Tunisie : beaucoup de flou autour du naufrage d’un pétrolier au large de Gabès
Depuis samedi 16 avril, le naufrage d’un navire dans le golfe de Gabès, au sud-est de la Tunisie, monopolise l’actualité dans les médias locaux.
Xelo – c’est le nom de ce navire marchand – transporte 750 tonnes de pétrole qui risquent, si elles se déversent dans la mer, de causer une catastrophe écologique.
« Les cales sont bien fermées », a assuré le ministre du Transport Rabi Majidi, après l’opération de vérification effectuée par l’armée nationale. Le navire ne présenterait pas non plus de fissures.
La ministre de l’Environnement Leila Chikhaoui, qui s’est rendue sur place, s’est montrée rassurante et a indiqué que « le contenu de la cargaison sera[it] bientôt pompé dans les meilleures conditions ».
Mardi, une mince quantité de gasoil s’étant échappée du moteur du navire a été pompée par les secours et des bénévoles tunisiens sous la supervision de l’armée nationale.
Un navire militaire italien de dépollution envoyé dans le cadre de la coopération tuniso-italienne par Rome.
Trois sociétés tunisiennes spécialisées ont proposé d’effectuer l’opération de pompage de la cargaison, a indiqué à une radio locale privée Lotfi Saïd, directeur général de l’Agence nationale de protection de l’environnement (ANPE).
Les sept membres de l’équipage, quatre Turcs, un Géorgien et deux Azerbaïdjanais, ont été secourus. Mercredi 20 avril, le tribunal de première instance de Gabès a interdit l’équipage du navire de voyage pour quinze jours.
D’après la version officielle, le bateau est parti du port de Damiette, en Égypte, pour se diriger vers Malte. Il a cependant demandé d’accéder aux eaux territoriales tunisiennes en raison des intempéries.
Pour une raison encore inconnue, il a coulé à près de 20 m de fond, à environ 7 km des côtes, à l’aube samedi, quand l’eau s’est infiltrée dans la salle des machines.
Contrebande ou sabordage ?
Mais plusieurs rumeurs sont venues semer le doute sur cette version. D’abord, le Xelo serait en réalité un navire de contrebande de pétrole libyen. Les autorités tunisiennes ont assuré que les 750 tonnes de gasoil étaient bien destinées à la consommation du moteur.
Ensuite, toujours selon ces rumeurs, il s’agirait d’une opération de sabordage afin de détourner des fonds d’assurance d’un bateau-poubelle. Certains craignent même un éventuel trafic d’armes.
Hier, le port égyptien de Damiette a démenti dans un communiqué les informations relayées par les médias et assuré n’avoir jamais reçu ce navire.
Cela accentue les zones d’ombre sur la trajectoire du pétrolier.
Le ministère du Transport a précisé que Xelo « avait amarré au port de Sfax, du 4 au 8 avril, pour changer l’équipage et effectuer quelques réparations légères sans opération commerciale ».
Six jours séparent donc la date de départ du navire de Sfax et l’accident à Gabès, survenu dans la nuit du 15 au 16 avril.
Pour ne rien arranger, la ministre de l’Environnement a indiqué dimanche lors d’une conférence de presse que « le connaissement [document indiquant la trajectoire et la cargaison du navire] [était] manquant ».
Une enquête a été ouverte
Une enquête sur les conditions de l’accident a été ouverte par le parquet de Gabes.
Selon Vesselfinder, site spécialisé dans les données des navires, Xelo a disparu des radars le 8 avril.
Anciennement appelé Liman, Multi Carrier ou encore Snipe, Xelo, battant pavillon de la Guinée équatoriale, a été rattaché auparavant à six pays dont la Russie, le Royaume-Uni et l’Irlande.
Le navire circulait aussi sous un pavillon de complaisance, c’est-à-dire battant le pavillon d’un pays autre que le pays de propriété réelle, une stratégie généralement utilisée pour esquiver la loi.
Xelo, qui mesure 58 m de long sur 9 m de large, a été construit en 1977. Selon le parquet de Gabès, ses propriétaires sont un Turc et un Libyen.
L’ONG de protection de l’environnement Robin des bois affirme que ce bateau-épave de 45 ans était en trop mauvais état pour pouvoir circuler et « n’aurait jamais pu accéder à un port européen ».
De quoi renforcer le doute sur l’affaire.
Pendant ce temps, les activistes écologistes s’inquiètent du risque de marée noire, surtout que la ville de Gabès souffre depuis les années 1970 déjà de la pollution engendrée par la zone industrielle de Ghannouch, du fait notamment du Groupe chimique tunisien, société publique de traitement du phosphate.
L’usine déverse chaque jour environ 12 500 tonnes de phosphogypse sec dans la mer selon les chiffres de 2015, causant la disparition de plusieurs espèces marines et empêchant l’activité touristique, sans oublier ses conséquences sur la santé humaine.
L’organisation de défense de la nature WWF a mis en garde contre une nouvelle catastrophe environnementale dans une zone de pêche où travaillent environ 34 000 marins.
L’organisation Tunisie Verte pour la préservation de l’environnement a appelé les autorités à réviser la loi relative au plan national d’urgence de prévention des pollutions marines et à déterminer les différentes responsabilités.
Le ministre de l’Environnement a souligné que « le gasoil est moins dangereux que le fuel, car même s’il fuite, il s’évapore rapidement sans faire de catastrophe ».
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