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Nizar Banat, détracteur de Mahmoud Abbas, meurt après une descente d’agents de sécurité de l’Autorité palestinienne à son domicile

L’organisation Lawyers for Justice indique que Banat avait été menacé par l’Autorité palestinienne et qualifie sa mort d’« assassinat ». Le décès du célèbre activiste a déclenché des réactions de colère dans les rues et a fait l’objet de nombreuses condamnations
Nizar Banat, 44 ans, était connu pour ses critiques des dirigeants de l’AP et avait déjà été arrêté plusieurs fois par les forces de sécurité palestiniennes (Facebook)
Par Shatha Hammad à RAMALLAH, Cisjordanie occupée

Nizar Banat, célèbre activiste palestinien et détracteur de l’Autorité palestinienne (AP), est décédé après une descente des forces de sécurité de l’AP à son domicile de Dura, près d’Hébron, avant l’aube ce jeudi matin.

Dans un communiqué, le gouverneur d’Hébron Jibrin al-Bakri rapporte que « lors de son arrestation, sa santé s’est détériorée ». De son côté, la famille affirme qu’il a été passé à tabac lors de son arrestation.

Cette arrestation correspond au renforcement par l’AP de sa répression sécuritaire contre ses opposants et les influenceurs politiques en Cisjordanie occupée.

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Banat était connu pour ses critiques des dirigeants de l’AP et avait déjà été arrêté plusieurs fois par les forces de sécurité palestiniennes.

Muhannad Karajah, membre de Lawyers for Justice, confie à MEE que Banat lui avait téléphoné mercredi et lui avait dit faire l’objet de menaces provenant des services de renseignement de l’AP, lesquels avaient exigé qu’il cesse ses critiques de l’autorité.

Depuis des mois, Banat publiait des vidéos sur Facebook dans lesquelles il étrillait le président Mahmoud Abbas et d’autres cadres de l’AP et du Fatah. 

En début de semaine, il a publié une vidéo dans laquelle il s’en prend vivement à l’AP pour l’échange de vaccins avorté avec Israël.

Selon Bakri, les officiers se sont rendus chez Banat avec un mandat d’arrêt délivré par le ministère public.

Ammar, un des cousins de Banat et porte-parole de la famille, raconte à MEE qu’environ vingt-cinq officiers et un membre de la sécurité préventive et des renseignements généraux ont fait irruption dans la maison vers 3 h 30 après en avoir fait sauter les portes. 

Les officiers sont allés dans la chambre où Nizar dormait avant de l’attaquer immédiatement en l’aspergeant de gaz dans la bouche et le nez.

Toujours selon ce cousin, ils l’ont frappé violemment à coups de barres de bois et de fer. 

Il ajoute que Nizar était inconscient et qu’ils l’ont alors traîné, déshabillé et emmené dans un véhicule militaire.

« Autorité répressive »

Karajah indique qu’il s’attendait à ce que Banat soit arrêté, comme il l’a déjà été plusieurs fois en raison de ses positions et de ses publications hostiles à l’AP.

Traduction : « Tous les yeux se tournent vers la Cisjordanie aujourd’hui, les gens en colère vont descendre dans la rue pour le meurtre de l’activiste Nizar Banat aux mains des forces de sécurité palestiniennes financées par la communauté internationale. #nizarbanat »

« Ce qui est arrivé à Nizar est un assassinat », affirme l’avocat. 

« Aujourd’hui, ce qui attend les activistes et défenseurs des droits de l’homme palestiniens, c’est un assassinat. 

« En tuant Nizar Banat, l’Autorité [palestinienne] confirme aujourd’hui qu’elle est une autorité répressive qui menace tout défenseur des droits de l’homme, et [que] tout un chacun [peut être] soumis à un processus d’arrestation politique. » 

Le membre de Lawyers for Justice ajoute que la torture contre les opposants politiques se poursuit dans les prisons administrées par l’AP après les récentes vagues d’arrestations, lesquelles, à leur apogée, ont concerné une cinquantaine de personnes.

Banat était candidat sur la liste électorale Liberté et Dignité aux élections législatives palestiniennes, qui auraient dû avoir lieu le 22 mai.

En réaction à la décision d’Abbas d’annuler les élections législatives et présidentielles, prévues pour le 31 juillet, Banat et sa liste ont publié un communiqué demandant aux tribunaux européens, en particulier à la Cour des droits de l’homme de Strasbourg, d’ordonner la suspension immédiate de l’aide financière à l’autorité.

« Ils n’ont pas transféré Nizar à l’hôpital »

Le gouverneur d’Hébron a indiqué que Banat avait été transféré immédiatement à l’hôpital public de la ville à la suite de son arrestation.

Après examen par les médecins, son décès a été prononcé.

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« Le ministère public a ouvert une procédure conformément à la loi dès qu’il a été informé de cet incident. »

Ammar, le cousin de Banat, rapporte que la famille avait immédiatement contacté ses connaissances dans les divers quartiers généraux des services de sécurité d’Hébron après qu’il eut été emmené, mais n’avait pas pu obtenir la moindre information à propos de l’endroit où il se trouvait sauf qu’il n’avait pas été transféré au siège des forces de sécurité.

« Une heure et demie après l’arrestation, une information a circulé via des groupes WhatsApp annonçant qu’il était mort en raison d’un problème de santé, mais en tant que famille, on n’en a pas été informé officiellement et on n’a eu aucune information à propos de son décès jusqu’à présent », indique-t-il.

Il précise qu’une délégation de la famille s’est rendue à l’hôpital public Alia, où les services de sécurité avaient annoncé son décès, mais n’y a pas trouvé son corps.

« L’annonce de sa mort à Alia était une ruse. Ils n’ont pas transféré Nizar à l’hôpital, ils ne l’ont pas transféré non plus au siège des services de sécurité », affirme-t-il.

« À l’heure actuelle, cinq heures après son décès, on ne sait pas où se trouve le corps de notre fils Nizar. L’Autorité palestinienne cache le corps afin de manipuler les faits entourant son décès. »

Déjà victime d’une attaque récente

Ammar explique à MEE qu’il y a deux mois, Nizar Banat a été la cible de tirs à son domicile à Dura, où sa famille a retrouvé une soixantaine de balles.

« Après cela, nous avons reçu des menaces de la part d’officiers des services de sécurité selon lesquelles Nizar serait assassiné, mais nous avons écarté cette possibilité […] Aujourd’hui, ils ont mis leur menace à exécution en assassinant Nizar », estime Ammar.

Traduction : « L’Autorité palestinienne s’est débarrassée aujourd’hui de l’un de ses fervents détracteurs, Nizar Banat. Selon le témoignage de sa famille, il a été frappé violemment à la tête à l’aide de bâtons et d’objets en fer lors de son arrestation. La libération ne se fera pas partiellement… C’est un tout constitué de colonisateurs et d’oppresseurs agissant de l’intérieur. »

La famille exige que toute la vérité soit révélée et que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Nizar Banat, ainsi que sur l’identité des responsables.

« Nous demandons à l’Autorité palestinienne, du sommet de la pyramide au moindre de ses membres, de révéler le corps de Nizar et de nous dire ce qu’ils en ont fait », déclare Ammar.

« Nous exigeons la formation d’une commission d’enquête internationale dirigée par un médecin de la famille et un médecin de la Commission des droits de l’homme, ainsi que par des personnes choisies par la famille. Nous voulons également que l’autopsie n’ait pas lieu dans les instituts affiliés à l’autorité, mais à l’institut médico-légal Abu Kabir [à Tel Aviv].

« Nous voulons bénéficier des droits que la loi nous accorde, le sang de notre fils n’aura pas coulé en vain […] Nous saurons qui a pris la décision de l’assassiner et qui a exécuté l’assassinat. Et nous voulons que ces personnes soient punies. »

« Nous demandons que les tueurs soient poursuivis »

La mort de Nizar Banat a déclenché des réactions de colère dans les rues et a été condamnée par des organisations de défense des droits de l’homme ainsi que des factions palestiniennes.

Dans un communiqué, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) a tenu l’AP pour responsable de la mort de Nizar Banat.

Traduction : « Nous sommes choqués et attristés par la mort de Nizar Banat, activiste et ancien candidat parlementaire, survenue la nuit dernière à la suite de son arrestation par les forces de sécurité de l’AP. Nous adressons nos pensées à sa famille et à ses proches. Une enquête complète, indépendante et transparente doit être menée immédiatement. »

« L’arrestation puis l’assassinat de Nizar soulèvent à nouveau des questions sur la nature du rôle et de la fonction de l’AP et de ses services de sécurité, ainsi que sur la violation des droits démocratiques des citoyens à laquelle elle se livre à travers une politique du silence, de poursuites judiciaires, d’arrestations et de meurtres », a indiqué le FPLP.

Un manifestant à Ramallah tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Le régime veut la chute du peuple », le 24 juin 2021, après la mort de Nizar Banat (MEE/Shatha Hammad)
Un manifestant à Ramallah tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Le régime veut la chute du peuple », le 24 juin 2021, après la mort de Nizar Banat (MEE/Shatha Hammad)

Le Hamas, par la voix de Sami Abu Zuhri, membre du bureau politique, a pour sa part déclaré : « Nous considérons que le Premier ministre [de l’AP] Mohammad Shtayyeh porte la responsabilité première du meurtre de l’activiste et candidat parlementaire Nizar Banat et nous demandons que les tueurs soient poursuivis. »

Ayed Yaghi, responsable de l’Initiative nationale palestinienne (INP) dans la bande de Gaza, a déclaré dans un communiqué que son parti condamnait « l’arrestation de Nizar Banat, activiste et candidat au Conseil législatif, qui a entraîné sa mort ». 

Yaghi réclame la formation d’une commission d’enquête indépendante, extérieure à l’AP et composée d’individus dont l’indépendance et l’intégrité seraient reconnues, afin de mener une enquête approfondie sur le déroulement des faits et veiller à ce que les responsables de la mort de Nizar Banat soient punis.

Une « opération d’élimination » délibérée

La Commission indépendante des droits de l’homme a dit considérer la mort de Nizar Banat comme un événement très préoccupant. 

Elle a indiqué avoir commencé à enquêter et à recueillir des informations sur le décès et souhaiter participer à l’autopsie par l’intermédiaire d’un médecin légiste délégué par ses soins.

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La commission a ajouté que les résultats de l’enquête seraient annoncés immédiatement.

Dans un communiqué, le Réseau des ONG palestiniennes a formulé une mise en garde contre la poursuite de la répression exercée par l’AP contre toute forme d’opposition, évoquant le risque de voir émerger « un État policier régi par un système de répression et un mépris de la vie de la population et de sa dignité dans la réalité de l’occupation. »

Le réseau a également réclamé la mise en place immédiate d’une enquête impartiale afin de déterminer ce qui s’est passé et exhorté Mahmoud Abbas à cesser toute atteinte aux droits civils, aux libertés publiques et à la dignité des citoyens.

L’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme a également exprimé sa profonde indignation face aux circonstances de la mort de Nizar Banat.

L’organisation a demandé l’ouverture d’une enquête sérieuse, urgente et indépendante sur cette affaire, dans la mesure où tous les éléments tendent vers une « opération d’élimination » délibérée visant à réduire au silence une voix vivement opposée aux politiques de l’Autorité palestinienne.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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