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États-Unis : une série de démissions pour protester contre la guerre à Gaza secoue l’administration Biden

Lily Greenberg Call est la première responsable politique américaine de confession juive à quitter ses fonctions pour dénoncer le soutien de Washington à la guerre israélienne à Gaza, et la dernière en date d’une longue série de démissionnaires protestataires
Une image du président Joe Biden accompagnée des mots « génocide Joe » est projetée sur la façade d’un bâtiment lors d’une manifestation pro-palestinienne près de la Maison-Blanche le 7 mars 2024 à Washington D. C. (Nathan Howard/AFP)
Par Umar A Farooq à Washington, ÉTATS-UNIS

Lily Greenberg Call a annoncé mercredi sa démission de l’administration Biden en raison du soutien des États-Unis à la guerre israélienne à Gaza, devenant ainsi la première responsable politique américaine de confession juive à démissionner pour protester contre la guerre.

Lily Greenberg Call, qui était assistante spéciale du chef de cabinet du ministère de l’Intérieur, a envoyé mercredi après-midi une lettre de démission à la secrétaire à l’Intérieur Debra Haaland.

Dans sa lettre, partagée avec Middle East Eye, Greenberg Call a déclaré : « Je ne peux plus, en toute bonne conscience, continuer à représenter cette administration face au soutien désastreux et continu du président Biden au génocide israélien à Gaza. »

« Ce que j’ai appris de ma tradition juive, c’est que chaque vie est précieuse. Que nous sommes obligés de défendre ceux qui sont confrontés à la violence et à l’oppression, et de remettre en question l’autorité face à l’injustice », a-t-elle écrit.

Lily Greenberg Call avait par le passé travaillé sur la campagne présidentielle de la vice-présidente Kamala Harris avant de participer à celle de Joe Biden en 2020.

Elle a ensuite décroché un poste de responsable politique au ministère de l’Intérieur, ce qui l’avait enthousiasmée.

« J’ai été ravie de rejoindre le ministère de l’Intérieur parce que j’ai été inspirée par les principes dont vous avez fait preuve en matière de défense de causes progressistes, outre votre rôle de femme autochtone [Debra Haaland] à la tête d’un ministère qui a historiquement porté préjudice aux communautés autochtones, et par le potentiel que cela offre en matière de réparation, réconciliation et guérison », détaille-t-elle dans sa lettre.

Cependant, la guerre à Gaza et le soutien de Washington ont modifié ses perspectives de carrière.

Le 7 octobre, des combattants palestiniens dirigés par le Hamas ont mené une attaque dans le sud d’Israël durant laquelle quelque 1 200 personnes ont été tuées et plus de 200 prises en otage.

« Je ne peux plus, en toute bonne conscience, continuer à représenter cette administration face au soutien désastreux et continu du président Biden au génocide israélien à Gaza »

- Lily Greenberg Call

Israël a riposté en déclarant la guerre à l’enclave palestinienne assiégée, lançant d’abord une campagne de bombardements aériens aveugles, suivie d’une invasion terrestre de Gaza.

Les forces israéliennes ont tué à ce jour plus de 35 272 Palestiniens, dont une majorité de femmes et d’enfants, selon le ministère palestinien de la Santé. L’armée israélienne a également dévasté les infrastructures civiles, notamment les hôpitaux, et pris pour cible le personnel médical, les journalistes et les travailleurs humanitaires.

Lily Greenberg Call a déclaré que des membres de sa propre communauté avaient perdu des êtres chers lors de l’attaque du 7 octobre mais que « la réponse à cela n’est pas de punir collectivement des millions de Palestiniens innocents par le déplacement, la famine et le nettoyage ethnique ».

« Tout système qui exige l’assujettissement d’un groupe à un autre est non seulement injuste, mais aussi dangereux. La sécurité des juifs ne peut pas – et ne se fera pas – au détriment de la liberté palestinienne. »

Plus de sept mois après le début de la guerre, alors que l’administration Biden aurait envoyé un milliard de dollars supplémentaires d’armes à Israël, sans compter l’offensive militaire en cours à Rafah, dans le sud de Gaza, Lily Greenberg Call a estimé que le moment était venu de démissionner.

« C’est une décision personnelle très difficile pour moi, mais j’y ai pensé à de nombreuses occasions au cours des huit derniers mois, et je pense que tout ce qui s’est passé ces dernières semaines en particulier m’a donné le sentiment que le moment était venu », a-t-elle déclaré à Middle East Eye lors d’un appel téléphonique.

« Nakba et Shoah »

La démission de Greenberg Call mercredi a coïncidé avec le 76e anniversaire de la Nakba (« catastrophe » en arabe), la journée qui commémore le nettoyage ethnique de centaines de milliers de Palestiniens aux mains des paramilitaires sionistes en 1948, qui a ouvert la voie à la création de l’État d’Israël.

« Nakba et Shoah, le mot hébreu désignant l’Holocauste, signifient la même chose : catastrophe. Je rejette l’hypothèse selon laquelle le salut d’un peuple doit résulter de la destruction d’un autre », a-t-elle énoncé dans sa lettre.

« Je me suis engagée à créer un monde dans lequel cela n’arrivera pas – et cela ne peut pas être le cas au sein de l’administration Biden. »

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Cette démission est le point culminant d’un voyage de plusieurs années pour Greenberg Call, qui, de 2017 à 2019, a présidé Bears for Israel, groupe affilié au lobby pro-israélien AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) au sein de l’université de Californie à Berkeley.

Dans un article publié dans Teen Vogue en 2022, elle détaille comment, dans sa jeunesse, on lui a appris que « le soutien inconditionnel à Israël était considéré comme faisant partie intégrante du fait d’être juif ».

Elle a ensuite rompu ses liens avec l’AIPAC après avoir pris connaissance des conditions de vie des Palestiniens sous occupation israélienne – des conditions que les principales organisations de défense des droits humains tant israéliennes qu’internationales ont qualifiées d’apartheid.

« J’ai appris qu’il ne peut y avoir de sécurité pour les uns au détriment des autres et que notre communauté juive doit rejeter l’idée selon laquelle notre liberté est synonyme de maintien du pouvoir sur les autres », écrivait-elle en 2022.

Démissions en série

Lily Greenberg Call est la deuxième personne à démissionner du gouvernement américain rien que cette semaine, après que le major Harrison Mann a présenté lundi sa démission de l’agence de renseignement du ministère de la Défense, invoquant lui aussi le soutien de Washington à la guerre à Gaza.

Mann a également cité son ascendance juive européenne dans sa démission, se disant « hanté » par « l’environnement moral impitoyable lorsqu’il s’est agi de porter la responsabilité du nettoyage ethnique ».

En mars, c’est Annelle Sheline, responsable des affaires étrangères au département d’État, qui a démissionné de son poste, indiquant avoir essayé de faire part de ses inquiétudes quant au soutien américain à Israël par le biais de câbles dissidents et de prises de parole lors de réunions du personnel, mais que cela ne servait à rien « tant que les États-Unis continuent d’envoyer un flux constant d’armes à Israël ».

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La démission d’Annelle Sheline a été la plus médiatisée au sein du département d’État depuis que Josh Paul, ancien directeur chargé des transferts d’armes des États-Unis, a démissionné en octobre, au début de la guerre à Gaza, affirmant que Washington procédait à des acheminements accélérés d’armes vers Israël sans contrôle approprié et sans se soucier de la manière dont elles seraient utilisées.

Et le 26 avril, la porte-parole en langue arabe du département d’État, Hala Rharrit, a annoncé sa démission en raison de la politique de guerre de Washington à Gaza, mettant ainsi fin à dix-huit années de service au sein du gouvernement.

En dehors du département d’État et de l’armée américaine, une autre personne nommée par Biden a démissionné plus tôt cette année : Tariq Habash, haut responsable politique au ministère de l’Éducation.

Habash, Palestino-Américain, a déclaré en janvier dans sa lettre de démission, partagée avec MEE, qu’il déplorait « la déshumanisation et l’effacement de [s]on identité par [s]es pairs, par les médias et par [s]on propre gouvernement ».

Tous les démissionnaires ont été consternés par le fait que Washington n’ait pas encore employé de véritables moyens de pression pour freiner Israël dans sa conduite de la guerre. Des experts juridiques ont déclaré qu’Israël avait commis de nombreuses violations des droits de l’homme et que cela pourrait déclencher certaines lois américaines visant à interrompre les ventes d’armes à ce pays.

Cependant, Washington n’a pas déclaré qu’Israël violait le droit international tout au long de sa guerre à Gaza et n’a pris aucune mesure majeure pour arrêter le transfert d’armes américaines à l’armée israélienne.

« Les États-Unis n’ont utilisé pratiquement aucun moyen de pression au cours des huit derniers mois pour demander des comptes à Israël ; bien au contraire, nous avons permis et légitimé les actions d’Israël en opposant notre veto aux résolutions de l’ONU conçues pour tenir Israël pour responsable », a déploré Lily Greenberg Call dans sa lettre.

« Le président Biden a le sang de personnes innocentes sur les mains. »

Traduit de l’anglais (original).

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