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Tunisie : l’opposition met la pression sur les élections locales

Une pétition de personnalités de l’opposition et de la société civile, un appel au boycott de plusieurs partis : les premières élections locales se tiendront en Tunisie le 24 décembre dans un contexte de très fortes résistances
Les détracteurs des élections locales estiment qu’elles ne sont qu’une « contribution à la consolidation du système de répression et d’oppression » (AFP/Fethi Belaid)
Les détracteurs des élections locales estiment qu’elles ne sont qu’une « contribution à la consolidation du système de répression et d’oppression » (AFP/Fethi Belaid)
Par MEE

Le 24 décembre, plus de 8 millions de Tunisiens sont appelés à voter pour les élections locales.

La Constitution de 2022, adoptée par un référendum voulu par le président Kais Saied, prévoit que les électeurs votent pour les membres de 279 conseils locaux, dont une partie est amenée à devenir membres de 24 conseils régionaux.

« Les conseils locaux constituent la base de ce qui deviendra plus tard le Conseil national des régions et districts, ou deuxième chambre du pays », explique le site d’informations tunisien Kapitalis.

Mais ce scrutin provoque déjà des résistances. Plusieurs formations d’opposition ont déjà annoncé qu’elles le boycotteraient.

« Le climat politique et social n’est pas propice à tenir cette échéance locale qui ne répond pas aux standards internationaux en matière de démocratie », a déclaré Ahmed Néjib Chebbi, le leader du Front du salut national (FSN) coalition politique rassemblant partis et mouvements opposés au renforcement des pouvoirs de Kais Saied (AFP/Fethi Belaid)
« Le climat politique et social n’est pas propice à tenir cette échéance locale qui ne répond pas aux standards internationaux en matière de démocratie », a déclaré Ahmed Néjib Chebbi, le leader du Front du salut national (FSN) coalition politique rassemblant partis et mouvements opposés au renforcement des pouvoirs de Kais Saied (AFP/Fethi Belaid)

Parmi elles, le Front du salut national (FSN), coalition politique rassemblant partis et mouvements opposés au renforcement des pouvoirs de Kais Saied, fondé et dirigé par Ahmed Néjib Chebbi.

« Le climat politique et social n’est pas propice à tenir cette échéance locale qui ne répond pas aux standards internationaux en matière de démocratie », a déclaré son leader en conférence de presse le 20 novembre. Il préconise plutôt des élections législatives et présidentielles anticipées.

Le Parti destourien libre (PDL, nationaliste) a annoncé, jeudi 23 novembre, le dépôt de trois recours suspensifs contre la convocation des électeurs. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, le parti a rappelé que sa présidente, Abir Moussi, était en détention depuis 52 jours pour avoir tenté de déposer les demandes relatives à ces recours auprès de la présidence de la République. 

« Mascarade électorale » 

Sur une vidéo postée sur la page Facebook du PDL, Abir Moussi avait indiqué plus tôt dans la journée qu’elle se rendait dans un bureau du palais présidentiel pour déposer un appel lié aux élections locales devant se dérouler à la fin de l’année (démarche nécessaire pour formuler un appel devant le tribunal administratif). Selon elle, le bureau de la présidence avait refusé d’accepter son recours et de lui remettre un accusé de réception.

Enfin, le Parti des travailleurs (PT, gauche radicale) estime que ces élections sont organisées par un « régime putschiste », selon un de ses dirigeants, Ammar Amroussia. Il s’agit d’une « mascarade électorale » sans précédent dans l’histoire du pays, a-t-il déclaré aux journalistes, dimanche 1er octobre, en marge d’une réunion du conseil national du parti. « Cela détruirait ce qui reste de l’État. »

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Ces appels au boycott ne sont pas à sous-estimer : lors des élections législatives de décembre 2022, ils avaient largement été suivis par les Tunisiens.

Le taux de participation définitif au second tour des élections législatives n’avait pas dépassé les 11,4 %, le plus faible depuis la révolution de 2011 après plusieurs records (près de 70 % aux législatives d’octobre 2014).

Plus de 150 personnalités indépendantes du paysage politique et de la société civile en Tunisie ont également lancé une pétition nationale pour exprimer leur opposition aux élections locales, appelant à annuler ce scrutin dont elles ne voient aucune utilité dans un pays traversant une crise politique inédite.

Parmi eux : Sana ben Achour, universitaire et juriste, Faouzi Charfi, dirigeant du parti Al Massar (gauche), Mounir Charfi, président de l’Observatoire national pour la Défense du caractère civil de l’État, Youssef Seddik, philosophe et anthropologue, ou encore Mohamed Fadhel Mahfoudh, avocat, récompensé en 2015 par le prix Nobel de la paix avec le « quartet » tunisien, réunissant l’UGTT, l’UTICA, l’Ordre national des avocats et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme.

Un « projet politique imposé aux Tunisiens »

Les médias tunisiens qui ont eu accès au texte rapportent son argumentaire : « le pouvoir en place continue de mettre en œuvre son projet politique imposé aux Tunisiens », est-il reproché à Kais Saied, qui s’est octroyé les pleins pouvoirs en juillet 2021, « sans que ces conseils [locaux pour lesquels est organisé le scrutin] aient une loi fondamentale définissant leurs rôles et pouvoirs, ce qui est sans précédent dans l’histoire des nations et des peuples ».

Les signataires indiquent que ces élections surviennent dans le contexte d’une crise politique sans précédent, « après que le pouvoir en place a imposé une orientation autoritaire et répressive visant les opposants, les syndicalistes, les journalistes, les avocats, les intellectuels, et tous les défenseurs de la libre expression, par des restrictions, des procès et des arrestations ». 

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Depuis février, plus d’une vingtaine d’opposants, dont le leader du parti islamo-conservateur Ennahdha Rached Ghannouchi, d’hommes d’affaires et d’autres personnalités, qualifiées de « terroristes » par Kais Saied, sont emprisonnés sous l’accusation de « complot contre la sécurité intérieure ».

« La Constitution de 2022 a mis fin à la transition démocratique, conférant au président de la République tous les pouvoirs et le plaçant au-dessus de tout contrôle, transformant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire en simples fonctions sous l’autorité exécutive. La concentration sur les conseils locaux vise à affaiblir le pouvoir local, à le disperser, et à en faire un autre instrument docile entre les mains du pouvoir exécutif », lit-on dans le texte de la pétition. 

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