Le Yémen, un casse-tête pour Obama dans la lutte contre le terrorisme
NEW YORK – En septembre, Barack Obama applaudissait les frappes de drones et les efforts de lutte contre le terrorisme des Américains au Yémen comme étant un succès dans le combat mondial contre les milices islamistes. Ecraser les djihadistes pouvait être possible en coopérant avec les dirigeants étrangers, a déclaré le président américain.
Cette politique est exploitée jusqu'à ses limites depuis que les houthis, des musulmans chiites, ont achevé la prise de la capitale Sanaa le mois dernier et combattent désormais dans le sud du pays les milices soutenant Abd Rabbo Mansour Hadi, le président de jure que les Houthis ont placé en résidence surveillée et contraint de démissionner.
John Bolton, l’ancien ambassadeur américain aux Nations unies connu pour son bellicisme, a fustigé Obama pour avoir permis « quelque chose d’aussi important que l’effondrement du Yémen ». Leon Panetta, ancien secrétaire des Etats-Unis à la Défense, a quant à lui dénoncé l'apparition d'« un nouvel Etat défaillant au Moyen-Orient » et « la carte blanche donnée à al-Qaïda » dans la région.
Sous Abd Rabbo Mansour Hadi, les Etats-Unis pouvaient envoyer des drones et bénéficiaient d'un partenaire dans la lutte contre al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), la franchise terroriste yéménite qui serait peut-être responsable de l'attentat meurtrier perpétré le mois dernier dans les bureaux de l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo.
Les Houthis, en revanche, incluent « Mort à l'Amérique » dans leur mantra, sont soupçonnés de liens avec l'Iran et en veulent aux Etats-Unis pour leurs frappes de drones qui tuent des civils yéménites.
« L'intérêt stratégique plus large est AQPA, qui fait partie d'un modèle de djihadisme à l'échelle mondiale, pas seulement dans le Golfe, mais dans l’ensemble de ce croissant global qui va du Xinjiang au nord-est jusqu'à Boko Haram et au nord du Nigéria à l'ouest », a expliqué Kevin Rudd, ancien Premier ministre australien, à Middle East Eye.
« C'est un phénomène extraordinaire qui se déroule à travers le monde. »
Les Etats-Unis et certains pays européens ont fermé leur ambassade à Sanaa. Les représentants du département d'Etat américain décrivent un paysage diplomatique « difficile ».
« Nous avons encore la capacité de mener des opérations de lutte contre le terrorisme », a indiqué à MEE le major Bradlee Avots, porte-parole du Pentagone.
En raison du chaos au Yémen, l'armée américaine aurait perdu la trace du matériel militaire qu’elle a fourni au pays depuis 2006, y compris des hélicoptères et des avions de transport, pour une valeur de 400 millions de dollars. Le major Avots a refusé d’évoquer le matériel qui aurait été égaré.
D'après Barak Barfi, chercheur au think tank New America Foundation, les armes fournies par les Etats-Unis restent majoritairement détenues par l'armée yéménite, et non pas par les Houthis. L'armée a gardé une certaine puissance dans le sud et y a la capacité d'atteindre AQPA, explique-t-il.
« L'armée du Yémen est en grande partie intacte, étant restée cantonnée dans ses casernes lorsque les Houthis ont défilé dans la capitale, et peu d'éléments indiquent que les unités qui coopèrent avec les Américains sont fidèles au nouveau gouvernement rebelle », a précisé Barak Barfi à MEE.
« Si la coopération venait à être suspendue, AQPA pourrait avoir carte blanche dans un pays où l'organisation a été capable de semer le chaos, même lorsqu'elle était bridée. »
Charles Schmitz, un chercheur de l'université américaine de Towson qui soutient la stratégie d'Obama sur la question du Yémen, a indiqué que l'approche des Etats-Unis face à Ansar Allah, la force armée houthie, comble l'écart entre les objectifs antiterroristes américains et la scène politique yéménite en rapide évolution.
« Ansar Allah est une force politique importante au Yémen qui aura un rôle dans l'avenir du pays, a déclaré Charles Schmitz à MEE. Washington espère que la fermeture des ambassades étrangères forcera Ansar Allah à négocier de façon plus réaliste avec les autres forces politiques du Yémen. »
« Le comportement américain reflète également l'animosité partagée avec Ansar Allah envers al-Qaïda. »
Une autre préoccupation subsiste au sujet de la prise de pouvoir des Houthis : leurs liens avec l'Iran, le poids lourd chiite de la région qui soutient les groupes chiites dans tout le Moyen-Orient, sur fond de lutte de pouvoir contre l'Arabie saoudite et la domination régionale des musulmans sunnites.
Bien que les représentants des Houthis démentent tout soutien iranien, les responsables de la sécurité yéménites ont déclaré à Reuters que les miliciens houthis ont reçu des armes, de l'argent et des séances d’entraînement de la part de Téhéran lors de leur progression initiale vers la capitale en septembre.
« Les relations présumées avec l'Iran constituent une accusation très exagérée lancée par les Saoudiens. Riyad a essayé de réprimer l'influence politique des Houthis au Yémen depuis des années », a indiqué à MEE Michael Brenner, chercheur à l'université de Pittsburgh.
« A en juger par la façon dont les Houthis gouvernent Sanaa, nous ne sommes pas devant une bande de fous. Les Etats-Unis peuvent coopérer avec les Houthis, mais ce sera selon les termes d'un groupe qui critique l'intervention américaine au Yémen et qui n'entend pas se laisser intimider. »
Le groupe de pression basé au Royaume-Uni Amnesty International n'est pas du même avis. Les combattants houthis ont détenu et torturé des civils dans le but d'éradiquer l'opposition à Sanaa et dans les régions sous leur contrôle dans le centre du Yémen, a indiqué Donatella Rovera, responsable des crises pour l'ONG.
« L'attention de la communauté internationale est portée sur le cadre politique qui serait acceptable pour les différents acteurs, plutôt que sur le comportement de ces acteurs. Les droits de l'homme ne constituent pas un enjeu majeur dans les négociations à Sanaa ou au Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui est regrettable », a-t-elle déclaré à MEE.
Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a signalé que le Yémen « est en train de s'écrouler sous nos yeux » et rappelé que la pénurie de nourriture, d'eau et de soins de santé touche 61 % de la population, soit près de 16 millions de personnes. Selon les travailleurs humanitaires, le pire est encore à venir.
« Jusqu'à présent, nous n'avons pas observé un grave impact humanitaire de la crise politique actuelle, mais nous craignons qu'un possible effondrement économique et budgétaire n'exacerbe une situation déjà critique », a déclaré à MEE Johannes Van Der Klaauw, responsable de la coordination humanitaire des Nations unies au Yémen.
Ce dimanche, le Conseil de sécurité des Nations unies a exigé que les militants houthis au Yémen renoncent au contrôle du gouvernement et retirent leurs forces de Sanaa. Les Houthis ont fustigé l'ONU pour leur « ingérence dans les affaires intérieures » du pays.
Le Yémen connaît une période de troubles depuis qu'un soulèvement populaire en 2011 a forcé le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis trois décennies, à démissionner un an plus tard.
Légende photo : Amnesty International affirme que les combattants houthis ont détenu et torturé des civils dans le but d'éradiquer l'opposition (AFP).
Traduction de l'anglais (original).
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