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Meurtre de Nizar Banat : pourquoi les jours de l’Autorité palestinienne sont comptés

Les créateurs et bailleurs de fonds de l’AP prennent désormais conscience qu’elle n’a plus vraiment d’influence sur le peuple palestinien – tout ce qu’il lui reste, ce sont ses agences répressives
Des Palestiniens brandissent des drapeaux nationaux et des affiches en arabe sur lesquelles on peut lire « Dégagez ! » lors d’une manifestation dans la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, le 26 juin 2021 (AFP)

L’horrible meurtre du dissident palestinien Nizar Banat la semaine dernière aux mains des force de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) n’est que la dernière manifestation de la raison même pour laquelle l’AP a été établie par les accords d’Oslo de septembre 1993, instance de collaboration avec le régime d’apartheid israélien sous le parrainage des États-Unis.

Le meurtre de Banat est la dernière manifestation de la raison même pour laquelle l’AP a été établie comme instance de collaboration avec le régime d’apartheid israélien sous le parrainage des États-Unis

Les accords d’Oslo ont été suivis par les accords du Caire en mai 1994, lesquels stipulent au paragraphe « Sécurité palestinienne » que « la police palestinienne opérera sous les auspices de l’Autorité palestinienne et sera responsable de la sécurité intérieure et de l’ordre public. Elle comprendra 9 000 policiers, dont 7 000 pourraient venir de l’étranger. Les Palestiniens agiront pour empêcher les actes de terrorisme contre les Israéliens dans les zones sous leur contrôle ».

Voilà le certificat de naissance de la force mercenaire de l’AP, que les Israéliens ont chargée de réprimer et de tuer les Palestiniens qui résistent.

Cet arrangement a été officialisé une fois de plus et étendu avec l’accord d’Oslo II, signé à Taba en septembre 1995, et confirmé en présence de témoins quatre jours plus tard à Washington, dont le président Bill Clinton et l’ambassadeur de l’Union européenne (UE), entre autres, supervisant la cérémonie par laquelle l’armée d’occupation israélienne sous-traitait la responsabilité de l’ordre public et de la sécurité intérieure à « la police palestinienne […] » au-delà de Gaza et de Jéricho dans ce qui a été baptisé « zone A » de Cisjordanie. 

Les États-Unis et l’UE (cette dernière au moins depuis 2006) ont pris en charge le financement et la formation des policiers palestiniens, chargés de réprimer le peuple palestinien et de protéger le régime colonial d’Israël. 

Par conséquent, il est assez difficile de croire que les États-Unis et l’UE se soient trouvés dans une position inconfortable au lendemain du meurtre de Banat par les mercenaires de la police formés et financés par leurs soins.

Le département d’État américain a déclaré que le décès de Banat « troublait » Washington : « Nous nous soucions particulièrement des restrictions de l’Autorité palestinienne à l’exercice de la liberté d’expression par les Palestiniens et au harcèlement d’activistes et d’organisations de la société civile. »

Les forces de sécurité palestiniennes bloquent une rue pendant une manifestation dans la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, le 26 juin 2021 (AFP)
Les forces de sécurité palestiniennes bloquent une rue pendant une manifestation dans la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, le 26 juin 2021 (AFP)

Les formateurs et bailleurs de fonds européens des meurtriers de Banat ont quant à eux déclaré être « choqués et attristés par le décès de l’activiste et ancien candidat aux législatives Banat à la suite de son arrestation par les forces de sécurité de l’AP la nuit dernière. Nos pensées vont à sa famille et ses proches ».

On ne voit pas pourquoi les États-Unis et l’UE se « soucieraient » ou seraient « choqués » : ceux qu’ils ont formés ont fait le travail pour lequel leurs effectifs ont été créés et pour lequel les États-Unis et l’Union européenne les ont financés et entraînés depuis le début.

Reproduire l’apartheid 

En fait, l’organisation de la police de l’AP reproduit, et peut être a été inspirée par, l’utilisation de la police noire par l’État d’apartheid sud-africain pour réprimer la résistance noire avant 1994, organisation qui réduisait les risques pour la vie des policiers blancs. 

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La sous-traitance des fonctions répressives de l’occupation militaire israélienne aux mercenaires palestiniens depuis 1993 a représenté un changement bienvenu pour les Israéliens, qui continuent à contrôler la terre, les eaux, les frontières, l’économie, et les colonies juives… En résumé, tout ce qu’Israël cherchait à contrôler, mais sans avoir à réprimer tout seul la résistance palestinienne, laquelle mettait en danger les soldats israéliens tout en donnant mauvaise presse à Israël.  

Le Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, était explicite là-dessus : « Je préfère que les Palestiniens s’occupent du maintien de l’ordre à Gaza. Les Palestiniens seront meilleurs que nous là-dessus, parce qu’ils ne permettront aucun appel à la Cour suprême et empêcheront les associations [israéliennes] des droits civiques de critiquer les conditions là-bas en les empêchant d’accéder à la zone. Ils dirigeront selon leurs propres méthodes, libérant – et c’est le plus important – l’armée israélienne d’avoir à faire ce qu’ils feront. »

En fait, la fonction répressive de la police de l’AP était déjà évidente des mois avant l’arrivée de Yasser Arafat à Gaza en juillet 1994 à la suite d’Oslo. Trois agents de circulation autoproclamés issus des Faucons armés du Fatah, appartenant à l’aile d’Arafat à l’OLP, ordonnèrent à un automobiliste de Gaza de déplacer sa voiture en octobre 1993. Face à son refus, ils lui tirèrent dans les jambes. 

Clyde Habermann, correspondant du New York Times en Israël l’époque, s’inquiétait de la capacité de la police palestinienne à protéger les colons juifs lorsqu’ils auraient la main. « [Lorsque] la force entrera en fonction en décembre [1993], elle devra montrer de quel bois elle se chauffe. Assurément, elle doit prouver qu’elle peut faire mieux que [ces] trois agents de la circulation autoproclamés […] La police arabe doit également prouver que les Israéliens [juifs] vivant dans et traversant les territoires seront protégés », écrivait-il.

Des officiers de sécurité palestiniens en civil arrêtent un homme lors d’une manifestation à Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 26 juin 2021 (AFP)
Des officiers de sécurité palestiniens en civil arrêtent un homme lors d’une manifestation à Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 26 juin 2021 (AFP)

Avec un tel précédent, et alors qu’Arafat et ses collègues qualifiaient tous les opposants à la capitulation d’Oslo d’extrémistes, l’ambassadeur de l’OLP en Tunisie et proche conseiller d’Arafat, Hakam Balawi, promit à la télévision israélienne de les « écraser ». En novembre 1994, peu après être entrée à Gaza, la police d’Arafat tua au moins treize Palestiniens non armés et en blessa 200 autres pour avoir osé manifester contre les accords d’Oslo. Pendant sa visite à Gaza au début de l’année 1995, le vice-président américain de l’époque Al Gore loua Arafat pour avoir mis sur pied des tribunaux militaires pour poursuivre ces Palestiniens opposés à Oslo. 

Le rôle américain

Si la CIA a formé la police de l’AP en secret au départ, les États-Unis ont plus tard assumé pleinement leur formation. Le lieutenant-général américain Keith Dayton, coordinateur de la sécurité pour l’Autorité palestinienne de décembre 2005 à octobre 2010, a supervisé leur formation et le coup d’État organisé contre le Hamas élu démocratiquement en 2007.

La police de l’AP est devenue une réussite majeure des Israéliens

En 2006, les États-Unis ont, selon Haaretz, commencé à former la garde prétorienne d’Abbas à Jéricho pendant plus d’un mois avec des instructeurs militaires jordaniens, égyptiens, britanniques et américains et leur a fourni des armes en vue d’une confrontation avec le Hamas, librement élu, pour chasser ce dernier du pouvoir. Le gouvernement israélien de l’époque a approuvé le transfert de milliers de fusils de l’Égypte et de la Jordanie aux forces d’Abbas. 

Par ailleurs, les Israéliens ont, à la demande des Américains, permis à la brigade Badr (composante de l’Armée de libération palestinienne alors stationnée en Jordanie) de se déployer à Gaza. Ces événements sont le fait du général Dayton, qui souhaitait que la brigade Badr fût la « force de réaction rapide [d’Abbas] à Gaza ». 

Avant d’arriver en Cisjordanie, Dayton avait mené la guerre de l’Amérique contre le peuple irakien en 2003. L’Union européenne a elle aussi financé et formé la police palestinienne pour les mêmes tâches à travers le Bureau de coordination de l’Union européenne pour le soutien de la police palestinienne, devenu EUPOL COPPS en 2006. 

La fin est proche

Lorsque le président palestinien Mahmoud Abbas a annulé les élections législatives palestiniennes prévues pour le 22 mai, Banat (candidat sur la liste électorale indépendante Liberté et Dignité) et ses colistiers ont fait appel aux tribunaux européens, notamment la Cour des droits de l’homme à Strasbourg, afin d’ordonner la cessation immédiate de l’aide financière à l’Autorité palestinienne. 

Il espérait que cet appel contraindrait l’UE à cesser son soutien actuel et sa formation de l’AP, laquelle s’en sert pour réprimer les Palestiniens comme lui. Il est très probable que ce soit un facteur décisif de la décision prise par les mercenaires de l’AP de mettre en pratique une fois de plus ce pour quoi les Américains et les Européens les ont si bien formés.

Les États-Unis et l’Union européenne devraient être fiers de leur réalisation, comme le sont les Israéliens, qui ne cessent de couvrir de louanges les forces de sécurité de l’AP. De fait, la police de l’AP est devenue une réussite majeure des Israéliens et est dûment remerciée pour ses actions visant à contrecarrer sans cesse la majorité des opérations de résistance palestinienne contre l’armée d’occupation et les colons.

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Le meurtre de Nizar Banat survient toutefois à un moment où la légitimité internationale de l’AP est au plus bas au lendemain de la résistance héroïque du peuple palestinien à travers la Palestine historique le mois dernier, résistance que l’AP continue de réprimer. 

Cela pourrait très bien être la fin de l’Autorité palestinienne collaborationniste. Ses créateurs et ses bailleurs de fonds commencent à prendre conscience du fait qu’elle n’a plus vraiment d’influence sur le peuple palestinien. L’AP ne peut plus utiliser comme elle le faisait ses bras administratif, financier et médiatique (désormais à bout de course) combinés à ses agences de police répressives pour imposer son autorité en Cisjordanie.

Tout ce qu’il lui reste aujourd’hui pour imposer son autorité, ce sont ces agences répressives, comme l’a mis en évidence la répression la semaine dernière des manifestations palestiniennes en Cisjordanie en réaction au meurtre de Banat, abattu et frappé par ses hommes, tout comme la police de l’AP l’avait fait à Gaza dès sa conception en 1994.

Peu importe le nombre de meurtres ou de passages à tabac, ils ne peuvent mettre un terme à la résistance palestinienne – une leçon que les Israéliens, patrons de l’AP, continuent d’apprendre à leurs dépens.

- Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Parmi ses ouvrages figurent Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Son travail a été traduit dans une douzaine de langues.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Joseph Massad is professor of modern Arab politics and intellectual history at Columbia University, New York. He is the author of many books and academic and journalistic articles. His books include Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan; Desiring Arabs; The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, and most recently Islam in Liberalism. His books and articles have been translated into a dozen languages.
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