Défigurée à l’acide, Al-Anoud, visage des mineures mariées et brutalisées au Yémen
« Il m’a saisi par les cheveux et a versé l’acide en riant. » Al-Anoud Hussein Chariane, 19 ans, est un visage sur des chiffres terrifiants.
Selon une enquête menée par l’ONU en 2013, 32 % des Yéménites âgées de 24 à 32 ans ont déclaré avoir été mariées avant 18 ans, dont 9 % avant 15 ans. L’UNICEF estime que le pays de près de 30 millions d’habitants comptait en 2020 quelque 4 millions d’enfants mariés, dont 1,4 million ont moins de 15 ans.
Dans un témoignage à l’AFP, la jeune Yéménite mariée à 12 ans, qui vit à Sanaa, la capitale, a raconté son enfer : pendant ses quatre ans de mariage, Al-Anoud a vécu comme une « esclave », selon ses mots.
Le voile qu’elle porte encadre un visage défiguré par l’acide qu’un ancien mari violent n’a pas hésité à lui verser dessus. Elle a presque perdu l’œil gauche et son visage et corps ont été atteints de profondes brûlures.
À la mort de son père, sa mère se remarie et s’empresse de lui trouver un mari. « Elle a voulu me protéger », ajoute la jeune femme en cherchant à la défendre.
Mais répudiée, elle se réfugie chez sa soeur. Son ex-mari exige quelques années plus tard qu’elle revienne au foyer. Devant son refus, il l’agresse en octobre dernier dans la maison de sa soeur… en lui jetant de l’acide au visage.
Des violences accentuées par la guerre
Le mariage des fillettes est une pratique courante au Yémen et « la guerre a accentué les violences qu’elles subissent », explique à l’AFP Tayseer Walid de l’Union des femmes du Yémen, une ONG locale.
En 2011, Human Rights Watch (HRW) avait largement documenté les graves séquelles subies sur le long terme par les jeunes filles yéménites forcées par leurs familles à se marier.
En 2013, la mort d’une fillette de 8 ans après avoir été violée par son mari, âgé d’une quarantaine d’années, lors de sa nuit de noces, avait donné une nouvelle impulsion aux débats de militants sur les médias sociaux concernant les moyens de lutter contre la pratique du mariage des enfants.
En 2015, le film Nojoom, 10 ans, divorcée, avait aussi contribué à faire connaître un peu plus ce phénomène : la réalisatrice, Khadija al-Salami, auteure d'une quinzaine de documentaires et fervente militante des droits des femmes, y raconte l’histoire d’une fillette de 10 ans, mariée de force, violée, battue, insultée, qui finit par s’enfuir, trouve la protection d’un juge et porte l’affaire en justice. Au terme d’une procès ubuesque, elle obtiendra le divorce.
Une histoire qui est aussi celle de la réalisatrice : « J’ai vécu la même expérience. J’ai dû me battre contre une famille, contre une société tout entière », expliquait-elle à l’époque.
Il y a un an, en février 2020, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) rappelait que si, pour les couples du monde entier, la Saint-Valentin est l’occasion de célébrer l’amour et le romantisme, des centaines de millions de femmes et de filles en vie aujourd’hui ont été mariées alors qu’elles n’étaient encore que des enfants.
Et de raconter l’histoire d’Ameena, Yéménite, tombée enceinte peu de temps après avoir été mariée à l’âge de 15 ans. « Je ne savais pas ce qui m’arrivait pendant ma première grossesse. J’avais l’impression que quelque chose d’effrayant se passait dans mon ventre. Cette grossesse précoce m’a laissé des lésions au niveau de la colonne vertébrale. Je n’étais pas prête à accoucher. Je n’étais pas prête à avoir un mari. Je ne savais même pas ce que signifiait le mariage. »
Des effets psychologiques irréparables
Après son hospitalisation dans une clinique où elle était en formation pour devenir infirmière, Al-Anoud, attend aujourd’hui trois opérations de chirurgie plastique pour réparer ce qui peut encore l’être.
Son médecin traitant, le docteur Moutawakal Chahari, reconnaît la complexité de cette procédure et son coût élevé alors que les factures des premiers soins n’ont pas encore été réglées. Mais, insiste-t-il, « les effets psychologiques sont irréparables ».
Dans un rapport publié en 2020, le fonds de l’ONU pour la population (UNFPA), chargé notamment des questions sexuelles et reproductives, a estimé à 2,6 millions le nombre de femmes et de filles exposées à la violence sexiste au Yémen. Et, avec le COVID-19, « les cas de violence domestique sont en augmentation ».
This is gender-based violence on a whole another level, women will no longer have autonomy over their bodies. To make matters worse Yemen’s war have destroyed much the reproductive health services, so where will they go? https://t.co/ZgsgKTy5Ps
— Arawelo (@SagalAbas) February 2, 2021
Traduction : « Il s’agit d’un tout autre niveau de violence sexuelle. Les femmes n’auront plus d’autonomie sur leurs corps. Pour aggraver la situation, la guerre au Yémen a détruit une grande partie des services de santé reproductive. Alors où vont-elles aller ? »
Le tweet cité : « Après avoir ségrégué la société et transformé les écoles en camps d’endoctrinement et de recrutement, les Houthis veulent maintenant transformer les femmes en machines à fabriquer des bébés. Leur ministère de la Santé vient de publier une directive interdisant les méthodes de contrôle des naissance existantes. Ils préparent leur guerre sainte. »
Pour lutter contre le phénomène des violences liées au sexe au Yémen, le Programme de l’ONU pour le développement (PNUD) a lancé une rare initiative.
Avec le soutien du gouvernement japonais, il a lancé une application mobile pour fournir des conseils aux survivants de ces violences. La plateforme décrit les services de protection et d’aide aux survivants.
« La guerre a exacerbé les problèmes auxquels les femmes sont confrontées, notamment la violence accrue », a constaté le PNUD dans un communiqué.
Depuis 2015, date de l’intervention militaire de l’Arabie saoudite au côté du pouvoir au Yémen, la violence à l’égard des femmes et des filles a augmenté de 63 %
Depuis 2015, date de l’intervention militaire de l’Arabie saoudite au côté du pouvoir au Yémen, « la violence à l’égard des femmes et des filles a augmenté de 63 % », selon la même source.
Al-Anoud dit, elle, avoir déposé plainte à Sanaa contre son tortionnaire, en fuite, et attendre une action de la justice qui ne vient pas.
La jeune femme a appelé aussi à l’aide les services compétents, les ONG locales et internationales pour pouvoir « réparer » sa vie. « Je veux que ce criminel soit jugé, je veux reprendre mes études et reconstruire ma vie! »
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