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Tunisie : l’ancienne directrice de cabinet du président Saied fustige les « perdants » qui dirigent le pays

Nadia Akacha juge que le coup de force de juillet 2021 était certes nécessaire, mais qu’il a été accaparé par un homme qui n’a « aucun honneur, aucune religion, aucun patriotisme »
Un manifestant tunisien lors de manifestations contre le président Kais Saied, à l’occasion du 11e anniversaire de la révolution tunisienne dans la capitale Tunis le 14 janvier 2022 (AFP/Fethi Belaid)
Un manifestant tunisien lors de manifestations contre le président Kais Saied, à l’occasion du 11e anniversaire de la révolution tunisienne dans la capitale Tunis le 14 janvier 2022 (AFP/Fethi Belaid)
Par MEE

L’ancienne directrice de cabinet du président tunisien Kais Saied a vivement critiqué la façon dont son ancien patron et ses alliés gèrent le pays depuis le coup de force de juillet 2021, dénonçant « un groupe de perdants qui ne comprennent rien ».

Dans un message publié lundi sur Facebook, Nadia Akacha, qui vit désormais à Paris, a néanmoins fait l’éloge du coup d’État de l’an dernier, le décrivant comme un acte nécessaire pour engager le pays dans un « processus démocratique national » et « construire un État de droit ».

« Hélas, ce moment et cette voie ont été accaparés par quelqu’un qui n’a aucun honneur, aucune religion, aucun patriotisme », a-t-elle poursuivi, une référence à peine voilée à Kais Saied.

« Et par un groupe de perdants qui ne comprennent rien d’autre que la maîtrise de la vulgarité, de la déformation et de la tromperie. »

Nadia Akacha a démissionné de son poste de directrice du cabinet en janvier, invoquant des « désaccords fondamentaux » avec l’administration alors que les politiques menées par le président à la suite du coup d’État étaient de plus en plus critiquées.

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Citant des sources informées, le média Arabi21, établi à Londres, a rapporté que sa démission était liée au fait que le chef d’état-major de l’armée, Mohamed El Ghoul, avait rejeté sa demande visant à faire arrêter le président du Parlement et chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi.

Kais Saied s’est emparé du pouvoir en Tunisie en juillet 2021 en limogeant le gouvernement et en suspendant le Parlement, des mesures dénoncées par ses opposants comme un coup d’État.

Deux mois plus tôt, Middle East Eye avait révélé que le bureau de Nadia Akacha possédait une copie d’un plan selon lequel Kais Saied devait prendre ces mêmes mesures et déclarer une « dictature constitutionnelle », décrite par les auteurs du document comme un outil pour « concentrer tous les pouvoirs entre les mains du président de la République ».

Kais Saied a invoqué la montée en flèche du chômage, la corruption endémique et la pandémie de coronavirus pour justifier sa prise de pouvoir.

Néanmoins, la Tunisie reste dans un marasme et l’absence d’actions concrètes a poussé de nombreux partisans de sa démarche à devenir critiques envers le président et ses politiques.

« La commission du président »

Vendredi, Kais Saied a pris le contrôle de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) et déclaré qu’il remplacerait la plupart des membres de cette commission électorale, une décision dont beaucoup craignent qu’elle ne consacre son règne autocratique.

Le président, qui affirme que ses actes sont à la fois légaux et nécessaires pour sauver la Tunisie d’une « menace imminente », réécrit actuellement la Constitution démocratique introduite après la révolution de 2011 et affirme qu’il la soumettra à un référendum en juillet. 

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Dans son décret de vendredi, Kais Saied a déclaré qu’il sélectionnerait trois des neuf membres actuels de l’ISIE qui resteraient en place au sein d’un nouveau panel de sept membres comprenant trois juges et un spécialiste des technologies de l’information.

Les juges seraient sélectionnés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), un organe qu’il a également remplacé unilatéralement cette année, ce qui a été considéré comme une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Le président de l’ISIE, Nabil Baffoun, a déclaré à la station de radio tunisienne Mosaïque FM que le décret de Kais Saied portait un coup aux acquis démocratiques de la révolution de 2011.

« Dans l’absolu, elle est devenue la commission du président », a-t-il affirmé.

Nabil Baffoun avait provoqué la colère du président en critiquant son projet d’organiser un référendum et des élections législatives ultérieures, affirmant que ces scrutins ne pouvaient avoir lieu que dans le cadre de la Constitution existante.

« Je ressens de la déception depuis le 25 juillet », a-t-il déclaré. « Et j’étais catégorique sur le fait que je ne m’engagerais pas dans cette voie ; mais je dois le faire, car les acquis obtenus depuis 2011 commencent à s’effriter. »

Monica Marks, spécialiste de la Tunisie sur le campus de l’Université de New York à Abou Dabi, s’est dite choquée par la vitesse à laquelle Kais Saied a resserré son emprise sur le pouvoir.

« La décision de Saied de recomposer l’ISIE, la commission d’organisation des élections en Tunisie – qui était un acquis marquant de la transition démocratique amorcée après 2011 –, étend sa mainmise effroyable sur les institutions indépendantes durement acquises de la Tunisie. Un nouveau jour triste pour la Tunisie », a-t-elle tweeté.

Alors que Kais Saied se concentre sur la restructuration de la politique tunisienne, une crise économique imminente menace d’anéantir ses plans, dans la mesure où le gouvernement peine à financer son déficit de 2022 et à rembourser ses dettes.

« La plus grande menace pour Saied reste l’économie tunisienne, qui s’enfonce de plus en plus en l’absence de leadership efficace. Mais il est au mieux incertain qu’un nombre suffisant de Tunisiens finissent par s’en rendre compte et se lever à temps pour empêcher KS de refaire un système politique entier à son image », a ajouté Monica Marks sur Twitter.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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