Liban : le centenaire de la division
Le 1er septembre 1920, le général Henri Joseph Eugène Gouraud, représentant de l’autorité mandataire française en Syrie, proclame la création du Grand Liban.
Les récente visites d’Emmanuel Macron au Liban et la promesse d’aide française après l’explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020 ravivent la nostalgie de certains Libanais pour le mandat français. Retour sur un siècle de division au pays du Cèdre.
À la suite des accords de Sykes-Picot en 1916, la France et la Grande-Bretagne se partagent les territoires d’un Empire ottoman déliquescent. Malgré les promesses d’indépendance faites aux Arabes, les deux puissances coloniales administrent le Moyen-Orient. Paris hérite de la Syrie et du Liban, alors que Londres gouverne la Jordanie, l’Irak et la Palestine.
Rapidement, la France fait face à une vive opposition de la part de l’émir Fayçal, alors roi de Syrie. Ce dernier veut créer un État arabe unifié d’Alep à Aden. Défaites le 24 juillet 1920 à la bataille de Khan Mayssaloun au Sud-Liban, les troupes arabes sont contraintes de déposer les armes. Cependant, la majorité de la population est contre la présence française au Levant.
Au regard de cette situation, les autorités françaises procèdent à une régionalisation des communautés, à l’origine du confessionnalisme actuel.
La volonté de création du Grand Liban en 1920 est consubstantielle avec l’idée de division territoriale de la Syrie. Or, ce projet peine à fédérer toutes les communautés libanaises. Les musulmans revendiquent leur attache à une nation arabe unifiée sous la houlette de la Syrie. De leur côté, les chrétiens sont divisés quant à leur rapport avec les autorités françaises.
Paris privilégie la majorité chrétienne maronite, dont les liens avec la France remontent à l’époque de Saint Louis, et ce au détriment des musulmans. En effet, comme le stipule la Constitution libanaise de 1926, le président de la République doit être maronite. Cette confessionnalisation des institutions va régir la vie politique du Liban.
Peu à peu, les chrétiens se divisent sur le sort du pays. Antoine Saadé, chrétien orthodoxe, fonde en 1932 le Parti social nationaliste syrien (PSNS) et préconise l’union avec la Syrie. Le PSNS s’oppose militairement aux Kataëb (les phalanges), parti fondé en 1936 par Pierre Gemayel qui prône la création d’un Liban chrétien.
Quant à eux, les musulmans sont moins politisés. La bourgeoisie sunnite de Beyrouth s’accommode aux autorités françaises, tandis que les couches populaires veulent leur rattachement à la Syrie. Les chiites, marginalisés politiquement et économiquement, vivent reculés dans les montagnes du sud du pays.
À la veille de l’indépendance du Liban le 22 novembre 1943, le paysage politique est morcelé. Toutes les communautés souhaitent l’indépendance mais se divisent sur les modalités.
Afin d’entériner les clivages communautaires, les principaux dirigeants s’entendent en 1943 sur un pacte national qui scelle la coexistence islamo-chrétienne, l’arabité du Liban ainsi que les différentes prérogatives politiques et juridiques des communautés.
Ce pacte se base sur le dernier recensement officiel de 1932 qui dénombre une majorité chrétienne représentant 51,2 % de la population. Depuis cette date, il n’y a pas eu de nouveau recensement officiel.
Une division prévisible
Soumis aux soubresauts régionaux, le Liban participe brièvement à la première guerre contre l’État d’Israël en 1948. Très vite, l’idéologie panarabe de Gamal Abdel Nasser séduit une partie de la population.
Cette dernière revendique le rattachement du Liban à la jeune République arabe unie (1958-1961). Des affrontements ont lieu entre partisans panarabes et partisans de l’indépendance du Liban. L’intervention américaine à la demande du président libanais en 1958 met fin aux troubles internes.
De surcroît, la passivité et la neutralité officielle face au conflit israélo-arabe entraînent le Liban dans une division prévisible. Au lendemain des défaites arabes contre Israël, des réfugiés palestiniens fuient vers le Liban.
Ils constituent peu à peu un État dans l’État. La vie politique s’embrase. « La Suisse du Moyen-Orient » sombre dans les affres d’une guerre aux multiples facettes en 1975. Des milices pro-palestiniennes combattent des milices chrétiennes. Puis, dès 1976, des partis demandent l’intervention de la Syrie. Le président syrien Hafez al-Assad profite de cette instabilité pour asseoir son projet de Grande Syrie.
Durant la guerre, des alliances mouvantes et hétérogènes se font et se défont. L’occupation israélienne du Sud-Liban jusqu’à Beyrouth en 1982 accentue davantage la division. La milice chiite du Hezbollah est créée en réaction à cette intervention.
Cette dernière lutte contre les troupes israéliennes présentes dans le pays. Néanmoins, les différentes forces chiites vont s’affronter par milices interposées entre 1987 et 1989. La division du Liban est consommée.
Malgré la signature, le 22 octobre 1989, des accords de Taëf qui mettent fin à la guerre civile libanaise, la société est plus que jamais fragmentée. Les stigmates de la guerre sont visibles et codifient le social et le politique du pays.
Au lendemain de la guerre civile, la Syrie parachève sa mainmise sur le territoire libanais. Damas monopolise les débats. La société se scinde en deux parties bien distinctes, pro ou anti Syrie.
Il faut attendre le retrait des troupes syriennes en 2005 pour que le pays connaisse une relative unité. Or, très vite, la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah ravive les divisions.
Bien qu’opposée majoritairement à Israël, une partie de la population reproche au Hezbollah de ne pas avoir rendu les armes à l’instar des autres milices, comme l’avaient stipulé les accords de Taëf.
Une partie de l’opinion accuse le parti chiite d’entraîner le Liban dans le conflit et d’être à la solde des intérêts iraniens. Peu à peu, le Liban se mue en caisse de résonnance des instabilités régionales
Ainsi, deux blocs parlementaires polarisent la vie politique du Liban. On retrouve l’Alliance du 14-Mars, qui regroupe le parti des Kataëb, les Forces libanaises de Samir Geagea, le Courant du futur de Saad Hariri et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt.
Cette alliance s’oppose aux partis dits du 8-Mars, rassemblant le Hezbollah de Hassan Nasrallah, Amal de Nabih Berri et le Courant patriotique libre de Michel Aoun.
Divisés sur le conflit syrien depuis 2011, les dirigeants libanais peinent à cacher leur neutralité. L’intervention du Hezbollah aux côtés des troupes de Bachar al-Assad cristallise les débats.
Une partie de l’opinion accuse le parti chiite d’entraîner le Liban dans le conflit et d’être à la solde des intérêts iraniens. Peu à peu, le Liban se mue en caisse de résonnance des instabilités régionales.
La guerre par procuration entre l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite se joue également au Liban. Les pétromonarchies du Golfe et les États-Unis soutiennent et financent les partis du 14-Mars pour empêcher la mainmise du Hezbollah sur le pays.
Enfin, lors des manifestations qui ont éclaté en octobre 2019 dénonçant la corruption généralisée, les scissions politiques traditionnelles se sont renforcées.
L’alliance du 14-Mars soutient la « révolution » et essaye de récupérer la grogne populaire, alors que celle du 8-Mars se veut garante des institutions libanaises.
Le souvenir douloureux de la guerre civile hante tous les citoyens du pays. Or, compte tenu de l’absence de changement profond et dans le sillon de l’explosion qui a dévasté Beyrouth, il est à craindre une recrudescence de la violence, un vide politique ainsi que des ingérences étrangères.
Une chose est sûre, le Liban, « ce pays message », s’enlise dans une crise dont les causes remontent à l’époque de sa création.
Le 1er septembre 2020 aurait pourtant dû être un motif de joie et de célébration pour tous les Libanais.
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