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Des enregistrements secrets de l’ancien dirigeant tunisien Ben Ali « révèlent ses derniers instants au pouvoir »

Des enregistrements diffusés dans un documentaire de BBC News Arabic montrent que les proches conseillers de Ben Ali l’ont avisé de rester à l’écart après sa fuite en Arabie saoudite en 2011
Zine el-Abidine Ben Ali a présidé la Tunisie de 1987 à 2011, date à laquelle il a été évincé (AFP)
Par MEE

Plusieurs coups de fil qui auraient été passés par l’ancien président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et enregistrés secrètement révèlent que ses plus proches conseillers l’ont exhorté à rester loin de la Tunisie après sa fuite en 2011.

Ces enregistrements, diffusés par BBC News Arabic dans son nouveau documentaire The Dictator’s Last Calls, montrent comment l’ancien dirigeant est passé de la confiance en son régime à l’annonce que s’il rentrait au pays, sa sécurité ne saurait être garantie.

Middle East Eye n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante l’authenticité des enregistrements, qui n’ont pas encore été diffusés.

Le premier enregistrement date du 13 janvier ; il s’agit d’un coup de téléphone entre Ben Ali et un confident identifié comme Tarak Ben Ammar, influent magnat des médias et producteur de film.

Cet appel a été passé après le discours prononcé par le dirigeant tunisien à la télévision, dans lequel il tentait d’apaiser les manifestations de masse contre lui.

Il semble alors rassuré par les louanges de Ben Ammar.

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Cependant, le lendemain tandis que les manifestations prenaient de l’ampleur, Ben Ali a fui en Arabie saoudite avec sa femme et trois de leurs enfants.

Depuis, il a été poursuivi devant les tribunaux tunisiens et a été condamné à de la prison à vie dans de multiples procès pour différents chefs d’inculpation allant du vol à l’incitation à la violence.

Dans l’avion pour l’Arabie saoudite, il a appelé son ministre de la Défense Ridha Grira, son chef de l’armée Rachid Ammar et un autre de ses confidents, Kamel Eltaïef, un homme d’affaires tunisien, selon la BBC.

Grira lui aurait annoncé qu’un président par intérim était en place, ce à quoi Ben Ali aurait répondu qu’il serait de retour au pays « quelques heures » plus tard.

Ben Ali aurait ensuite appelé Eltaïef, l’informant que le ministre de la Défense lui avait assuré que les événements étaient sous contrôle, ce à quoi Eltaïef aurait répondu : « Non, non, non. La situation évolue rapidement et l’armée ne suffit pas. »

Interrogé sur l’éventuel retour du dirigeant tunisien, Eltaïef aurait prévenu Ben Ali que « les choses se présent[ai]ent mal ».

Ben Ali aurait ensuite appelé Rachid Ammar, qui lui a à nouveau assuré que « tout [allait] bien ».

Cependant, ce dernier a conseillé à Ben Ali d’« attendre un moment » avant un éventuel retour.

Ben Ali a rappelé Grira pour lui demander s’il devait rentrer et celui-ci lui aurait répondu qu’il « ne [pouvait] garantir sa sécurité » s’il revenait.

« Nous ne pouvons garantir votre sécurité »

Après avoir atterri à Djeddah, Ben Ali a appelé Grira une fois encore, lequel lui a annoncé qu’on parlait d’un coup d’État.

Ben Ali a récusé cela comme l’acte d’« islamistes » et a évoqué une fois de plus son retour. C’est à ce moment-là que Grira lui aurait dit : « Les rues sont en colère d’une façon indescriptible. Monsieur le Président, je vous dis honnêtement que nous ne pouvons pas garantir votre sécurité. »

Le pilote de l’avion de Ben Ali, le commandant tunisien Mahmoud Cheikhrouhou a raconté à Middle East Eye en 2017 qu’après avoir regardé les événements à la télévision, l’équipage de l’avion avait organisé une réunion et Cheikhrouhou avait décidé d’appeler le PDG de la compagnie nationale tunisienne pour demander s’ils pouvaient rentrer au pays.

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La compagnie aérienne lui a donné le feu vert et l’avion présidentiel a quitté le tarmac de Djeddah deux heures et demie plus tard, scellant de manière définitive l’exil de Ben Ali en Arabie saoudite.

En l’espace de quelques heures, un nouveau gouvernement a été formé en Tunisie et Ben Ali n’est jamais rentré dans sa patrie. Il est mort en exil en Arabie saoudite en 2019.

La BBC rapporte que les enregistrements ont été analysés par des spécialistes audio et fait écouter à des gens qui connaissaient les protagonistes qu’on entend dans ces enregistrements. L’agence de presse est persuadée de leur authenticité.

Contactés par la BBC, Grira et Ammar se sont refusés à tout commentaire. Kamel Eltaïef et Tarak Ben Ammar nient résolument ces appels et Ben Ammar affirme qu’il n’avait pas tenté de rassurer Ben Ali sur son règne.

Le mouvement protestataire en Tunisie est né après l’immolation de Mohamed Bouazizi, vendeur de rue de 26 ans originaire de la ville de Sidi Bouzid, pour protester contre la corruption de la police locale et mort le 17 décembre 2010.

Cet acte symbolique est devenu le catalyseur d’un soulèvement qui a fait tomber Ben Ali après 23 ans d’un règne répressif.

Son éviction est largement considérée comme actant le début du mouvement de protestation qui s’est étendu à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient et qu’on allait appeler plus tard le « Printemps arabe ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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