La dernière tranchée de Netanyahou
En début de semaine, les téléspectateurs israéliens ont été témoins d’une scène très particulière. A la gauche de leur écran de télévision, ils pouvaient voir et entendre le président américain Barak Obama déclarer que l’insistance du Premier ministre Benjamin Netanyahou à ignorer sa demande qu’il renonce à son discours devant les deux chambres du Congrès était une « décision hâtive ». A droite, le même Netanyahou réitérait sa détermination à prendre la parole au Congrès, malgré l’opposition d’Obama. La fracture entre les deux chefs d’Etat n’avait jamais été aussi saisissante.
On peut légitimement supposer que Netanyahou n’avait pas prévu une telle possibilité lorsqu’il a organisé une visite surprise à Washington avec le président républicain du Congrès, John Boehner, et l’ambassadeur israélien, Ron Dermer. Il ne s’attendait certainement pas à ce qu’Obama applaudisse son discours (prévu pour le 3 mars, deux semaines avant les élections israéliennes), dont l’objectif déclaré était de faire échouer la tentative de l’administration américaine de parvenir à un accord avec l’Iran sur son programme nucléaire. Mais il n’avait pas non plus cherché un tel affrontement, d’une amplitude inédite, avec le président américain.
Pour autant, l’affrontement a eu lieu, et plus tôt que Netanyahou ne se l’attendait. Depuis le 7 janvier, date à laquelle l’intention de Netanyahou de prononcer un discours au Congrès à l’invitation de John Boehner a été annoncée, l’administration Obama a fait de son mieux pour exprimer clairement son mécontentement. Tandis que des responsables de la Maison Blanche décrivaient la visite comme une infraction au protocole, le président Obama et son secrétaire d’Etat John Kerry déclaraient à plusieurs reprises qu’ils ne rencontreraient pas le Premier ministre israélien si peu de temps avant les élections.
L’annonce faite par d’importants parlementaires démocrates qu’ils n’assisteraient pas non plus au discours de Netanyahou a été suivie, la semaine dernière, par celle du vice-président, Joe Biden, qui habituellement préside les réunions des deux chambres du Congrès en tant que président du Sénat. Le cabinet de Joe Biden a déclaré que celui-ci « serait en voyage à l’étranger lors de la session conjointe du Congrès ». Cette fois-ci, au lieu d’être acclamé par les « standing ovations » à répétition du Congrès, Netanyahou risque bien de se retrouver face à des dizaines de sièges inoccupés.
L’administration Obama, semble-t-il, a réussi à présenter la visite de Netanyahou comme une irrévérence envers le président américain, indépendamment de son affiliation politique. Même les meilleurs amis de Netanyahou dans les médias américains ont vivement critiqué sa décision d’ignorer la requête d’Obama à ce qu’il annule son voyage. « Ils [les Israéliens] pensent que nous sommes juste une bande d’abrutis », a déclaré Shepard Smith, un commentateur de Fox News.
Alors pourquoi Netanyahou s’engage-t-il les yeux bien ouverts dans une crise qu’il a lui-même créée ? Pourquoi n’a-t-il pas fait marche arrière, ainsi que l’avait spéculé la presse israélienne la semaine dernière? L’explication la plus évidente est liée à la campagne électorale en Israël. Lorsque Netanyahou a annoncé son intention de s’adresser au Congrès il y a un mois, il était devancé de deux ou trois points dans les sondages par le Camp sioniste, le parti présidé par Yitzhak Herzog et Zipi Livni. Désormais, c’est lui qui les devance, même si de justesse. Conclusion : le public israélien récompense Netanyahou pour son refus de s’incliner face au président des Etats-Unis afin de défendre les intérêts vitaux d’Israël contre l’Iran.
Mais cette conclusion est peut-être trop facile. La montée de Netanyahou dans les sondages coïncide avec une forte détérioration de la popularité du parti Foyer juif, ce qui signifie qu’il récupère les voix de l’extrême droite, pas celles du centre. Les électeurs centristes, représentés essentiellement par le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid, n’aimeraient pas assister à une confrontation ouverte entre Israël et son meilleur (et peut-être unique) allié, les Etats-Unis. Si le discours au Congrès aggrave ce désaccord, Netanyahou pourrait perdre certaines voix du centre à un moment extrêmement critique de la campagne, deux semaines avant le jour du scrutin.
Une meilleure explication est qu’à ce moment précis, renoncer à se rendre à Washington pourrait être pire, en terme électoral, que risquer d’approfondir la division avec l’administration Obama. Si Netanyahou annule maintenant son voyage, il sera crucifié par ses rivaux à droite, moqué et tourné en ridicule par ses opposants à gauche. Si ce raisonnement est correct, Netanyahou est pratiquement forcé à poursuivre sa visite, et ce malgré le risque potentiel.
Cela dit, au-delà des diverses considérations politiciennes, tant en Israël qu’aux Etats-Unis, où les Républicains voient Netanyahou comme un allié contre leur propre président, l’insistance de ce dernier à prendre la parole au Congrès repose sur un autre élément d’importance capitale. Bien que maladroite, la décision de Netanyahou reflète une peur croissante en Israël que l’administration Obama ne se dirige non seulement vers un accord permettant à l’Iran de maintenir un programme nucléaire, mais également vers la reconnaissance du rôle croissant de Téhéran au Proche-Orient.
Yaki Dayan, ancien consul général d’Israël à Los Angeles, indique que les Israéliens sont de plus en plus inquiets de ce rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran. Lorsque les Américains regardent la carte du Proche-Orient, affirme-t-il, ils voient qu’au moins quatre pays sont sous forte influence iranienne – le Liban, la Syrie, l’Irak et, récemment, le Yémen. Quant aux alliés historiques de l’Amérique dans la région, les Saoudiens, ils perdent du terrain. Dans la guerre conte l’Etat islamique, l’Iran est plus précieux à l’Amérique qu’Israël.
Selon Dayan, une opinion qui fait pratiquement consensus en Israël est que l’administration Obama a décidé de conclure un accord avec l’Iran coûte que coûte. La véritable signification d’un tel accord n’est pas qu’Israël sera attaqué dans un avenir proche par des missiles nucléaires iraniens, affirme Dayan, mais que l’Iran deviendra une puissance nucléaire « seuil », capable de développer une arme nucléaire en l’espace d’un an. Le résultat sera que l’Iran ne se laissera plus intimidé facilement. Ceci est une mauvaise nouvelle pour l’Arabie saoudite, et bien évidemment pour Israël.
D’après le diplomate, la peur dans les cercles politiques israéliens est que l’administration Obama ne pense pas qu’un tel développement soit si négatif. Les Etats-Unis, dit-il, ont un faible pour l’Iran. Les Américains voient dans ce pays, dans sa classe moyenne relativement importante et sa riche vie intellectuelle, un potentiel de changement démocratique. Un accord nucléaire qui libère l’Iran de son isolement pourrait être considéré comme un premier pas en ce sens.
Personne ne parle sérieusement de renouveler l’alliance entre l’Iran et les Etats-Unis de l’époque précédant la révolution de l’ayatollah Khomeini. Toutefois, même hésitant, un pas des Etats-Unis en direction de l’Iran pourrait être vu en Israël comme porteur d’implications stratégiques. Si l’Iran se rapproche des Etats-Unis, la position d’Israël dans la région pourrait être considérablement affaiblie. Ceci explique peut-être pourquoi Netanyahou accorde tant d’importance à empêcher un accord avec Téhéran. Un affrontement avec le président Obama, aussi gênant qu’il puisse être, semble être un prix qu’il vaille la peine de payer pour atteindre un tel objectif.
Yaki Dayan comprend donc, voire justifie, la décision de Netanyahou de se servir du Congrès comme d’un podium pour tenter de stopper un accord avec l’Iran. Le problème, selon lui et selon de nombreux observateurs de la diplomatie israélienne, est qu’il s’y prend mal. En défiant ouvertement Obama, Netanyahou pourrait perdre une partie du soutien du public américain, d’habitude résolument pro-israélien.
Les implications pourraient perdurer bien après le discours de Netanyahou. Si les Israéliens voient juste et qu’Obama choisit en effet de se rapprocher de l’Iran, ils ne pourront pas faire grand chose pour l’en empêcher. La rixe liée au discours de Benjamin Netanyahou pourrait représenter bien plus qu’un duel personnel entre les deux dirigeants. Elle pourrait marquer le début d’une nouvelle phase dans les relations israélo-américaines.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d'oliviers palestiniens. Ancien directeur du service d'informations du journal Haaretz, il est aujourd'hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Légende photo : le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou (AA).
Article traduit de l'anglais (original).
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