Abbas aurait repoussé les élections palestiniennes malgré des solutions présentées pour les maintenir
Selon un responsable palestinien directement informé des plans électoraux qui s’est entretenu avec Middle East Eye, Mahmoud Abbas s’est vu proposer au moins quatre solutions pour permettre aux premières élections palestiniennes depuis quinze ans de se dérouler ce mois-ci au lieu d’y renoncer.
Vendredi matin, le président palestinien a annoncé que les élections législatives prévues pour le 22 mai seraient reportées indéfiniment, invoquant des inquiétudes quant au droit de vote des Palestiniens vivant à Jérusalem-Est occupée.
Une source impliquée dans la logistique électorale a néanmoins déclaré à MEE qu’au cours des dernières semaines, plusieurs options viables pour Jérusalem-Est avaient été présentées à Abbas lors de réunions internes. La source s’est exprimée sous couvert d’anonymat car elle n’était pas autorisée à parler aux médias.
Selon la source, il a notamment été suggéré de disposer des bureaux de vote dans des installations de l’ONU à Jérusalem ou dans des consulats européens, de faciliter le vote électronique ou d’installer des bureaux de vote à Jérusalem même.
Malgré tout, Abbas a vu Jérusalem comme une excuse pour reporter les élections et protéger sa position contre ses rivaux au sein de son propre parti, le Fatah, selon la source, qui a fait part de sa frustration en raison des longues heures passées à préparer le scrutin.
« Il y avait une volonté réelle d’organiser des élections, mais dès le jour où [Marouane Barghouti, son rival au sein du Fatah] a décidé de se présenter, nous avons su qu’il n’y aurait pas de scrutin », a déclaré la source.
Marouane Barghouti, leader palestinien populaire qui purge plusieurs peines de prison à vie en Israël, accusé d’avoir organisé des attaques meurtrières pendant la seconde Intifada, s’est allié début avril à la liste dissidente Liberté.
Cette faction est dirigée par Nasser al-Qudwa, un neveu du défunt leader palestinien Yasser Arafat.
« Les élections étaient vraiment une idée sérieuse. Il n’y avait pas de problème avec le Hamas. Il y avait un accord. Le problème résidait au sein même du Fatah », a ajouté la source.
Un membre du comité exécutif de l’Autorité palestinienne (AP) affirme toutefois qu’aucune solution n’a été proposée pour Jérusalem.
« Tout cela est faux, il ne s’est rien passé. L’Union européenne ne nous a rien proposé, les Nations Unies non plus », soutient Ahmad Majdalani, ancien ministre et ambassadeur.
« Nous ne pouvons pas organiser un scrutin sans Jérusalem, car cela reviendrait à soutenir l’accord du siècle », explique-t-il en référence au plan de paix controversé proposé par Donald Trump qui fait de Jérusalem la capitale d’Israël. « Alors, quelle est la meilleure option selon vous ? »
« Un roi sans royaume »
Plusieurs participants aux élections palestiniennes ainsi que certains observateurs dans les territoires occupés ne sont pas du tout convaincus que Jérusalem soit la véritable raison du report.
Awni Almashin, un activiste politique qui se présente sur la liste de Marouane Barghouti, n’est pas surpris par ce report qui aura clairement un impact négatif sur le statut et le pouvoir de l’AP. Son inquiétude porte davantage sur le pouvoir qu’Abbas a donné à Israël en utilisant Jérusalem comme excuse.
« Ce qui s’est passé est une combinaison de deux facteurs. D’un côté, certains des groupes craignent de perdre leur pouvoir. De l’autre, il y a le manque de volonté d’Israël vis-à-vis d’un scrutin. Les intérêts d’Israël et d’Abou Mazen [Abbas] ont convergé », indique Awni Almashin.
« Ce qui est encore plus dangereux, c’est qu’en plus de reporter les élections, Abou Mazen met cela entre les mains d’Israël. »
Inas Abbad, chercheuse en sciences politiques et conférencière établie à Jérusalem, estime que le report soulève des questions quant à savoir avec qui les États-Unis agiront en tant qu’intermédiaires dans les négociations israélo-palestiniennes.
« On ne peut pas continuer de négocier avec quelqu’un qui n’a pas été élu et qui est allé à l’encontre du peuple », a-t-elle affirmé.
Selon Inas Abbad, Abbas aurait pu se servir des préoccupations relatives à Jérusalem-Est pour souligner l’importance des élections et poursuivre sur cette voie. Mais à la place, il y a vu une échappatoire.
« Notre situation actuelle, consistant à maintenir Abbas jusqu’à sa mort, nous ramène à celle d’autres pays arabes et nous rappelle d’autres dirigeants arabes. Nous vivons à l’ère d’un roi sans royaume, sans territoire et sans autorité. »
À Gaza, l’analyste politique Abnan Abu Amir estime que de nombreuses formules auraient pu être adoptées pour éviter un report.
Les véritables raisons de ce report sont selon lui « l’état de fragmentation » du Fatah et les inquiétudes d’Abbas quant aux « résultats désastreux » qui auraient pu ressortir d’un scrutin.
« Le tour de passe-passe finira par se retourner contre le magicien puisqu’Abou Mazen, qui a fait valoir que l’occupation [Israël] ne permettait pas la tenue du scrutin à Jérusalem, a dû s’identifier à Israël même en reportant les élections », explique-t-il.
À Hébron, Issa Amro, défenseur des droits de l’homme, est convaincu qu’Abbas et ses partisans ont interrompu le processus électoral par crainte de perdre contre Marouane Barghouti et qu’il est temps pour les Palestiniens de « se préparer à la guerre ».
« Je suis frustré et déçu par les dirigeants palestiniens actuels, un leadership vieux et incapable d’agir qui n’est pas en mesure d’offrir aux Palestiniens un niveau minimal de droits », affirme-t-il à MEE.
« Nous devons faire pression pour qu’Israël autorise les élections, afin de ne laisser aucune excuse à ceux qui ne sont pas intéressés par le scrutin. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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