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Palestine : les efforts pour faire libérer Barghouti accentuent l’incertitude autour de la succession d’Abbas

Les cadres palestiniens se disputent la présidence, mais l’absence de consensus sur le remplaçant et de cadre juridique clair constituent de sérieux obstacles
Marouane Barghouti, dirigeant emprisonné du Fatah (au centre), fait signe avant le début des délibérations du tribunal d’instance, à Jérusalem, le 25 janvier 2012 (Reuters)
Par Aziza Nofal à NAPLOUSE, Palestine occupée

Le récent lobbying effectué par la femme d’un cadre du Fatah pour le faire libérer des geôles israéliennes a ravivé le débat autour de la succession de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne (AP). 

Fadwa Barghouti, épouse de Marouane Barghouti, a récemment rencontré des responsables en Jordanie, en Égypte, à la Ligue arabe, en Russie, aux États-Unis et en Europe. 

Elle fait campagne pour obtenir la libération de son mari, qui purge une peine à perpétuité depuis 2002 dans une prison israélienne pour son implication dans la résistance armée lors de la Seconde Intifada

Marouane Barghouti, qui s’est présenté aux élections de 2021 (reportées sine die), est l’une des personnalités palestiniennes les plus populaires et de récents sondages prédisent qu’il remporterait toute élection.

Selon certaines informations, le lobbying de Fadwa ne vise pas uniquement à assurer la libération de son mari mais également à rassembler des soutiens pour qu’il devienne le successeur d’Abbas. 

Des sources proches de la famille assurent à Middle East Eye que le seul objectif de cette campagne est de sortir Marouane de prison. 

Cependant, ces efforts coïncident avec des fuites dans les médias palestiniens selon lesquelles Abbas aurait retiré son soutien à l’homme que l’on pensait encore récemment voir devenir le prochain président palestinien, Hussein al-Sheikh.

Selon ces informations, que MEE n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante, des membres du Fatah affirment que le nom de Barghouti aurait été mentionné comme successeur potentiel. 

Selon les experts, en dépit de sa popularité auprès des Palestiniens, Barghouti reste confronté à des obstacles de taille avant de devenir le prochain président de l’AP, à commencer par son emprisonnement et les rivalités qu’il suscite au sein du Fatah. 

C’est pourquoi Hussein al-Sheikh est toujours considéré comme le candidat numéro un, bien que de nombreux Palestiniens émettent des réserves quant à ses qualifications. 

Parmi les autres successeurs éventuels d’Abbas figurent Majed Faraj (chef des renseignements palestiniens), Mahmoud al-Aloul (cadre du Fatah) et Mohamed Dahlan (ancien cadre du Fatah qui vit aujourd’hui aux Émirats arabes unis). 

Têtes de liste 

Ces dernières années, Hussein al-Sheikh s’est taillé la réputation d’être l’un des deux principaux confidents d’Abbas. 

Lui et Faraj sont considérés comme la garde rapprochée du président et font partie de son cercle le plus intime. 

En 2022, Abbas a désigné Hussein al-Sheikh comme secrétaire général du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), second poste au sein de l’organisation. 

Cette décision a été vue comme une initiative stratégique pour faire du sexagénaire son successeur.

Historiquement, de nombreux dirigeants du Fatah ont aspiré à occuper ce poste, lequel implique de remplacer le président en son absence.

Ces fonctions s’ajoutent aux responsabilités déjà importantes de Hussein al-Sheikh en tant que ministre de l’Autorité générale des affaires civiles de l’AP, lequel s’occupe de la coordination des affaires civiles et de la sécurité en Cisjordanie occupée avec les autorités israéliennes.

En conséquence, il jouit de liens étroits avec les responsables de la sécurité israélienne et entretient de bonnes relations avec les diplomates américains. 

Le président palestinien Mahmoud Abbas et Hussein al-Cheikh assistent aux funérailles de l’ex-Premier ministre Ahmed Qurei dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 22 février 2023 (AFP)
Le président palestinien Mahmoud Abbas et Hussein al-Cheikh assistent aux funérailles de l’ex-Premier ministre Ahmed Qurei dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 22 février 2023 (AFP)

Bien qu’il soit haut placé au sein de l’AP et auprès des responsables israéliens et américains, Hussein al-Sheikh est peu apprécié des Palestiniens. 

Il n’aurait reçu que 3 % des suffrages s’il y avait eu une élection présidentielle l’année dernière, selon un sondage mené par le Palestinian Center for Policy and Survey Research. 

Sa réputation a également été ternie par des allégations de harcèlement sexuel envers une employée en 2012.

Le magazine Foreign Policy a récemment révélé que 100 000 dollars avaient été versés en échange du retrait des accusations. 

Hussein al-Sheikh a refusé de répondre aux questions concernant ces allégations. 

Cependant, selon l’analyste politique Hani al-Masri, les controverses qui l’entourent restent insignifiantes par rapport à l’approbation reçue des cercles israéliens, américains et arabes.

« Ces entités restent indifférentes au passé d’un individu s’il démontre son aptitude aux manœuvres politiques conformes à leurs desseins, un exploit qu’il a notamment accompli récemment », indique Hani al-Masri à MEE

Malgré tout cela, il reste difficile selon lui de désigner un successeur définitif à Abbas, principalement en raison de l’absence de candidats capables de s’attirer un soutien unanime et de satisfaire les acteurs régionaux et internationaux, ainsi que les factions palestiniennes.

Complications juridiques 

C’est pourquoi Jamal Huweil, cadre du Fatah proche des positions de Barghouti, pense que le dirigeant emprisonné pourrait être le meilleur candidat pour unifier les Palestiniens. 

« L’opinion publique gravite invariablement vers les personnes qui portent le fardeau à leurs côtés, pas celles qui dictent les lois depuis le luxe d’un 5 étoiles », commente-t-il à MEE.

Il cite la « réputation impeccable » de Barghouti, exempt de toute mauvaise conduite financière, administrative ou éthique.

« Barghouti ne se lancera dans la présidence que si elle lui est conférée par un scrutin électoral », insiste-t-il.

Concrètement, Hani al-Masri fait observer que tout optimisme concernant l’avenir politique de Barghouti doit rester mesuré car Israël n’a pas montré le moindre signe laissant supposer qu’il serait libéré de prison. 

Toute cette incertitude à propos de la succession génère une inquiétude croissante chez les Palestiniens, qui craignent que la disparition d’Abbas n’engendre le chaos.

Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans, préside l’AP depuis 2005 ; cela fait déjà quatorze ans que son mandat a expiré (il a pris fin en 2009) et il n’y a pas eu d’élections récentes.

« L’opinion publique gravite invariablement vers les personnes qui portent le fardeau à leurs côtés, pas celles qui dictent les lois depuis le luxe d’un 5 étoiles »

- Jamal Huweil, cadre du Fatah proche de Barghouti

Si une vacance de la présidence se présente, le chemin sera semé d’embûches : l’absence de successeur faisant l’unanimité, un Conseil législatif suspendu, une OLP diminuée et l’ombre menaçante de la perpétuation de la division politique, exacerbée par le manque apparent de volonté d’organiser des élections prochainement.

Ce climat d’incertitude est compliqué davantage par l’absence de cadre juridique clair pour une transition du pouvoir en cas de vacance de la présidence. 

En vertu de la quasi-constitutionnelle loi fondamentale palestinienne, le président du Conseil législatif palestinien deviendrait président par intérim s’il y avait une vacance soudaine du poste, en cas de décès ou de démission par exemple. 

Toutefois, Abbas a dissous ce Conseil en 2018 et n’a pas organisé d’élections législatives depuis. 

Deux ans plus tôt, il avait créé, par décret présidentiel, une Cour constitutionnelle composée majoritairement de juges issus du Fatah.

Selon les détracteurs, les initiative entreprises par le président ces dernières années indiquent que la Cour constitutionnelle est en train d’être dotée du pouvoir d’annoncer des mesures exceptionnelles pouvant aboutir à la nomination d’un président sans élection. 

Un scénario probable consisterait en la création d’un poste de vice-président qui serait second dans l’ordre de succession. 

« Le président, ainsi que les personnes qui l’entourent, a entrepris plusieurs altérations juridiques visant à exercer le contrôle sur la situation qui prévaut », indique Ghandi al-Ruba’i, conseiller juridique, à MEE.

« En particulier avec la dissolution du Conseil législatif et la création illégale de la Cour constitutionnelle. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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