Les politiques isolationnistes de Trump suggèrent une réorganisation au Moyen-Orient
NEW YORK, États-Unis – Le Moyen-Orient ne manque pas d’électrons libres. Il en dispose d’un nouveau sous les traits du nouveau président américain Donald Trump, dont les annonces de campagne sur Israël, la Syrie et l’Iran laissent présager de grandes réorganisations dans une région toujours agitée.
Trump, un républicain dont les collègues contrôleront les deux chambres du Congrès lorsqu’il prendra ses fonctions en janvier, affirme que l’Amérique est à la limite de ses capacités, que les poids lourds comme la Russie et la Chine devraient bénéficier d’une plus grande latitude à leurs portes et que les alliés des États-Unis devraient faire davantage le gros du travail.
Pour le milliardaire, ce sont des étapes nécessaires pour se concentrer sur les maux du pays et remplir sa promesse de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Pour certains, surtout les alliés inquiets, cela marque l’effilochage de l’ordre mondial post-1945 soutenu par la puissance politique, économique et militaire américaine.
Au Moyen-Orient, le diable est dans les détails. Pendant des années, beaucoup dans le monde arabe ont vitupéré contre les incursions militaires des États-Unis en Irak, en Libye et ailleurs, ainsi que leur soutien aux autocrates en Égypte, en Arabie saoudite et ailleurs plutôt qu’aux islamistes qui les remplaceraient.
Trump affirme que l’Amérique est à la limite de ses capacités, que les poids lourds comme la Russie et la Chine devraient bénéficier d’une plus grande latitude à leurs portes et que les alliés des États-Unis devraient faire davantage le gros du travail
Pour certains, la rivale démocrate de Trump, Hillary Clinton, était un faucon qui a démontré ses réflexes interventionnistes en Libye et aurait autorisé une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie, poursuivant des décennies d’intervention américaine dans la région, si elle avait été élue.
La présidence de Trump pourrait être l’inverse et, de manière contre-intuitive, poursuivre le retrait américain du Moyen-Orient engagé par le président Barack Obama. Ceux qui se plaignaient de l’ingérence de l’Oncle Sam voient leur vœu se concrétiser mais pourraient être pris de remords.
Pour tenter de connaître l’impact d’une présidence Trump, Middle East Eye s’est entretenu avec des universitaires pour découvrir ce que cet homme d’affaires vantard pourrait impliquer pour le conflit israélo-palestinien, l’accord sur le nucléaire iranien et la guerre civile syrienne.
Syrie : sortir du bourbier
La guerre sur plusieurs fronts entre les forces du président Bachar al-Assad, les rebelles, les Kurdes et les combattants fanatiques a coûté la vie à 400 000 personnes et a aspiré de l’argent, des armes et des troupes de Turquie, du Golfe, de Russie et d’Occident.
Selon Trump, le groupe de l’État islamique (EI), qui est petit à petit vaincu en Irak et en Syrie, devrait être le seul objectif de Washington. Contrairement à Obama, il affirme que laisser un homme fort comme Assad rester au pouvoir est un petit prix à payer pour vaincre l’EI.
S’exprimant dans le New York Times en mars, Trump avait déclaré que « l’approche consistant à lutter simultanément contre Assad et Daech était de la folie ». Plus tard, il a parlé de travailler avec le président russe Vladimir Poutine pour détruire les fanatiques radicaux.
« Ne serait-ce pas super si nous nous associions avec la Russie et mettions Daech K.O. ? », s’interrogeait Trump.
La volonté de Trump de travailler avec les partisans d’Assad à Moscou et à Téhéran est pénible pour les alliés de Washington dans le Golfe, qui craignent l’influence croissante de l’Iran sur la région. Cela pourrait également indiquer des liens plus étroits avec les autocrates des pays voisins, comme le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.
« Ne serait-ce pas super si nous nous associions avec la Russie et mettions Daech K.O. ? » – Donald Trump
« L’objectif principal de Trump est d’apaiser un peu des pays déchirés par la guerre et de permettre aux États-Unis d’en retirer leurs troupes, même si cela signifie maintenir des régimes tels que celui d’Assad au pouvoir et céder une grande influence là-bas à la Russie », a déclaré Rami Khouri, de l’Université américaine de Beyrouth, à MEE.
L’EI sera peut-être bouté hors de Mossoul, en Irak, au moment où Trump se verra remettre les clés de la Maison Blanche. Les forces d’Assad ont relancé le bombardement des quartiers rebelles à l’est d’Alep après les élections américaines du 8 novembre, les forces russes ont frappé des militants ailleurs en Syrie.
Assad qualifie aujourd’hui Trump d’« allié naturel » pour lutter contre les « terroristes ».
« Trump va clairement affirmer ce qu’il estime le mieux pour les États-Unis, indépendamment des conséquences au Moyen-Orient. Il ne peut se concentrer sur les défis américains qu’en mettant fin à l’héritage coûteux des guerres sans fin des États-Unis dans la région ces 35 dernières années », a ajouté Khouri.
Iran : trop enchevêtré pour Trump
Trump n’est pas un partisan de l’accord avec l’Iran, par lequel les États-Unis, la Russie et d’autres ont convenu de lever les sanctions imposées à Téhéran en échange de restrictions à son programme nucléaire. Il a promis de renégocier ou de renoncer à l’accord, l’une des réalisations-phare d’Obama.
Trump a qualifié l’accord sur le nucléaire de « catastrophe » et de « pire accord jamais négocié ». Bon nombre de républicains au Congrès sont d’accord, mais se désenchevêtrer de ce qui est peut-être l’accord de contrôle de l’armement le plus délicat de l’Histoire ne sera pas simple.
Si Trump abandonne cet accord, l’Iran ne sera plus lié par ses interdictions concernant l’enrichissement de l’uranium et d’autres travaux menant à la production de bombes. Il est peu probable que Moscou, Pékin et les autres partenaires de Washington imposent de nouveau des sanctions à Téhéran si l’accord tombe à l’eau.
La renégociation est également périlleuse. Le président iranien Hassan Rohani, dont le pragmatisme a rendu l’accord possible malgré les objections des extrémistes iraniens, fait face à des allégations selon lesquelles on lui a vendu un pétard mouillé car l’Iran n’a pas encore récolté la récompense des flux de trésorerie étrangers.
« Rohani, confronté à une droite hostile et à sa propre réélection en 2017, ne peut pas s’engager maintenant dans une telle négociation, qui marquerait la fin de sa carrière politique », a déclaré Hamid Zangeneh, un ancien universitaire de Widener University, à MEE.
« Sachant cela, Trump ne devrait pas abandonner l’accord avec l’Iran et attendre les élections iraniennes pour voir si Rohani subsiste. »
Cette semaine, Obama a mis en garde contre le démantèlement des accords, en disant : « Il devient plus difficile… d’annuler quelque chose qui fonctionne que d’annuler quelque chose qui ne fonctionne pas. » Ses responsables parlent de laisser derrière une « boîte à outils » de sanctions que Trump pourrait utiliser pour resserrer l’étau sur Téhéran.
« Trump ne devrait pas abandonner l’accord avec l’Iran et attendre les élections iraniennes pour voir si Rohani subsiste » – Hamid Zangeneh
Environ 76 experts ont signé un rapport de 45 pages du National Iranian American Council (NIAC) qui propose au prochain chef d’état-major un plan pour « s’appuyer sur » l’accord sur le nucléaire et « aider à stabiliser » cette région agitée.
« Si la priorité de Trump dans la région est la défaite de l’EI, il aura non seulement besoin de collaborer avec la Russie et l’Iran, mais devra également soutenir l’Iran afin d’éviter une détérioration des liens avec Téhéran qui affecterait inévitablement la lutte contre le groupe », a déclaré à MEE le président du NIAC, Trita Parsi.
« La voie beaucoup plus probable pour que Trump effiloche l’accord serait d’ajouter un risque politique pour toutes les sociétés occidentales envisageant l’entrée sur le marché iranien. Les entreprises auront alors tendance à éviter d’entrer en Iran afin d’échapper au coût et à l’embarras de voir leurs affaires sabotées par de nouvelles sanctions potentielles. »
Israël : certaines choses ne changent jamais
Les Arabes peuvent commencer à éprouver de la nostalgie pour les premiers stades de la campagne de Trump, quand le célèbre promoteur abandonna la stratégie républicaine en promettant d’être un négociateur « neutre » entre Israéliens et Palestiniens.
Ce fut de courte durée. En mars 2016, il est revenu sur ces mots lors de la conférence annuelle de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), évoquant un « lien indéfectible » entre les États-Unis et Israël.
Après les élections, Jason Greenblatt, coprésident du Comité consultatif israélien de la campagne Trump, a déclaré que son patron ne considérait pas la construction des colonies israéliennes comme un « obstacle à la paix » avec les Palestiniens.
Cela a marqué un écart par rapport aux administrations américaines successives – qu’elles soient démocrates ou républicaines –, qui ont réprimandé Israël pour la construction de colonies juives en Cisjordanie, affirmant que cela minait la solution à deux États désirée.
Les extrémistes israéliens sont sortis en force après la victoire de Trump. Le ministre de l’Éducation Naftali Bennett a salué sa victoire et a déclaré : « La victoire de Trump est une occasion pour Israël de désavouer immédiatement la notion d'un État palestinien en plein milieu du pays. »
D’autres ont appelé Trump à tenir bon sur son engagement de campagne de déplacer l’ambassade des États-Unis de son emplacement actuel à Tel Aviv pour Jérusalem.
« Trump devra faire face à une pression limitée dans l’immédiat pour traiter avec Israël, mais devra clarifier si les États-Unis soutiennent encore la solution à deux États », a déclaré Anthony Cordesman, ancien consultant de l’armée américaine et de l’OTAN.
« Cela ne signifie pas forcément qu’il y ait besoin d’action : les attentes et les probabilités de progrès réels en ce qui concerne les efforts de paix sont négligeables. Mais les tensions israélo-palestiniennes ont atteint le point où une décision publique quant à la future politique américaine est nécessaire. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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