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Des élections palestiniennes imminentes ? N’y comptez pas

Tous les partis semblent se préparer pour le premier scrutin dans les territoires palestiniens depuis des années, mais les analystes estiment qu’il s’agit probablement de beaucoup de bruit pour rien
Un employé de la commission électorale note le décompte des scrutins dans un bureau de vote de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 25 janvier 2006 (AFP)

Après des semaines de discussions et de déclarations, la Commission électorale centrale (CEC) a annoncé mercredi dernier que les factions politiques palestiniennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avaient accepté de procéder à des élections présidentielles et législatives.

Mais de telles discussions ont été évoquées un nombre incalculable de fois, pour toujours s’estomper au bout de quelques jours.

L’annonce de la semaine dernière pourrait connaître le même sort, si le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas ne publie pas de décret officiel fixant le calendrier de ces élections.

Les dernières élections palestiniennes ont eu lieu en 2006, lorsque le mouvement Hamas, qui gouverne la bande de Gaza, a remporté la majorité des 132 sièges au Parlement.

Le mois dernier, Abbas, qui est également le chef du Fatah, a invité son rival le Hamas à tenir des élections lors de son discours à l’Assemblée générale de l’ONU. Rien de remarquable dans son geste, puisqu’il avait déjà lancé des invitations similaires lors de nombreux discours et conférences de presse par le passé, sans que cela ne dépassât jamais le stade des mots.

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Cependant, le 7 octobre, il a chargé le chef de la CEC, Hanna Nasser, d’entamer des discussions avec les factions palestiniennes pour évoquer la possibilité d’organiser des élections.

Apparemment, celles-ci sont tombées d’accord puisque la CEC a affirmé dans un communiqué que des élections législatives seraient organisées, suivies d’une élection présidentielle 90 jours plus tard.

« Une réunion aura lieu pour que les représentants des factions discutent des questions relatives au maintien de bonnes conditions électorales afin que toutes les factions et les citoyens puissent y participer », indiquait le communiqué.

Yahya Sinwar, le chef du Hamas, a déclaré mardi dernier que son mouvement était « toujours prêt » et qu’il allait « faire de ces élections un outil pour corriger l’itinéraire stratégique de l’histoire de [leur] peuple ».

Manœuvre politique

Depuis les élections législatives de 2006, la politique palestinienne se divise principalement entre le Fatah, qui contrôle la Cisjordanie occupée par l’intermédiaire de l’AP, et le Hamas, qui s’est emparé de la bande de Gaza lors des affrontements qui ont suivi le scrutin.

Abbas, le Fatah et l’AP ont longtemps été critiqués pour s’être accrochés au pouvoir sans tenir d’élections. Le mandat de quatre ans d’Abbas devait prendre fin en 2009, tandis que les mandats des députés étaient censés expirer en 2010.

Selon Adnan Abu Amer, un analyste politique proche du Hamas, la déclaration de Mahmoud Abbas est « une tentative d’embarrasser le Hamas et de le dépeindre comme celui qui refuse les élections ».

« Au sein de la direction palestinienne, il existe un sentiment de devoir renouveler sa légitimité »

- Ghassan Khatib, ancien ministre de l’AP

« Abbas est mis à l’épreuve après que le Hamas et toutes les factions ont accepté d’organiser des élections. S’il ne publie pas le décret électoral dans les prochains jours, c’est lui qui enrayera le processus », ajoute Abu Amer, qui est également le président du département de sciences politiques de l’Université Umma de Gaza.

Ghassan Khatib, ancien ministre de l’AP et membre du Parti du peuple palestinien, une formation de gauche, confie à MEE que « les discussions évoquant des manœuvres politiques pourraient être exactes ».

Trois facteurs fondamentaux ont incité à parler d’élections par intermittence au cours des treize dernières années, explique-t-il.

Tout d’abord, la déconnexion croissante entre les Palestiniens et leurs dirigeants à mesure que le temps passe sans élections en vue.

« Au sein de la direction palestinienne, il existe un sentiment de devoir renouveler sa légitimité », déclare Khatib.

Le deuxième facteur est la pression des Palestiniens, qui estiment que « la performance du gouvernement a diminué en raison de l’absence de comptes à rendre et d’élections. »

Troisièmement, poursuit Khatib, les dirigeants savent que des élections intéressent les pays donateurs européens et arabes.

Bien qu’ayant remporté les dernières élections législatives, la question de la légitimité se pose également au Hamas, selon Abu Amer.

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« Le Hamas veut renouveler sa légitimité au Conseil législatif et au Conseil national », affirme-t-il.

« Il sait néanmoins que la route ne sera pas un long fleuve tranquille, parce qu’il n’a aucun contrôle en Cisjordanie. Par ailleurs, il ne peut pas superviser les résultats des élections et il soupçonne l’Autorité palestinienne de chercher à les falsifier ou de les utiliser pour un coup d’État. »

Le Hamas et son allié le Jihad islamique ne font pas partie de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), une organisation-cadre dont le Fatah a été l’un des principaux fondateurs en 1969. Pendant des années, l’OLP a représenté les Palestiniens et, en 1993, elle a signé à Oslo un accord de paix avec Israël qui a abouti à la création de l’Autorité palestinienne.

Il aura alors fallu attendre trois ans avant la tenue des premières élections au Conseil législatif palestinien, c’est-à-dire au Parlement. Ni le Hamas ni le Jihad islamique n’y ont participé, bien qu’ils fussent des acteurs de la scène politique palestinienne depuis déjà près d’une décennie et qu’ils aient participé activement à la première Intifada.

Mettre fin à l’impasse politique

Des élections pourraient être le tonic dont la politique palestinienne a besoin pour se remettre de la fissure entre l’AP et le Hamas, estime Abu Amer.

« Toutes les factions palestiniennes ont besoin d’élections pour changer les visages de la scène politique, injecter du sang neuf dans la sphère politique palestinienne et renouveler la légitimité expirée de la présidence et des parlementaires. »

En novembre 2017, un accord de réconciliation entre le Fatah et le Hamas a été signé au Caire pour tenter de mettre fin au schisme politique entre les deux partis, mais il ne s’est jamais entièrement concrétisé, en raison de différends sur les salaires et sur qui avait le contrôle sur les entrées/sorties dans la bande de Gaza.

Si l’actuel discours électoral imite ceux des années précédentes, les factions palestiniennes seront d’accord sur la tenue d’élections mais en désaccord sur les détails, prédit Ghassan Khatib.

« Les déclarations du Hamas étaient destinées aux médias locaux. Le Hamas considère que le Fatah n’est pas sérieux sur le sujet des élections, qu’il tente une manœuvre politique », relève l’ancien ministre.

« Toutes les factions palestiniennes ont besoin d’élections pour changer les visages de la scène politique »

- Adnan Abu Amer, analyste

Jusqu’à présent, les déclarations du Hamas n’ont suscité que peu de réactions de la part de l’AP, et Abbas n’a pas pris la parole depuis que les élections annoncées par la CEC ont été convenues.

Cela n’a guère suscité l’optimisme, et Khatib s’attend d’ailleurs à ce qu’aucun vote n’ait lieu.

« C’est hasardeux, mais je me base sur deux choses : premièrement, l’accord de réconciliation devra être mis en œuvre, de sorte que l’élection se déroule sous un seul système de vote en Cisjordanie et dans la bande de Gaza », argumente-t-il.

Deuxièmement, les factions doivent essayer d’organiser le vote à Jérusalem-Est, occupée par Israël.

« Ce sont deux choses difficiles à faire, en particulier la première », souligne-t-il.

Hanna Nasser, le chef de la CEC, a cependant déclaré après sa rencontre avec Abbas la semaine dernière qu’ils étaient « très proches d’élections ». « La commission renouvellera les listes électorales une fois qu’un décret sera publié. Plus de 80 % des citoyens palestiniens sont inscrits sur les listes », a précisé le responsable.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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