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Yémen : la crainte d'une guerre civile

Le Yémen, « au bord » la guerre civile depuis des années, est aujourd'hui dans une situation qui ressemble réellement à une guerre civile, et qui ne semble pas devoir s’améliorer dans l’immédiat
Par MEE

Aux environs de midi ce vendredi, trois hommes portant des ceintures d'explosifs sont entrés dans des mosquées de Sanaa, la capitale du Yémen, et se sont fait exploser. L'ampleur des explosions était relativement faible, mais la proximité entre les assaillants et ceux qui les entouraient (c'était le moment de la prière du vendredi) les a rendues dévastatrices : cent trente sept personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été blessées. A la nuit tombée, les hôpitaux locaux demandaient des dons de sang tandis que de la fumée s’élevait encore au-dessus de la ville.

A l'instar des survivants qui fouillent dans les décombres des mosquées détruites à Sanaa ce vendredi, les Yéménites essayent aujourd'hui de donner un sens aux troubles qui gangrènent de plus en plus leur pays, quatre ans après le soulèvement populaire qui a renversé l'ancien homme fort du Yémen, Ali Abdallah Saleh.

Les militants d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, qui exploitent la colère contre l'Occident exacerbée par les frappes de drones américains, ont orchestré des attentats terroristes similaires dans la capitale. Ceux de vendredi semblaient toutefois différents. Parmi les victimes, il y avait des médecins et des enfants. Même pour certains Yéménites endurcis par des années de violence, cet attentat était unique de par sa cruauté.

Depuis 2011, les diplomates et les observateurs ont signalé des « fissures » dans la transition au Yémen et mis en garde contre les « éléments perturbateurs » et les « rivalités politiques » qui freinent les efforts fournis par l'ONU pour mener le pays vers la démocratie. Ces derniers jours, ces fissures semblent s'être ouvertes davantage pour devenir des abîmes.

Parmi les forces qui se disputent aujourd'hui le pouvoir au Yémen figurent un ancien président très influent, un président en exercice paralysé et impuissant sur le plan politique, un parti islamiste sunnite traditionnel, une milice chiite soutenue par l'Iran, une ramification d'al-Qaïda et un mouvement séparatiste militant pour l'indépendance du sud.

Depuis la chute de Saleh en 2011, ces forces se sont impliquées dans un jeu de renversements d'alliances et de règlements de comptes et se bousculent pour gagner le pouvoir et le soutien étranger, tout en adoptant des positions de plus en plus dures et intransigeantes.

Jusqu'au milieu de l'année dernière environ, cette bagarre pour le pouvoir s'est largement jouée sur le terrain politique, sous le vernis de l'accord de transition négocié par l'ONU. Mais les événements récents (la prise de Sanaa en septembre par les Houthis, des combattants chiites zaydites, et la fuite en février du président Abd Rabbo Mansour Hadi de Sanaa vers Aden) ont changé la dynamique. Ce n'est plus la politique, mais la violence qui est désormais le moyen d'exercer une pression et d'imposer des exigences face aux adversaires.

« L'année dernière, nous parlions d'élections, d'amendements constitutionnels, de dialogue national et de réconciliation... », m'a expliqué un haut responsable yéménite ce vendredi. « Maintenant, je n'entends parler que d'un antagonisme entre sunnites et chiites, de guerres par procuration, de luttes intestines armées et de la résurgence de l'Etat profond. »

Derrière le conflit qui s'aggrave se trouve la rivalité entre Saleh et Hadi, deux dirigeants qui ont tous deux bénéficié du soutien occidental et qui ont tous deux été renversés après que des mouvements soutenus par le peuple se sont élevés contre eux. Hadi, qui a remplacé Saleh en 2011 après avoir été son vice-président pendant plusieurs années, s'est replié dans la ville portuaire d'Aden, le bastion d'un mouvement séparatiste de longue date, où il tente de rallier des appuis par le biais de comités populaires afin d'éjecter des généraux de l'armée encore fidèles à Saleh.

Bien qu’Hadi ait dénoncé les Houthis comme étant des putschistes et semble jouir du soutien symbolique des principaux alliés régionaux du Yémen que sont l'Arabie saoudite et d'autres Etats du Golfe, ses chances de bâtir une base solide à Aden, où de nombreux séparatistes le méprisent, semblent minces.

Comme de nombreux Yéménites, Hadi est convaincu que Saleh, qui est toujours à Sanaa, est de mèche avec les Houthis et complote un retour. (Dans un communiqué diffusé ce jeudi, Hadi a décrit le raid d'un avion de combat contre le palais présidentiel à Aden comme une « tentative de coup d'Etat » soutenue par le régime précédent.) Toutefois, alors que les Houthis marchent vers le sud et s'emparent de villes et de villages, ses déclarations semblent de plus en plus hors de propos.

Les craintes suscitées par les Houthis

Les attentats à la bombe de ce vendredi, qui ont visé des mosquées de Sanaa souvent fréquentées par les partisans des Houthis, ont braqué les projecteurs sur les nouveaux dirigeants de facto du pays.

Alors que les Houthis ont prouvé qu'ils étaient des tacticiens militaires astucieux (pillages d'armes, prise de bâtiments gouvernementaux et de bastions d'al-Qaïda), les attentats perpétrés ce vendredi soulèvent des questions quant à leur capacité à assurer la sécurité et à faire respecter la primauté du droit à Sanaa et dans les autres zones qu'ils contrôlent.

Pour de nombreux Yéménites ordinaires fatigués par la sécheresse, les coupures d'électricité et les querelles politiques qui ont émergé au lendemain des soulèvements de 2011, l'ascension au pouvoir des Houthis et leurs appels à des idéaux révolutionnaires (fin de la corruption et de l'influence occidentale) indiquent seulement une recrudescence des perturbations et du chaos. L'organisation d'une manifestation devant le palais présidentiel la semaine dernière pour appeler le fils d'Ali Abdallah Saleh, Ahmed Ali, à se porter candidat à la présidence, peut refléter et indiquer le désir croissant d'un retour à la « normalité » exprimé par certains.

Alors que les Houthis affirment que leur programme est réformiste, leurs adversaires les accusent d'essayer d'établir une théocratie chiite et d'être financés par le gouvernement iranien, qui souhaiterait à tout prix ouvrir un nouveau « poumon chiite » au Moyen-Orient.

Quelles que soient les intentions des Houthis, leur expansion récente a lancé une nouvelle dynamique inquiétante dans laquelle un conflit sectaire éclate désormais à travers le pays.

« On entend aujourd'hui dans la rue, dans le bus, les gens parler de l'antagonisme entre sunnites et chiites, entre l'Arabie saoudite et l'Iran », a commenté Mohammed al-Kibsi, un entraîneur de tennis âgé de trente-deux ans, fils d'un éminent politicien. « Je ne pense pas que le Yémen soit sur le point de se déchirer comme l'Irak, mais il y a bel et bien une fissure dans la société. Si les extrémistes continuent de l'exploiter, je crains que cette fissure ne s'agrandisse. »


Légende photo : un enfant yéménite se tient près d'un mur en ruines de la mosquée al-Hashoush, dans le quartier d'al-Jaraf à Sanaa (Yémen), le 21 mars 2015 (AA).

Traduction de l'anglais (original).

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