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En Tunisie, l’arrivée de déchets italiens illégaux fait craindre une affaire de corruption

Les cargaisons mises en cause contenaient des déchets ménagers, dont l’exportation est interdite par la législation tunisienne comme par les conventions internationales, qui les qualifient de « dangereux »
Des chats attendent derrière des pêcheurs, dans le port de Sousse, à environ 140 kilomètres au sud de Tunis, le 26 novembre 2020, où les douaniers tunisiens ont saisi 70 conteneurs d’expédition de déchets au début de l’été, rapidement suivis de 212 autres conteneurs (AFP)
Des chats attendent derrière des pêcheurs, dans le port de Sousse, à environ 140 kilomètres au sud de Tunis, le 26 novembre 2020, où les douaniers tunisiens ont saisi 70 conteneurs d’expédition de déchets au début de l’été, rapidement suivis de 212 autres conteneurs (AFP)
Par AFP à TUNIS, Tunisie

Comment les poubelles d’une région du sud italien sont-elles arrivées en bateau en Tunisie, pays déjà en difficulté avec ses propres déchets ? 

La question se pose alors que la saisie de centaines de conteneurs fait craindre une vaste affaire de corruption.

Depuis que des douaniers du port de Sousse, ville de l’est de la Tunisie, ont saisi 70 grands conteneurs puis 212 autres au début de l’été, la douane et le ministère de l’Environnement se renvoient la balle.

Et, dimanche soir, le ministre de tutelle Mustapha Aroui a été limogé par le chef du gouvernement Hichem Mechichi

Aucun motif officiel n’a été fourni, mais cette décision est bien liée à l’affaire des déchets, a affirmé à l’AFP une source gouvernementale sous couvert de l’anonymat.

Les cargaisons mises en cause contenaient des déchets ménagers, dont l’exportation est interdite par la législation tunisienne comme par les conventions internationales, qui les qualifient de « dangereux ».

Elles ont été importées par une entreprise locale, Soreplast, quelques semaines seulement après que cette société en sommeil a relancé ses activités, en mai, avec pour seule autorisation de recycler des rebuts plastiques industriels destinés à l’exportation.

Interrogé avant l’annonce de son limogeage, le service de communication de Mustapha Aroui avait assuré que le ministre n’avait « signé aucun document » autorisant Soreplast à se lancer dans l’importation des déchets.

Sollicité à plusieurs reprises, le patron de Soreplast est resté injoignable.

L’AFP a en revanche obtenu copie de la demande initiale de la société tunisienne : à l’arrivée des conteneurs, elle a sollicité l’autorisation d’importer de façon « temporaire » des « déchets en plastiques post-industriel en balles non dangereux pour effectuer les opérations de tri, recyclage et réexportation vers le territoire européen ».

Pourtant, le contrat signé par Soreplast avec une société italienne stipule explicitement avoir « pour objectif la récupération [par Soreplast] des déchets et leur élimination ultérieure » en Tunisie.

Selon un responsable douanier, ces documents montrent que Soreplast a fait une fausse déclaration sur la nature de la marchandise importée.

« De grands lobbies »

Le contrat a été passé avec une société basée au sud de Naples, Sviluppo Risorse Ambientali Srl, spécialisée dans la collecte et traitement des déchets en Campanie (sud).

L’entreprise italienne est également restée injoignable malgré les démarches de l’AFP.

Le document, dont l’AFP a obtenu une copie, prévoit l’élimination de 120 000 tonnes maximum, au prix de 48 euros par tonne, soit un total dépassant les 5 millions d’euros.

À Sousse, le 8 juillet, il a finalement été décidé de saisir les conteneurs pour les renvoyer en Italie, d’après le responsable douanier.

Mais, à ce jour, les déchets sont toujours en Tunisie.

Et cette affaire semble illustrer les ramifications du commerce illégal des déchets, qui augmente face au durcissement des normes européennes, et à la réticence grandissante de l’Asie, longtemps dépotoir des déchets occidentaux.

Dans un rapport en août, Interpol a ainsi alerté sur l’augmentation considérable des chargements de déchets plastiques illégaux depuis 2018.

Un phénomène d’autant plus préoccupant que les infrastructures tunisiennes ne permettent pas au pays de surmonter ses propres besoins : seuls 61 % des déchets de la capitale sont collectés, selon un rapport récent de la Banque mondiale, et la majorité aboutit dans des décharges à ciel ouvert.

L’affaire a été largement relayée dans les médias, et une enquête judiciaire a été ouverte, mais la justice n’a pas encore fait état d’arrestations. 

« Cette affaire montre qu’il y a de grands lobbies de corruption », affirme Hamdi Chebâane, expert en valorisation des déchets et membre d’une coalition d’associations, Tunisie Verte, mettant en cause le ministère de l’Environnement et de hauts responsables politiques.

Selon lui, le ministère a subi d’importantes pressions d’hommes d’affaires ces dernières années pour permettre l’importation de déchets, mais « c’est la première fois » qu’une telle affaire est dévoilée.

« Comment la douane a-t-elle permis le dépôt de ces déchets sur le sol tunisien, alors qu’il n’y a aucune autorisation officielle? », accuse Béchir Yahya, directeur du recyclage à l’Agence nationale de recyclage des déchets (ANGED), sous la tutelle du ministère de l’Environnement.

Pas les moyens de les enterrer

L’ANGED est accusée par la douane d’avoir donné le feu vert pour faire sortir les 70 premiers conteneurs du port.

La douane a en effet exigé une attestation sur la nature de leur contenu avant de les laisser sortir. Le responsable de l’ANGED a estimé dans un message électronique qu’il s’agissait de plastique et non de déchets interdits.

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Dans ce courriel de Béchir Yahya, dont l’AFP a pu voir une copie, ce dernier précisait qu’après avoir lu les résultats de prélèvements effectués, il ne voyait « aucune objection à l’importation de ces produits en plastique ne contenant pas de produits dangereux ».

C’est sur la foi de cette correspondance que la douane a autorisé l’enlèvement des 70 conteneurs, assure une source douanière.

Mais Béchir Yahya souligne qu’il ne s’agissait que d’un « avis personnel » officieux, « pas d’un document officiel », et que les douaniers savaient que cela ne suffisait en aucun cas à autoriser l’importation.

Les 212 autres conteneurs sont toujours dans un coin du port, où l’activité était très dense quand l’AFP s’y est rendue début décembre.

Des experts judiciaires étaient affairés à en examiner le contenu, selon le directeur du port, qui en a interdit l’accès à l’AFP malgré une autorisation des ministères concernés.

« Cette énorme quantité que la Tunisie n’a pas les moyens d’enterrer, vers où aurait-elle été envoyée ? » si l’affaire n’avait pas été révélée, s’interroge encore Hamdi Chebâane.

Par Kaouther Larbi.

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