du discours radical auprès des jeunes encore séduits par la violence des groupes extrémistes », explique Marwan.
Pour le moment, Amel n’a pas de carte d’identité ou de passeport. Son seul document d’identité, c’est un bout de papier froissé sur lequel est écrit en gros : « Ce document ne permet pas de sortir du territoire ».
Hafsa aussi a toujours dans son portefeuille ce bout de papier. Fin 2017, elle a été condamnée à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Aujourd’hui, elle est très suivie, par la même association qu’Amel. La jeune femme assure avoir coupé les liens avec ses anciens amis de l’État islamique.
Durant l’été 2017, alors qu’elle est encore incarcérée, sa juge lui propose d’aller faire une randonnée de trois mois avec une association spécialisée dans la prise en charge des adolescents en rupture. Marcher, aller au bout de soi, lui a permis de réfléchir, de réaliser l’engrenage dans lequel elle s’était volontairement jetée.
« J’étais seule avec un éducateur. Pendant les trois premières semaines, je ne lui ai pas parlé. On marchait environ 25 kilomètres par jour, parfois sous la pluie. Et petit à petit, je me suis ouverte, j’ai même rencontré d’autres randonneurs. À force, j’ai pris goût à la marche, j’ai découvert le plaisir de regarder les paysages, c’était trop beau », raconte la jeune femme.
« À une époque, oui, pour moi, il fallait semer la terreur, mais aujourd’hui, c’est fini, j’essaie de voir l’avenir et d’oublier tout ça »
- Amel
« Du coup, je me suis dit : ‘’Hafsa, c’est ça la vie !’’, prendre du plaisir, sourire, découvrir autre chose que la haine ! Ça m’a permis de réfléchir : est-ce que tuer des gens, mourir à 15 ans, c’était vraiment la vie que je voulais avoir ? »
À la fin de cette marche, la jeune femme n’est plus la même. Aujourd’hui, à 19 ans, elle vit sa jeunesse, elle a un fiancé. Toujours enveloppée dans un long jilbab, aujourd’hui elle sourit, loin de cette violence qui l’a obsédée pendant près de trois années.
« Je fais du shopping, je profite ! Je ne regarde plus la télévision, je ne m’intéresse plus à la guerre. Sur les réseaux sociaux, maintenant je cherche les derniers conseils beauté, les trucs comme ça. » Ces réseaux sociaux qui l’ont fait basculer dans la haine de son pays, la rattachent aujourd’hui au quotidien plus classique d’une jeune Française de 19 ans.
* Le prénom a été changé.
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