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Des proches du gouvernement syrien engrangent des millions grâce aux contrats de l’ONU, selon un nouveau rapport

Les entreprises liées à un dirigeant de milice accusé de massacre et au frère d’un cousin de Bachar al-Assad sous sanction sont parmi les principaux bénéficiaires
Entrée du premier convoi d’aide humanitaire de l’ONU en Syrie via le poste-frontière de Bab al-Hawa avec la Turquie, le 28 juillet 2022 (AFP)

Un nouveau rapport conclut à une corruption « systémique » de l’aide humanitaire en Syrie, où des individus accusés d’atteintes aux droits de l’homme bénéficient des marchés publics avec les agences de l’ONU.

Entre 2019 et 2020, près de 47 % des financements de l’ONU en Syrie sont allés à des entreprises liées à des atteintes aux droits de l’homme commises par le gouvernement de Bachar al-Assad, selon le rapport publié mardi par le Syrian Legal Development Programme (SLDP) et l’Observatory of Political and Economic Networks (Open).

En outre, près de 23 % des marchés publics de l’ONU – d’une valeur d’environ 63 millions de dollars – ont été adjugés à des individus sanctionnés par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne.

« Le niveau d’abus est inimaginable, mais on se l’imagine très bien quand on connaît la situation en Syrie », a déclaré Natasha Hall, chercheuse au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), lors d’un débat sur le rapport organisé par le Middle East Institute.

D’après son site, SLDP est une ONG non-alignée dont le siège est à Londres qui s’efforce d’utiliser le droit international pour répondre aux problèmes des droits de l’homme déclenchés par la guerre en SyrieOpen est un projet de données en ligne lancé principalement par la jeunesse syrienne et arabe.

Un chef de guerre remporte des contrats de plusieurs millions de dollars 

Par exemple, une société qui serait affiliée à Maher al-Assad, frère cadet du président syrien, a obtenu des contrats pour environ 2,3 millions de dollars de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) entre 2019 et 2020.

Exemple « le plus choquant » cité par Karam Shaar d’Open, une société baptisée Desert Falcon a reçu plus d’un million de dollars en contrat du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et de l’agence pour les réfugiés palestiniens (UNRWA).

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« Les [fournisseurs] problématiques sont ceux qui obtiennent les plus gros contrats », déplore Shaar.

Desert Falcon est codétenue par Fadi Saqr, dirigeant de la milice pro-gouvernement connue sous le nom de Forces de défense nationale. Ce groupe est très vraisemblablement à l’origine du massacre de Tadamon en 2013, au cours duquel 41 personnes ont été tuées.

Karam Shaar souligne que les auteurs du rapport ne sont pas « hostiles à l’ONU » mais qu’« il y a de graves problèmes qui doivent être réglés ».

Natasha Hall du CSIS ajoute que les conclusions du rapport révèlent que la « crédibilité et le caractère sacré » du système d’aide internationale sont en jeu.

« Il nous faut corriger le tir », estime-t-elle. « D’autres régimes apprennent d’Assad. »

Les sociétés écrans prolifèrent

Autre exemple, le groupe Rami Kabalan, société détenue par un individu associé au frère de l’homme d’affaires syrien sous sanctions Rami Makhlouf, a obtenu pour 21,5 millions de dollars de contrats auprès des agences de l’ONU entre 2019 et 2020.

« Le niveau d’abus est inimaginable, mais on se l’imagine très bien quand on connaît la situation en Syrie »

- Natasha Hall, CSIS

Rami Makhlouf, cousin du président syrien Bachar al-Assad, figure sur plusieurs listes de sanctions américaines. Il a été assigné à résidence en 2020 dans le cadre d’un racket organisé par le gouvernement à court de liquidités contre de riches hommes d’affaires.

« Un des problèmes majeurs, ce sont les sociétés écrans et les intermédiaires », indique Eyad Hamid, chercheur au SLDP. « Certains sont si exposés qu’ils comptent sur d’autres acteurs sur le terrain pour travailler en leur nom », pratique commune dans le blanchiment d’argent.

Ce rapport se fonde sur des informations de sources ouvertes, ainsi que des entretiens avec d’anciens membres des agences de l’ONU en Syrie et des hommes d’affaires syriens.

Manque de transparence

Les chercheurs ont découvert une tendance des agences de l’ONU à engager des fournisseurs privés dans le cadre de gros contrats, ce qui réduit la concurrence et augmente les possibilités pour les entreprises affiliées au gouvernement d’y postuler.

« Lorsque le produit est disponible sur le marché et que le contrat est petit, il y a alors une véritable concurrence éventuelle », indique le rapport.

Ce dernier souligne également le manque de transparence dans la passation des marchés publics par l’ONU. Entre 2019 et 2020, plus de 75 millions de dollars de marchés publics ont été remportés par des entreprises dont le nom du fournisseur est tu pour des raisons de sécurité ou de respect de la vie privée.

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La Syrie est le pays qui cache le plus ces informations parmi les bénéficiaires de l’aide onusienne en 2020.

Ce rapport survient dans le cadre d’autres recherches qui pointent la manipulation généralisée de l’aide de l’ONU par le gouvernement Assad.

Selon un rapport publié l’année dernière par le Centre d’études stratégiques et internationales basé à Washington, le gouvernement syrien a siphonné des millions de dollars d’aide internationale en jouant sur le taux de change de la devise du pays.

Selon les auteurs du rapport, Damas a conservé 51 centimes de chaque dollar d’aide internationale versée à la Syrie en 2020.

La semaine dernière, Associated Press (AP) a rapporté de nouvelles allégations selon lesquelles la responsable de l’Organisation mondiale de la santé en Syrie, la médecin turkmène Akjemal Magtymova, aurait mal géré des millions de dollars et fourni aux responsables du gouvernement syrien des cadeaux (notamment des ordinateurs, des pièces d’or et des voitures).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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