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Le retrait politique de Moqtada al-Sadr plonge l’Irak dans le chaos

En annonçant son retrait de la vie politique, le leader chiite Moqtada al-Sadr a fait réagir ses partisans qui ont envahi par milliers le palais de la République, où siège le Conseil des ministres à Bagdad. Après 24 heures de violences, le calme est revenu. Mais les blocages politiques persistent
Des Irakiens assistent aux funérailles de partisans du dirigeant chiite Moqtada al-Sadr, tués lors d’affrontements dans la Zone verte de Bagdad, le 30 août 2022 (AFP/Ali Najfi)

« Les Irakiens sont habitués aux guerres et aux combats. Ce que je ressens maintenant, c’est plus que de la peur. C’est une véritable amertume. » Ali Ahmed, pharmacien, témoin des combats qui ont éclaté à Bagdad, en Irak, lundi et mardi, a du mal à cacher sa colère. 

« Pourquoi tous ces combats ? Tout le monde est corrompu. Des innocents sont victimes et paient le prix à chaque fois. N’y a-t-il pas une personne sensée pour arrêter cette hémorragie ? », demande-t-il, interrogé par Middle East Eye.

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En 24 heures, ces combats ont fait plusieurs dizaines de morts (au moins 30 selon les premier sbilans) et plusieurs centaines de blessés entre les partisans de Moqtada al-Sadr, l’armée et les hommes du Hachd al-Chaabi, ex-paramilitaires pro-Iran intégrées aux forces régulières.

Les tirs d’armes automatiques et de roquettes RPG résonnaient mardi matin dans tout Bagdad en provenance de la Zone verte.

Selon un bilan fourni communiqué par Al-Jazeera, au moins 30 personnes auraient été tuées par balles depuis lundi dans tout le pays. 

Les violences ont éclaté après l’annonce surprise lundi par Moqtada al-Sadr de son retrait de la vie politique, dont il est pourtant un acteur incontournable.

Traduction : « Vidéo des affrontements ce soir à Bagdad montrant un camion avec une grande mitrailleuse à trépied tirant sur des forces rivales. »

Traduction : « #ALERTE Attaque au missile sur la Zone verte. »

Des milliers de ses partisans ont aussitôt envahi le palais de la République, où siège le Conseil des ministres dans la Zone verte. Les forces de l’ordre ont utilisé des grenades lacrymogènes pour les en chasser.

Des témoins ont fait alors état d’échanges de tirs aux entrées de la Zone verte entre sadristes et partisans du Cadre de coordination, alliance rivale de Moqtada al-Sadr qui regroupe des groupes pro-Iran dont celui du Hachd. 

Traduction : « La milice Saraya al-Salam, affiliée à Sadr, montrée avec un RPG [lance-grenades antichar], tirant sur des milices soutenues par l’Iran à l’intérieur de la Zone verte de Bagdad alors que les affrontements se sont poursuivis pendant plusieurs heures dans la capitale irakienne. »

Des scènes de chaos

Selon une source sécuritaire, Saraya al-Salam (les Brigades de la paix), un groupe armé aux ordres de Moqtada al-Sadr, a visé la Zone verte depuis l’extérieur. À l’intérieur se trouvaient des forces spéciales de l’armée et une unité du Hachd al-Chaabi qui répliquaient.

Un commandant de la faction armée Saraya al-Salam de Sadr rapporte à MEE que des manifestants sadristes ont été pris au piège dans un feu croisé dans la zone verte.

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« Nous avons des centaines de manifestants piégés à l’intérieur. Ces personnes n’ont pas quitté leurs positions et ont été prises entre les tirs des deux côtés », explique-t-il. « Nous essayons de les sécuriser. Nous ne nous arrêterons pas tant que nos adversaires ne se rendront pas. Ils refusent de se rendre et nous non plus. »

L’avocate Marwa Abdel Ridha se dit désespérée. « J’ai passé les dernières heures à pleurer. Toute personne ayant une conscience serait attristée par le meurtre de ces jeunes hommes », confie-t-elle à MEE en s’insureant contre le fait que les Irakiens sont instrumentalisés dans des batailles sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. « Je ne sais pas quand nous nous reposerons et quand ce tourment prendra fin. »

Le chaos a aussi gagné lundi d’autres villes d’Irak, où des sadristes ont envahi le siège du gouvernorat à Nassiriya (Sud) et occupé le siège du gouvernorat de Babylone (Centre) à Hilla.

Le Cadre de coordination a condamné une « attaque contre les institutions de l’État » mais appelé les sadristes au « dialogue ».

Réactions internationales

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré suivre « avec préoccupation » la situation en Irak, et a appelé toutes les parties au « calme et à la retenue », ainsi qu’à « prendre des mesures immédiates pour désamorcer la situation et éviter toute violence ».

« Le secrétaire général exhorte vivement toutes les parties et tous les acteurs à dépasser leurs divergences et à s’engager, sans plus tarder, dans un dialogue pacifique et inclusif sur une voie constructive », a-t-il déclaré dans un communiqué.

L’Union européenne (UE) a également exhorté toutes les parties prenantes à « faire preuve de la plus grande retenue ».

« L’Union européenne réitère son soutien indéfectible à la sécurité, à la stabilité et à la souveraineté de l’Irak », a déclaré l’instance.

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L’ambassade américaine en Irak a déploré les troubles dans le pays et a déclaré qu’il était « dérangeant » que les institutions irakiennes ne soient pas autorisées à fonctionner. « La sécurité, la stabilité et la souveraineté de l’Irak ne doivent pas être mises en danger. L’heure est au dialogue pour résoudre les différends, et non par la confrontation », a déclaré lundi l’ambassade dans un communiqué.

L’Iran, très concerné par l’escalade en cours, a fermé ses frontières avec l’Irak et a exhorté ses citoyens à éviter de s’y rendre, a déclaré mardi un haut responsable.

Une annonce aux nombreuses conséquences, puisque des millions d’Iraniens se rendent chaque année dans la ville irakienne de Kerbala pour le rituel d’Arbaeen, qui marque la fin d’une période de deuil de 40 jours pour le petit-fils du prophète Mohammed, l’imam Hussein, et qui se déroulera les 16 et 17 septembre.

La télévision d’État a déclaré que l’Iran avait interrompu tous les vols vers l’Irak « jusqu’à nouvel ordre en raison des troubles en cours ».

La compagnie émiratie Emirates a annoncé l’arrêt temporaire de ses liaisons avec Bagdad.

Massoud Barzani, l’ancien président de la région autonome kurde d’Irak, a exhorté toutes les parties « à ne pas recourir au langage des armes et de la violence pour résoudre les conflits ».

« Nous suivons avec inquiétude les récents événements et développements en Irak », a-t-il déclaré dans un communiqué, tel que rapporté par l’agence de presse irakienne, INA.

Barzani a également appelé toutes les parties à « réfléchir à des solutions qui font du bien au peuple irakien et prennent en considération l’intérêt général du peuple et du pays ».

Sadr demande à ses soutiens de quitter la Zone verte

Lors d’une conférence de presse tenue mardi en milieu de journée depuis la ville de Nadjaf, Moqtada al-Sadr a donné à ses combattants « 60 minutes » pour se retirer de la Zone verte, faute de quoi il a menacé de les « désavouer », ajoutant qu’il interdisait toute manifestation ou rassemblement. 

« Je présente mes excuses au peuple irakien, seul affecté par les événements », a-t-il ajouté. « Ce n’est [plus] une révolution car elle a perdu son caractère pacifique […], le déversement de sang irakien est interdit. »

Dans un communiqué, l’armée a indiqué lever le couvre-feu après l’intervention de Moqtada al-Sadr. Immédiatement après son allocution, des dizaines de des partisans étaient aperçus en train de battre en retraite à Bagdad. À Bassorah, le correspondant de MEE a assuré que le calme était revenu.

Des membres de Saraya al-Salam (Brigade de la paix), la branche militaire affiliée au religieux chiite Moqtada al-Sadr, en train de se retirer de la Zone verte de Bagdad le 30 août 2022 (AFP/Ahmad Al-rubaye)
Des membres de Saraya al-Salam, la branche militaire affiliée au religieux chiite Moqtada al-Sadr, en train de se retirer de la Zone verte de Bagdad le 30 août 2022 (AFP/Ahmad Al-rubaye)

L’Irak est dans l’impasse politique depuis les élections législatives d’octobre 2021 remportées par Moqtada al-Sadr. 

Les barons de la politique ne parviennent toujours pas à s’accorder sur le nom d’un nouveau Premier ministre. L’Irak n’a donc ni nouveau gouvernement ni nouveau président depuis les législatives.

Pour sortir de la crise, Moqtada al-Sadr et le Cadre de coordination s’accordent sur un point : il faut de nouvelles élections. Mais si le Premier insiste pour dissoudre le Parlement avant tout, ses rivaux veulent d’abord nommer un gouvernement.

Nul doute que cette explosion de violences, dans un tel contexte, va peser lourdement sur l’avenir politique du pays. Une certitude cependant, les divisions de la maison chiite irakienne ont atteint le point de non-retour.

Traduit partiellement de l’anglais (original) et actualisé.

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