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Maliki riposte après le rapport accablant sur Mossoul

Malgré les nombreuses allégations relatives à la mauvaise gestion de Maliki, il est peu probable que celui-ci soit traduit en justice, selon les observateurs

BAGDAD – L’avenir de l’ancien Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, a été un sujet brûlant à Bagdad et au-delà cette semaine, les rumeurs allant bon train sur le fait qu’il ne reviendrait pas de son voyage en Iran afin d’éviter les poursuites judiciaires pour sa responsabilité présumée dans la chute de Mossoul.

Cependant, des législateurs et des juristes ont expliqué à MEE que, malgré le battage médiatique, il y a peu de chances que Maliki soit poursuivi pour son rôle présumé dans la chute de Mossoul. L’ancien Premier ministre a lui-même défié les critiques en revenant de son voyage comme prévu.

Maliki a été contraint de démissionner en août dernier après que le groupe État islamique (EI) a conquis de vastes territoires irakiens en l’espace de quelques jours, s’emparant de la deuxième ville du pays, Mossoul, et saisissant des réserves d’armes de pointe de fabrication américaine.

Alors que les hommes politiques, les journalistes et les universitaires recherchent depuis longtemps les coupables de l’effondrement dramatique de l’armée irakienne en 2014, un récent rapport parlementaire constitue probablement la tentative de détermination des responsabilités la plus avancée et demande que des mesures soient prises au plus haut niveau du gouvernement.

Après plus de dix mois d’enquête, le rapport de la commission parlementaire de sécurité et de défense a conclu que de nombreux responsables locaux, nationaux et civils doivent être tenus pour responsables, ayant échoué à mettre en place toute forme de résistance réelle face à la menace que constitue le groupe EI.

Une copie du rapport, consulté par Middle East Eye, dévoile que « l’échelle systématique et importante » de la corruption administrative et financière constituait la principale raison de la chute de Mossoul – des accusations rejetées par Maliki.

Il indique également que Maliki, en tant que commandant en chef et Premier ministre à l’époque, se trouve en tête de la liste des accusés – qui comprend 35 fonctionnaires dont la plupart étaient des hauts responsables militaires pendant le gouvernement de Maliki, qui a pris ses fonctions en 2006.

Parmi les accusations contre Maliki figurent : nominer des commandants inefficaces et corrompus, négliger le renforcement des capacités de l’armée irakienne, ignorer la formation de l’armée et son armement qualitatif, et ne pas recenser les commandants défaitistes à Mossoul après la chute de la ville le 10 juin 2014. L’effondrement de l’armée irakienne à Mossoul est en outre lié à une série de catastrophes ultérieures, y compris le massacre de 1 600 cadets de l’armée de l’air irakienne au camp militaire de Speicher, l’asservissement de milliers de Yézidies, le meurtre de dizaines de milliers d’Irakiens et le déplacement de plus de trois millions d’autres.

Malgré cela, Maliki a été en mesure de conserver une grande influence en Irak, et a parfois réussi à contrecarrer le gouvernement de son successeur, Haïder al-Abadi. Après avoir quitté son poste de Premier ministre, il a été nommé comme l’un des trois vice-présidents d’Irak et il demeure le chef du parti Dawa et de la Coalition de l’État de droit, la plus grande coalition au parlement.

De nombreux commandants militaires, hauts magistrats et hauts responsables au sein du gouvernement Abadi sont encore fidèles à Maliki et ont choisi de rejeter ou d’ignorer les ordres d’Abadi depuis qu’il a pris ses fonctions en août dernier. Abadi a indiqué à plusieurs reprises que des fonctionnaires – qu’il n’a pas désignés par leur nom – cherchent à perturber ou retarder ses décisions.

La semaine dernière, cependant, il a renvoyé le secrétaire général du gouvernement, Hamid Khalaf, qui est connu par les responsables irakiens comme étant l’un des hommes de Maliki. Il est difficile de savoir si Medhat al-Mahmoud, le chef de la Cour suprême irakienne, qui est également considéré comme l’un des principaux partisans de Maliki, sera le prochain.

Les manifestations anti-corruption actuelles ont réclamé son renvoi, mais le camp Maliki a jusqu’ici réussi à tenir le coup.

Alors que les rivaux de Maliki ont essayé de profiter de son absence ces derniers jours en encourageant les rumeurs sur son départ définitif sur les réseaux sociaux, Maliki a surpris les critiques en revenant à Bagdad mercredi soir.

« Élimination politique »

Selon Kadhim al-Shimari, législateur et membre de la commission juridique parlementaire, le rapport est accablant, mais pas juridiquement contraignant.

« Légalement, ces recommandations ne sont pas contraignantes pour le pouvoir judiciaire. La commission a le droit d’accuser n’importe quelle personne sur la base de ses enquêtes, mais n’a pas le droit de la déclarer coupable », a expliqué al-Shimari à MEE.

« D’après le rapport du parlement, Maliki est [un] délinquant mais il est ni condamné ni accusé jusqu’à ce que le système judiciaire délivre un mandat d’arrêt contre lui. »

La divulgation des résultats de l’enquête a suscité des désaccords entre les hémisphères politiques en Irak, qui se partagent les principaux postes militaires et civils du gouvernement depuis 2004.

Les membres de la Coalition de l’État de droit de Maliki ont déclaré que les membres rivaux de la commission d’enquête ciblaient leur leader et visaient à l’éliminer politiquement. Ils ont menacé de démissionner du parlement si la commission ne retirait pas le nom de Maliki de la liste des accusés, ce que la commission a finalement refusé de faire.

« La commission n’a pas accusé ou innocenté quiconque, mais certains membres de la commission ont encouragé ces accusations... c’est illégal et cela cible clairement Maliki », a déclaré par téléphone à MEE Ali al-Maliki, neveu de l’ancien Premier ministre et législateur appartenant à la Coalition de l’État de droit.

« Les membres de la commission sont des hommes politiques et la commission n’a aucune considération juridique ou judiciaire, nous avons donc rejeté cette commission par le parlement. »

« Tout ce qui se passe, est un ciblage moral et politique de [l’ancien Premier ministre] Maliki », a-t-il ajouté.

Lundi, le parlement irakien a envoyé des copies du rapport au Conseil de la magistrature, au Bureau du procureur et à la Commission de l’intégrité. Il n’a pas discuté de ses conclusions pour éviter de susciter davantage de remous entre les blocs parlementaires, les députés expérimentés suggérant que le rapport sera bientôt enterré.

« Personne ne s’attend à ce que Maliki soit touché sur la base de ce rapport. Le Conseil de la magistrature va simplement ignorer ce rapport ou gagner du temps en temporisant », a confié un législateur chiite sous couvert d’anonymat à MEE.

« En fait, personne ne veut poursuivre Maliki, surtout après qu’il a menacé d’entraîner tout le monde avec lui et de révéler les dossiers de corruption qu’il possédait contre la plupart des hommes politiques qui participent au processus politique depuis 2006. »

Quelques minutes après son retour à Bagdad, Maliki s’est empressé d’inverser la tendance, menaçant de révéler des fichiers qu’il a rassemblés au cours de ses deux mandats comme Premier ministre et qui, selon lui, prouvent l’implication de hauts fonctionnaires, de députés, de chefs des blocs et de clercs dans des affaires de corruption.

« Nous allons divulguer les noms de tous les corrompus... nous n’avons plus rien à perdre et nous allons les rendre publics », a déclaré Maliki, en parlant aux membres de sa coalition venus l’accueillir à l’aéroport.

Le rapport arrive au beau milieu d’une réforme entreprise par le successeur de Maliki, Haïder al-Abadi, qui, plus tôt ce mois-ci, s’est engagé dans une lutte contre la corruption visant à apaiser les protestations croissantes en allégeant notamment le lourd système bureaucratique du pays.

Abadi a appelé à supprimer les postes de vice-présidents dans le cadre de son plan réformiste, lequel, espère-t-il, contribuera à améliorer les services de base et à mettre un terme à la corruption financière et administrative dans les différents ministères irakiens.

Selon les législateurs, les pressions exercées afin de juger Maliki, une semaine à peine après qu’Abadi a demandé la suppression de son poste, sont clairement destinées à limiter son influence, mais ne conduiront pas à des poursuites de Maliki, surtout après ses menaces à l’aéroport.

« Il [Maliki] est très courageux. Il est revenu [à Bagdad] pour faire face à tout le monde », a affirmé le législateur chiite. « Nos informations suggèrent qu’il rassemble ses partisans et qu’il va leur demander de descendre dans les rues vendredi prochain pour nous montrer ce qu’il peut faire. »

« Maintenant, tous les hommes politiques s’inquiètent et se demandent quels fichiers il va utiliser et contre qui », a-t-il déclaré.

Photo : des femmes irakiennes brandissent des pancartes sur lesquelles on peut lire « On a choisi [Nouri] al-Maliki » lors d’un rassemblement de soutien au Premier ministre sortant le 13 août 2014 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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