Sujets tabous et amour pour la Tunisie : le phénomène Faten Fazaâ
Déjà best-seller, le roman de Faten Fazaâ, Charaa al-hob (la loi de l’amour), sorti le 29 février 2020, connaît, à l’instar de ses deux premiers livres, un franc succès : en moins de deux ans, l’écrivaine tunisienne a vendu plus de 30 000 exemplaires.
Pourtant, ses débuts n’ont pas été faciles car elle a beaucoup été critiquée, parfois même insultée, pour avoir choisi d’écrire en derja (le dialecte tunisien).
« Ceux qui m’ont critiquée n’ont certainement pas lu mes livres », confie-t-elle à Middle East Eye. « Pour eux, un auteur qui écrit en derja est un écrivain de dixième rang. Ce n’est que du mépris pour notre langue maternelle. »
Après Béchir Khraïef ou Ali Douagi, Faten Fazâa est la première femme tunisienne à publier des romans en dialecte tunisien. « Beaucoup de monde parle français ou anglais, ce n’est pas pour autant qu’ils écrivent des livres et font les meilleures ventes », affirme-t-elle.
Son premier livre, selon elle, était le fruit d’« un pur hasard ».
« C’est avec l’apparition du clavier arabe sur les portables et la tendance des statuts en derja sur les réseaux sociaux que j’ai eu envie de reprendre l’écriture », raconte la fille du célèbre journaliste, scénariste et chroniqueur Tahar Fazâa.
« J’ai alors ressorti le scénario d’un feuilleton que j’avais commencé il y un moment et j’ai décidé d’en faire un livre. Quand j’en ai parlé à mon père, il ne m’a pas prise au sérieux… »
En 2018, elle est récompensée pour son premier livre, Asrar Ailiya (Secrets de famille), inspiré de sa propre vie, par le prix Ali Douagi 2018. Son deuxième livre Mina al-hob ma fachal (certains amours échouent), sorti en 2019, recevra le prix Abdelaziz Aroui de l’association Derja.
« Les trois livres de Faten Fazâa représentent les meilleures ventes chez les libraires et en ligne, et ils le resteront jusqu’à ce qu’elle publie son quatrième livre, car chaque nouveau roman fait revivre les précédents », assure à MEE Wided Benyahmed, responsable chez le distributeur Ceresbook. « Nos 2 000 exemplaires de Charaa al-hob se sont épuisés en moins d’un mois ! »
Ces succès, elle les doit à sa délicate manipulation de la derja mais aussi au choix de ses sujets, tabous, comme l’homosexualité, l’adultère, la virginité ou encore les mères célibataires.
Traduction : « J’ai voulu partager avec vous ma joie de recevoir le prix Abdelaziz Aroui, le même qu’avait reçu mon père Tahar Fazâa, il y a deux ans, pour l’ensemble de son œuvre. »
« Je suis pédagogue sociale. J’écris dans le cadre d’un projet et d’une vision sociale. Le message m’importe plus que l’histoire racontée », souligne-t-elle.
« Quand je parle des relations conflictuelles mère-fille, par exemple, c’est dans le cadre de mon travail sur la démystification de la mère, qui n’est pas toujours aussi parfaite, mais aussi pour dire aux autres : ‘’Vous n’êtes pas les seuls à vivre cela’’. »
Traduction : « À ma droite, Ahlam Mosteghanemi, et à ma gauche, Mark Manson. J’en suis à mon troisième best-seller et j’en suis tellement fière. »
Du deuil à l’abandon, en passant par le désir et l’indifférence, du sourire aux larmes, la romancière plonge le lecteur dans des vagues d’émotions avec les mots poétiques du quotidien tunisien.
« Je suis hypersensible et je transmets cette sensibilité dans mes écrits. Je suis aussi fusionnelle avec mes écrits et mes personnages. Mes personnages, je les aime tous ! »
« La Tunisie, le plus beau pays sur la Terre ! »
Dans Charaa al-hob, une fiction inspirée d’histoires réelles, elle met l’accent sur « la loi de l’amour ».
« Pour moi, l’amour n’a qu’une seule définition : il doit être constructeur et non destructeur. Je veux ouvrir les yeux des gens sur les relations toxiques, les persuader qu’il faut s’en débarrasser. Je veux mettre en garde, toujours dans le cadre de la pédagogie sociale, car un individu sain construit une société saine. »
De l’amour charnel à l’amour de la patrie, Faten Fazâa emporte le lecteur dans les histoires de personnages qui n’ont a priori rien à voir les uns avec les autres, mais dont les destins se croisent au fil des pages. Ils sont nés à Vienne ou vivent en exil en France, mais leur amour pour la Tunisie est leur point de rencontre.
Une Tunisie dont les rues, l’architecture, les odeurs, les souvenirs et les traditions sont décrits d’une manière aussi réaliste qu’affective.
D’ailleurs, l’auteur s’introduit au milieu du roman pour s’exprimer aussi, elle qui a quitté la Tunisie pour l’Allemagne il y a cinq ans.
« L’Allemagne m’a ouvert de nombreuses portes et m’a beaucoup appris. Mais je reste nostalgique du charme de la Tunisie, le plus beau pays sur la Terre ! », assure-t-elle.
L’écrivaine a fait d’elle-même un personnage du roman pour exprimer son attachement à sa patrie. « J’ai voulu innover dans la narration mais aussi témoigner, car le sujet me touche particulièrement. »
À travers ses livres, Faten Fazâa appelle à casser les codes, à oser dire « non », à ne pas se conformer aux normes. « Mes livres sont une invitation à la vie », résume-t-elle.
Faten Fazâa travaille à un quatrième livre et son éditeur, qui n’est autre que son père, a décidé de traduire Charaa al-hob en français.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].