L’atmosphère se tend en Iran en prévision d’élections cruciales
L’Iran se prépare pour les élections du parlement et de l’Assemblée des experts, qui se tiendront en février et constituent les élections les plus importantes dans la République islamique.
L’Assemblée des experts est un organe clérical chargé de choisir le guide suprême iranien et de superviser ses activités. Les membres de l’assemblée sont élus au suffrage universel direct à partir de listes de candidats pour un mandat de huit ans.
En raison de l’immense pouvoir de ce corps clérical, la concurrence est rude alors que de nombreux ecclésiastiques, en particulier conservateurs, réformistes et modérés, essaient de se frayer un chemin vers l’assemblée.
L’actuel président de l’Assemblée des experts est l’ayatollah Mohammad Yazdi, un ecclésiastique conservateur qui a battu l’ayatollah modéré Akbar Hachemi Rafsandjani lors des élections internes à la présidence de l’organe.
Avant 2007, il n’y avait pas d’élections réellement compétitives à l’assemblée. En réalité, pendant 24 ans, tous les membres de l’assemblée ont élu l’ayatollah Ali Meshkini à la présidence de l’organe. Après la mort de ce dernier, des élections internes à la présidence ont été organisées, et pour la première fois, plusieurs membres se sont présentés.
En 2014, après la mort de l’ayatollah Mohammad Reza Mahdavi-Kani, des élections internes pour déterminer son successeur ont opposé l’ayatollah Rafsandjani à l’ayatollah Yazdi dans une compétition houleuse ; contre toute attente, Rafsandjani a perdu la bataille.
Les prochaines élections de la nouvelle Assemblée des experts approchent désormais à grands pas et des figures de premier plan se préparent pour une joute que l’ayatollah Rafsandjani a décrite comme l’une des « plus importantes » échéances des trois dernières décennies.
La grande course opposera un trio modéré à un trio ultra-conservateur.
Le trio modéré
Âgé de 80 ans, l’ayatollah Rafsandjani est le président du Conseil de discernement et a été élu président de l’Iran à deux reprises. Rafsandjani, qui était proche du fondateur de la République islamique, est bien connu pour ses visions pragmatiques sur des questions nationales et internationales. Il a annoncé sa décision de se présenter aux élections il y a cinq mois, donnant lieu à une violente guerre des mots lancée par les partisans de la ligne dure qui s’opposent à ses vues.
Ces derniers l’accusent de tourner le dos à la notion de révolution de la République islamique et considèrent comme « dangereuse » sa présence à l’Assemblée des experts. Au contraire, les modérés et réformistes estiment que l’attitude et les politiques de Rafsandjani sont totalement en accord avec les objectifs de la révolution islamique et utiles pour l’Iran.
L’ayatollah Seyyed Hassan Khomeini (le petit-fils de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, qui a renversé le shah en 1979), âgé de 43 ans, a lui aussi annoncé officiellement sa décision de se présenter aux élections de l’assemblée. C’est la première fois depuis la mort de Khomeini qu’un membre de premier plan de sa famille se lance dans la politique. Hassan Khomeini est un personnage très respecté auprès de différentes factions et une figure réputée auprès de la population (surtout chez les jeunes) pour ses idées uniques et progressistes.
Durant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, le jeune ayatollah avait fait face à de sérieuses attaques de la part des partisans de la ligne dure pour ses discours contre la mauvaise gestion d’Ahmadinejad. Dans un discours prononcé en 2011, il a décrit « l’extrémisme » comme « le plus grand danger pour un mouvement en général ». En 2013, il a jugé « incroyable » l’interdiction de la candidature de Rafsandjani aux élections présidentielles, lors desquelles il a ensuite soutenu Rohani.
L’annonce de la candidature de Seyyed Hassan Khomeini a été suivie par une campagne à son encontre de la part des partisans de la ligne dure. Dans cet esprit, le journal radical Kayhan a accusé Khomeini d’avoir été trompé par Rafsandjani. Cependant, les conservateurs modérés et les réformistes ont salué la décision de Khomeini de se présenter.
Seyyed Mehdi Tabatabai, un ecclésiastique conservateur réputé modéré, a indiqué à l’hebdomadaire Tolou Sobh : « Si l’imam Khomeini était vivant, il aurait demandé à Seyyed Hassan Khomeini de se porter candidat aux élections. » De fait, Khomeini est considéré comme l’atout des modérés en vue des élections.
Hassan Rohani, le président iranien âgé de 63 ans, devrait également se porter candidat à l’Assemblée des experts. Rohani a effectué auparavant deux mandats au sein de cet organe et est également proche de l’ayatollah Rafsandjani. Actuellement sous le feu des critiques des partisans de la ligne dure pour ses politiques, il devrait également faire face à plus d’attaques s’il venait à être nommé.
Le trio ultra-conservateur
L’ayatollah Mohammad Yazdi, 83 ans, président de l’Assemblée des experts, dirige la Société des enseignants du séminaire de Qom, un groupe important au sein du camp conservateur. Il a également officié en tant que chef du pouvoir judiciaire iranien entre 1989 et 1999. Fervent détracteur de la politique de Rohani, il s’en est pris à ce dernier à plusieurs reprises. En outre, Yazdi entretient des relations tendues avec l’ayatollah Rafsandjani.
Après les élections présidentielles iraniennes de 2009 qui ont donné lieu à des troubles, Yazdi, partisan d’Ahmadinejad, a fortement critiqué Rafsandjani pour ses positions. Les critiques de Yazdi ont été suivies d’une réponse de Rafsandjani, qui a déclaré : « Depuis des années, je dis à M. Yazdi que je prierai pour sa guérison et que je le saluerai toujours cordialement. Malheureusement, il s’énerve à cause de ses problèmes physiques et exprime son opinion à la hâte. »
L’ayatollah Mohammad-Taqi Mesbah Yazdi, âgé de 80 ans, est l’un des ecclésiastiques les plus controversés d’Iran, étant considéré comme le leader de la ligne dure. Rafsandjani est un détracteur de Mesbah Yazdi et estime que ce dernier n’est pas venu en aide à l’ayatollah Khomeini avant la révolution.
Mesbah Yazdi, qui a même de sérieux détracteurs du côté des conservateurs, était le principal partisan d’Ahmadinejad avant et après sa prise de fonctions et a échangé des piques avec Rafsandjani et Rohani. Il y a un an, il s’en est pris à Rohani en déclarant : « Certaines personnes avec des positions officielles qui portent un turban, en réponse à [...] la préoccupation du clergé face aux questions religieuses et culturelles, présentent [ces personnes préoccupées] comme des gens qui ne connaissent pas l’islam et les accusent d’être délirantes. » Mesbah Yazdi a demandé : « Où avez-vous appris la religion ? Au séminaire de Qom ou en Grande-Bretagne ? »
L’ayatollah Ahmad Jannati, 87 ans, dirige le puissant Conseil des gardiens (qui est chargé d’approuver les candidats aux élections) ainsi que la prière du vendredi à Téhéran ; il entretient des relations tendues avec des figures modérées telles que Rohani.
Il a également fortement soutenu Ahmadinejad durant sa présidence et a critiqué Rohani à plusieurs reprises pour ses politiques culturelles et étrangères. Le 14 août, l’ayatollah Jannati a fait allusion à Rafsandjani en déclarant : « Les élections de l’Assemblée des experts sont plus importantes que les élections parlementaires [...] Il y a cette inquiétude que certains puissent souhaiter politiser les élections de l’Assemblée des experts et faire tout ce qu’ils veulent une fois qu’ils y seront [à l’Assemblée]. S’ils y parviennent [...] ils seront source de problèmes pour l’ordre établi et la révolution. »
Actuellement, les modérés disposent d’une coalition fragile au sein de l’Assemblée des experts, ce qui leur a fait perdre la présidence au profit des ultra-conservateurs.
Des enjeux de popularité
Il semblerait que les candidatures d’Hassan Rohani et Hassan Khomeini puissent aider les modérés à prendre le dessus à la fois avant et après les élections. En effet, Rohani jouit d’une certaine popularité en raison de l’accord sur le nucléaire qui va mettre fin aux sanctions contre l’Iran, tandis que le jeune Khomeini est admiré par les jeunes pour ses positions franches et courageuses concernant les questions nationales et internationales en Iran.
Sadegh Zibakalam, activiste politique, a indiqué à MEE : « Le trio Rafsandjani-Khomeini-Rohani remportera probablement les élections en raison de sa grande popularité. Au sein de l’Assemblée des experts, les modérés auront l’opportunité de présider à nouveau cet organe clérical ».
Hossein Kanani Moghaddam, analyste politique, a expliqué à MEE que « la seule différence entre ces élections à l’assemblée et les précédentes est que nous observons la candidature de jeunes ecclésiastiques qui rendront cet organe plus efficace. »
En outre, beaucoup estiment que les chances de voir les ultra-conservateurs remporter de nombreux sièges sont minces.
Darush Qanbari, ancien législateur, a indiqué à MEE : « Lors des élections présidentielles de 2013, le peuple a montré qu’il ne veut pas être gouverné par des partisans de la ligne dure. Le candidat favori des partisans de la ligne dure [Saïd Jalili] aux élections présidentielles n’est parvenu à obtenir que quatre millions de voix ; je crois donc que la même chose se produira aux élections de l’Assemblée des experts et que les modérés gagneront. »
Photo : le président du parlement iranien Ali Larijani (au centre) discute avec un député lors d’une session parlementaire à Téhéran, le 11 octobre 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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