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Retour à Molenbeek : quelles solutions contre la radicalisation ?

Pourquoi de nombreux Belges partis combattre en Syrie sont-ils originaires de cette commune bruxelloise ? Comment empêcher ce phénomène ?
BRUXELLES – La Belgique est le pays européen qui, ramené à sa population, compte le plus de combattants en Syrie. Parmi eux, plus de cent ont été répertoriés comme venant de Bruxelles, dont près d’un tiers pour la seule commune de Molenbeek, selon le chercheur en islamologie Pietr Van Ostaeyen. Deux des auteurs des attentats de Paris du 13 novembre ont habité cette commune. 

De là à en faire la capitale européenne du radicalisme, une no-go zone, plaque tournante du djihadisme, il n’y a qu’un pas, que certains médias internationaux n’hésitent pas à franchir...
 
Des habitants qui craignent l’amalgame
 
À Molenbeek-Saint-Jean, « les personnes concernées par ces filières terroristes ou djihadistes sont une trentaine de personnes » pour une commune qui compte plus de 30 000 jeunes de moins de 30 ans, tempère Sarah Turine, échevine de la ville chargée de la jeunesse. À l’occasion du rassemblement organisé en hommage aux victimes des attentats meurtriers de Paris par des Molenbeekois mercredi 18 novembre, ces derniers souhaitaient « exprimer leur crainte de voir les amalgames tomber sur leur commune et la société se diviser encore davantage », indique-t-elle à Middle East Eye.
 
Des amalgames qui s’ajoutent aux difficultés sociales déjà lourdes : « Plus de 40 % des jeunes sont au chômage et galèrent pour trouver un boulot », admet l’élue locale. Mais le contexte socio-économique est loin de suffire à expliquer le départ de jeunes de cette commune vers la Syrie. « Il y a des jeunes qui avaient un travail et qui sont partis », précise-t-elle.  
 
La thèse qui « explique leur départ par les structures économiques ou par des processus d’inégalités sociales » est à relativiser également pour Mohssin el-Ghabri, politologue et co-auteur de l’étude « Qui sont ces Belges partis combattre en Syrie ». « Plusieurs de ces jeunes-là disposaient d’un revenu important, d’opportunités économiques, ou d’un emploi », appuie le chercheur pour qui « les facteurs économiques ne sont pas déterminants pour cette génération de djihadistes ». 
 
L’identitaire, facteur déterminant du basculement dans le terrorisme
 
Si « chaque trajectoire est singulière », deux types de facteurs ont été identifiés par le politologue. « La capacité de partir » est plus forte en Belgique qu’ailleurs du fait de la « proximité géographique de la Belgique » avec les zones de conflit et de « l’efficacité des filières » de recrutement djihadistes. Probablement plus déterminantes, « l’envie de partir de Belgique et la radicalité y sont plus importantes qu’ailleurs ».
 
Une envie de partir et une radicalité qui plongent leurs racines dans un malaise identitaire, selon le chercheur : « Il y a chez tous ces jeunes-là des ruptures identitaires qui se sont manifestées dans de la violence. Une violence qui, dans un second temps, s’est habillée d’arguments religieux ». Au point que, pour expliquer cette violence, Mohssin el-Ghabri ne juge « pas utile d’ouvrir le Coran ni la biographie du Prophète » mais « préférable d’analyser d’un point de vue sociologique plus que théologique ces jeunes qui se radicalisent avant de se ‘’religioniser’’ ». 
 
Une approche à contre-courant de ceux qui pointent du doigt le salafisme. « Le rigorisme en tant que tel, le salafisme quiétiste, qui est un mode de vie rigoureux déconnecté du politique, n’est pas la rampe d’accès au djihadisme », explique Mohssin el-Ghabri à MEE. En pratique, « ce n’est pas parce qu’un jeune a une longue barbe, ou un pantalon court, qu’il est sur la voie de l’action violente ». 
 
« Ils sont d’abord radicaux et puis religieux, et non l’inverse », conclut-il. 
 
Sarah Turine, l’élue de Molenbeek en charge de la jeunesse, le confirme : « La stigmatisation et la discrimination régulières dont beaucoup de jeunes sont victimes » sont des arguments « souvent utilisés par les recteurs djihadistes ». Cette élue également diplômée en islamologie en est elle aussi convaincue, les motivations religieuses sont « très minimes par rapport aux enjeux plus identitaires ».  
 
La nécessité de « réponses intelligentes et respectueuses des libertés » 
 
Le 18 novembre, alors que la ville de Bruxelles était quasiment à l’arrêt en raison de l’alerte de niveau 4 annoncée par les autorités, le Premier ministre belge Charles Michel a proposé dix-huit mesures gouvernementales pour garantir la sécurité et lutter contre le terrorisme. Parmi elles, la fermeture des « mosquées djihadistes ». 
 
Le politologue Mohssin el-Ghabri rappelle pourtant que « l’essentiel des jeunes partis combattre en Syrie entre 2012 et 2013 sont issus de Sharia4Belgium, une organisation djihadiste belge dissoute le 7 octobre 2012. Or, cette dernière n’avait pas accès aux mosquées. Au contraire, elle était même rejetée hors des mosquées ». Il doute même « qu’il y ait des mosquées djihadistes, dans lesquelles on appellerait au djihad armé et offensif ». 
 
« Il est très peu probable que le recrutement où l’incitation au départ se fasse dans les mosquées car elles sont surveillées », explique ce chercheur de terrain. Lui prône plutôt « des politiques sécuritaires qui s’attaquent vraiment au problème et répondent à l’urgence », et souligne la nécessité de « penser des réponses intelligentes, proportionnées et respectueuses des libertés ». 
 
« Imaginer des propositions qui réduiraient les libertés, ce serait donner raison à ceux qui veulent s’attaquer à notre modèle et à nos valeurs démocratiques », avertit le politologue.
 
La prévention pour mieux « résister aux sirènes du djihadisme »
 
Face à la radicalisation religieuse, la réponse ne doit pas être « sécuritaire mais sociale et culturelle », affirme Mohssin el-Ghabri. Sa recommandation est de « donner les moyens aux enseignants, travailleurs sociaux, éducateurs de rue, psychologues et aumôniers pour permettre à cette jeunesse de se sentir bien dans une identité qu’elle essaie de se bricoler avec toutes ses appartenances ».
 
Même son de cloche du côté de l’élue bruxelloise, pour qui redonner aux jeunes musulmans « confiance dans les institutions et se dire qu’ils ont une place dans la société » est une priorité.  Pour ce faire, il convient « de mener un travail de prévention générale pour donner la parole aux jeunes et construire des projets valorisants avec eux ».
 
« Pas de débats tabous », prévient Sarah Turine. « La Syrie, la religion et les filières djihadistes » doivent être au centre des débats « pour que les jeunes puissent avoir des grilles de lecture différentes et pour les aider à résister aux sirènes du djihadisme ».
 
 
Photo : les blindés de l’armée belge en patrouille dans des rues de Bruxelles le 22 novembre 2015 (AA).
 
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