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Le factionnalisme palestinien a détruit le mouvement national

Poussé par des dogmes rigides et une politique d’exclusion, le factionnalisme palestinien laisse peu de place à de nouvelles voix et un changement progressif
Des Palestiniens manifestent en Cisjordanie occupée le 15 octobre 2021 (AFP)
Des Palestiniens manifestent en Cisjordanie occupée le 15 octobre 2021 (AFP)

C’était autrefois un mouvement anticolonial de renommée internationale, qui a mis la question de la Palestine sous les projecteurs régionaux et internationaux. Or aujourd’hui, le mouvement national palestinien est de moins en moins pertinent et souffre d’un déclin dramatique ; il est déchiré par la polarisation et les divisions, alors que sa stratégie nationale a été remplacée par des programmes égoïstes en compétition les uns contre les autres.

Cela peut facilement être attribué au mécanisme de contrôle conçu par le processus d’Oslo, notamment l’Autorité palestinienne (AP), qui a coopté une partie significative du mouvement palestinien et de ses dirigeants. Mais la crise structurelle du mouvement est antérieure à Oslo, car le factionnalisme a longtemps semé les germes des rivalités intrapalestiniennes.

Le factionnalisme constitue un terrain fertile pour les régimes arabes rivaux souhaitant manipuler la politique palestinienne à leurs propres fins

Au lieu d’imprégner le corps politique palestinien d’un pluralisme revitalisant, le factionnalisme s’est largement inspiré de dogmes rigides et d’une politique d’exclusion. Avant la Nakba, il a dévasté la lutte palestinienne contre les forces coloniales britanniques et sionistes, dominée par des clivages claniques hérités de l’ère ottomane. Les partis manquaient de programmes politiques clairs et se livraient fréquemment à des querelles de pouvoir et d’autorité.

La formation en 1964 de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que cadre collectif rassemblant divers mouvements politiques a d’abord insufflé une nouvelle vie à la politique palestinienne. Toutefois, elle a rapidement été déchirée par des programmes factionnels concurrents présentant parfois des visions irréconciliables. L’absence de véritables mécanismes démocratiques au sein des institutions de l’OLP a endommagé encore davantage le mouvement national.

L’une des divisions historiques majeures était liée au « programme en dix points » de 1974, adopté par le Fatah mais rejeté par d’autres factions parce qu’il donnait la priorité à la construction d’un État plutôt qu’à la libération, via la création d’une « autorité nationale ».

Manipulation externe

Le factionnalisme constitue un terrain fertile pour les régimes arabes rivaux souhaitant manipuler la politique palestinienne à leurs propres fins. En Syrie et en Irak, par exemple, les forces baasistes ont fondé respectivement as-Saiqa et le Front arabe palestinien dans le but de représenter leurs revendications concurrentes au sein de l’OLP. Ce fut un facteur de détournement du mouvement national de ses objectifs anticoloniaux au profit des intérêts concurrents des États arabes.

Les mouvements islamiques ont introduit un pilier factionnel supplémentaire au sein du mouvement national. La fondation du Jihad islamique en 1981 et du Hamas en 1987 a remis en cause la domination historique de l’OLP. Le Hamas en particulier s’est présenté comme une alternative viable à l’OLP en crise, promouvant une vision radicalement différente de la façon dont la politique et la société palestiniennes devaient fonctionner, y compris au moyen d’un ordre social conservateur.

Des Palestiniens de Ramallah appellent à la fin de la division Fatah-Hamas en 2019 (AFP)
Des Palestiniens de Ramallah appellent à la fin de la division Fatah-Hamas en 2019 (AFP)

Le Hamas et le Jihad islamique connaissent en outre leurs propres rivalités intrafactionnelles, dans la mesure où les deux groupes ont des points de vue opposés sur diverses questions politiques et sociales. Alors que le Hamas était une émanation des Frères musulmans, le Jihad islamique s’est inspiré de la révolution islamique de 1979 en Iran. Contrairement au Jihad islamique, qui prend ses distances avec les controverses portant sur le rôle social de l’islam, la doctrine du Hamas met l’accent sur l’islamisation de la société en tant que condition préalable à la libération.

Et tandis que le Hamas considère ses relations avec l’Iran et le Hezbollah libanais à travers un prisme pragmatique, le Jihad islamique les voit comme des alliés stratégiques pour la lutte palestinienne.

Quête de pouvoir

Les années Oslo ont inauguré une nouvelle étape pour la politique palestinienne, durant laquelle la quête du pouvoir et des privilèges matériels a dominé la plupart des factions, pendant qu’Israël poursuivait son expansion coloniale. La création en 1994 de l’Autorité palestinienne, un organisme dépendant de l’aide internationale et des conditions fixées par Israël en matière de sécurité, a alimenté une politique d’exclusion fondée sur des loyautés et des intérêts factionnels étroits.

La crise a culminé en 2007 avec les affrontements entre l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah à Ramallah et le gouvernement de facto du Hamas à Gaza. Les deux groupes ont mobilisé leurs ressources pour se combattre les uns les autres, supprimé la dissidence et resserré leur emprise individuelle sur le pouvoir. Ce faisant, ils ont laissé à Israël un plus grand espace pour manipuler la situation afin d’empêcher une réconciliation significative entre les dirigeants de Cisjordanie et de Gaza.

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Le factionnalisme a également une dimension économique : l’octroi d’emplois dans les secteurs civils et de la sécurité de l’Autorité palestinienne à Gaza et à Ramallah est en grande partie basé sur la proximité avec les factions au pouvoir. Le Fatah exploite de surcroît son levier financier pour affaiblir l’opposition à l’Autorité palestinienne.

Cette dernière s’appuie fortement sur une rhétorique dogmatique et populiste en vue d’imposer sa domination sur la politique et les institutions palestiniennes. L’assassinat cet été du militant Nizar Banat par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne en est un bon exemple. Alors que les Palestiniens descendaient dans la rue pour demander justice, le Fatah a décrit les manifestations comme une « conspiration » venue de l’« étranger » contre son leadership « légitime » et a exercé une répression brutale.

Le factionnalisme palestinien est en fin de compte une entreprise autodestructrice qui nuit à la lutte et aux intérêts nationaux palestiniens. Il a marginalisé les voix et les idées dont le besoin était urgent et a empêché un changement progressif au sein du mouvement national.

Tant que persistera cette forme rigide de factionnalisme, le déclin du mouvement national palestinien sera inévitable.

- Tariq Dana est professeur adjoint d’études sur les conflits et l’action humanitaire à l’Institut d’études supérieures de Doha ainsi que maître de conférences adjoint au campus qatari de l’Université Northwestern. Il est également conseiller politique à Al-Shabaka, centre de recherche sur la politique et la société palestiniennes.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Tariq Dana is an assistant professor of conflict and humanitarian studies at the Doha Institute for Graduate Studies. He is also a policy advisor for Al-Shabaka: The Palestinian Policy Network.
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