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L’attaque contre Barakat met en évidence la vulnérabilité du système judiciaire égyptien

Le rôle du système judiciaire dans la répression contre la dissidence en Égypte indique que les juges, les tribunaux et les procureurs sont considérés comme des cibles clés par les radicaux
Par MEE
Emad Shahin, professeur égyptien condamné à mort par contumace dans le même procès que l’ancien président égyptien Mohamed Morsi, a déclaré à Middle East Eye que le système judiciaire du pays était susceptible d’être la cible d’une nouvelle vague d’attaques, quelle qu’en soit la forme.
 
« Le pouvoir judiciaire a participé à la confrontation sanglante entre le régime et ses opposants », a-t-il expliqué par téléphone depuis Washington.
 
« Il y a eu une parodie de justice et un manquement à la procédure régulière », a-t-il soutenu, en faisant référence à une série de fuites attestant d’une collusion entre le pouvoir judiciaire et des responsables proches d’Abdel Fattah al-Sissi, à l’époque chef de l’armée, aujourd’hui président.
 
L’un des enregistrements divulgués, diffusé par les chaînes d’information d’opposition et dont l'authenticité a été récemment validée par des experts judiciaires en acoustique du Royaume-Uni, indiquait que le procureur général victime de l'attaque de lundi, Hisham Barakat, avait comploté avec des responsables pour monter de toutes pièces un dossier sur la détention de Morsi après son éviction du pouvoir par l’armée.
 
Barakat avait nié l’authenticité des fuites, accusant les Frères musulmans de les avoir falsifiées.
 
Des cibles clés
 
Selon Shahin, le rôle du système judiciaire dans la répression de la dissidence par l’État  indique que les juges, les tribunaux et les procureurs sont considérés comme des cibles clés par les éléments radicaux de l’opposition. « Ce genre de violence étatique signifie qu’il est extrêmement difficile d’éviter la contre-violence », a-t-il expliqué.
 
Ce lundi, des militants ont publié une vidéo prétendant montrer une opération baptisée « Purification du système judiciaire », présentant une séquence au ralenti d’une attaque à la mitrailleuse contre des juges égyptiens sur une route fréquentée.
 
En mai, des hommes armés d’Ansar Bait al-Maqdis, une milice qui a récemment fait allégeance à l’État islamique et qui s’appelle désormais Province du Sinaï, ont ouvert le feu sur une voiture dans la région agitée de la péninsule du Sinaï, tuant deux juges et un procureur, ainsi que leur chauffeur.
 
En mars, la Cour suprême du Caire, où Barakat officiait, a été visée par un attentat à la bombe.
 
À la suite de cet attentat, qui a fait deux victimes, Barakat avait promis d’accélérer la mise en œuvre d’un nouveau projet de loi sur les entités terroristes, annoncé en février.
 
Les groupes de défense des droits de l’homme, qui ont signalé que cette loi permettait de définir « aisément » des partis politiques comme étant des organisations terroristes, ont accueilli le projet de loi avec inquiétude.
 
La montée du militantisme et la légitimité du gouvernement
 
En l’absence d’un parlement fonctionnel, le gouvernement actuel, dirigé par le président Sissi, a acquis une grande partie de sa légitimité en promettant de réprimer le militantisme violent.
Face à la montée de la violence, cependant, certains se demandent si le succès d’une attaque de cette envergure aura des répercussions négatives sur les efforts entrepris jusqu’ici pour éradiquer la violence, en particulier l’insurrection qui sévit actuellement dans le Sinaï.
 
« La raison d’être de Sissi est de combattre le terrorisme et de rétablir la stabilité, a indiqué Shahin. Jusqu’ici, il a échoué lamentablement à ces deux niveaux. Il n’a pas été capable de rétablir la sécurité, et n’a pas non plus proposé la moindre solution pour apaiser la situation. »
 
Malgré cela, les analystes doutent que cette dernière attaque puisse amener les autorités à repenser leur stratégie.
 
« Cela n’embarrassera pas [le président Sissi] », a soutenu Issandr el-Amrani, de l’International Crisis Group. « Au contraire, la réaction de l’opinion publique et de la communauté internationale servira Sissi. Il affirme mener une guerre contre le terrorisme, et il est question d’une attaque terroriste. Il sera plus difficile de faire pression sur le régime pour qu’il cesse de recourir à une répression aussi sévère dans le cadre des efforts entrepris en matière de sécurité. »
 
Dans le sillage de l’assassinat de Barakat, les activistes en Égypte et en exil affirment craindre une escalade des tentatives de répression de l’opposition par le gouvernement, que ce soit par des moyens violents ou pacifiques.
 
« C’est exactement ce que le régime souhaite : ils s’en serviront comme d’une excuse pour resserrer leur emprise, a signalé Shahin. Cela entraînera l’Égypte dans un cycle vicieux de violence sans fin. » 


Photo : Hisham Barakat, procureur égyptien assassiné lundi.
 
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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